Contre l’avis du Sénat, un lobby commercial a réussi à faire adopter la nouvelle loi sur la prostitution par l’Assemblée nationale. On sait déjà qui sera bénéficiaire : le mouvement du Nid et ses futurs concurrents, créés pour obtenir la manne des subventions et pourquoi pas, un pourcentage sur les peines judiciaires encourues par les clients. Ces clients seront n’importe qui que la police désignera tels puisque, selon Grégoire Théry, du Nid, « la simple sollicitation d’une prostituée sera condamnable ». Attention, s’adresser à une prostituée, même en s’étant mépris sur la personne, exposera à de lourdes amendes.

Antan et même naguère, les personnes homosexuelles étant considérées telles des malades, des tas de gens se sont fait de l’argent pour les « traiter ». Désormais, toute personne prostituée étant définie légalement victime, leurs « bienfaiteurs » vont pouvoir se gaver : un budget est prévu, qui servira sans doute davantage au fonctionnement des structures visant à faire renoncer à la prostitution (et quand elle aura disparu, les dirigeants toucheront-ils une retraite chapeau et les intervenants des indemnités de perte d’emploi ?), il faudra former des formateurs à la sensibilisation et rédemption des interpellés condamnés…

En illusoire contrepartie, les personnes prostituées ne pourront plus être poursuivies pour racolage. Bref, vous vendez vos prestations librement, mais l’interpellé ne vous paye plus (il a simplement sollicité) et doit s’acquitter de lourdes peines financières. Pourquoi pas, aussi, de la prison (la garde à vue de 24 heures, voire 48, devrait suffire à vous faire perdre éventuellement votre emploi et vous rendre docile, prêt à dénoncer votre voisin) ?

Que signifie « la simple sollicitation d’une prostituée sera condamnable » ? Qu’est-ce qui distinguera le fait de proposer un bien (une baguette de pain, par exemple), un service (la renseigner si elle vous demandait votre chemin), d’une sollicitation ? Question de simple interprétation policière à la discrétion des fonctionnaires de police.

La conséquence en découlant est toute simple : il va falloir créer « l’étoile pute », afin que la simple citoyenne, le chaland naïf, l’honnête commerçant, sache à qui il s’adresse, détourne le regard, et manifeste qu’il n’a nullement l’intention d’adresser la parole à qui la porte.

Vite un appel d’offres aux agences de graphisme : le contribuable paiera, les fournisseurs du label incriminant feront des bénéfices, l’industrie textile asiatique rivalisera de savoir-faire (au fait, les victimes devant arborer l’étoile seront-elles remboursées pour le modèle de base ?)…

On peut s’étonner de l’absurdité juridique d’une telle loi. Il est d’ailleurs fort possible que le Conseil constitutionnel ait bientôt à en débattre…
Mais le dispositif est parfaitement en phase avec les principes de la technocratie politico-financière dont les membres se succèdent à chaque changement de gouvernement ou de majorité parlementaire. Au lieu de taxer très lourdement les bénéfices des fournisseurs de tabac, des producteurs d’alcool (voire de véhicules motorisés, ou non, on peut se tuer en trottinette), c’est le fumeur, le buveur, le conducteur qui est frappé au portefeuille. Si un bien nocif ne valait plus la peine d’être produit, il n’y aurait plus d’offre… Et moins de postes pour nos énarques dans ces secteurs. 

Là, ce qui est instauré de fait, c’est la prohibition de la prostitution. Place aux proxénètes comme aux bons temps où les bootleggers prospéraient ainsi que les fabricants d’alcools frelatés. Disparition aussi des personnes prostituées indépendantes, place aux racoleuses dont les complices feront les poches des clientes et clients potentiels. Après tout, qu’il y ait ou non prestation de service, la victime restera victime, et le client doublement pénalisé. On vous aurait piégé ? Ah mais non, pas du tout, c’est vous la piégeuse ou le piégeur, vous avez sollicité. Vous êtes une prostitutrice, un prostituteur…

Pour faire du chiffre, verra-t-on aussi (c’est le cas en Suède ; et au Royaume-Uni, pour piéger des pédophiles, des policiers spécialisés aguichent les internautes) des policières en civil aux tenues légères, des policiers grimés en travestis ?

Cette loi, faussement destinée à s’en prendre aux personnes se prostituant et aucunement aux réseaux, porte en germe de graves atteintes aux libertés publiques. Plus besoin de glisser de la came dans la poche de qui l’interpellation est recherchée, il suffira de se déclarer prostitué ayant été sollicité.

Il se trouve que je connais Mylène Juste et sa collègue, Sandra, du collectif des prostituées de la rue Saint-Denis. Nous fréquentons à l’occasion les mêmes lieux (cafés, restaurants…), où elles se rendent lors de leurs pauses. Elles n’y racolent pas mais, lorsqu’elles ont la possibilité de converser (aussi de choses et d’autres…), elles exposent les conséquences de l’application de cette loi de pénalisation des clients. Voici des années que la loi faisait la navette entre Sénat et Assemblée, que les déclarations médiatiques des uns des autres (pour ou contre cette loi) s’accumulaient, et que leurs clients se raréfient déjà. Elles se refusent à se dégrouper (travailler dans le même immeuble que des collègues reste leur plus sûr gage de sécurité, expliquent-elles), de se retrouver au domicile d’inconnus qui les feront se déplacer et donc s’exposer à se retrouver exposées à casser leurs prix, voire à se faire tabasser si elles refusent des actes ne leur convenant pas. Quant à leurs collègues subsahariennes, elles se verront réclamer des rapports sans protection : c’est déjà le cas, elles refusent, mais quand les clients se feront vraiment trop rares, persisteront-elles ?

Mylène Juste expose clairement tout cela dans un reportage que vient de lui consacrer France 24. Elle l’a répété sans relâche au Sénat où une majorité a fini par être convaincue du bien-fondé de ses arguments. Il semble que partie majoritaire de l’Assemblée ait été plus sensible aux arguments des réels bénéficiaires : les prostituées votent peu (mais là, elles sanctionneront), leur syndicat, le Strass, est dépourvu de moyens, tandis que les groupes de pression en faveur de la loi (et sur les rangs pour obtenir postes et budgets) disposent de relais dans l’opinion, regroupent des dirigeants, salariés et bénévoles…

Il sera sans doute créé un Conseil national de réinsertion des personnes prostituées sur le mode de la Prévention routière. Ils touchent combien, ils coûtent combien aux contribuables, les dirigeants de la Prévention routière ? 

Contrairement aux taxis, les personnes prostituées n’osent pas vraiment descendre dans la rue. Avec le reste du budget alloué à leur reconversion (masse salariale et frais de fonctionnement des structures déduits), il n’est pas sûr qu’elles puissent percevoir plus de trois mois de suite un montant équivalent au RSA. Encore leur faudra-t-il pointer au mépris de leur vie familiale (certaines ont des parents à charge, des enfants scolarisés, &c.). Et puis peut-être franchir le portique des camps de redressement, pour que personne n’ignore plus leurs activités passées. Faute de les tondre…

Mylène Juste est inscrite en tant que travailleuse indépendante (et sous l’intitulé prostituée, qu’elle a revendiqué et finalement obtenu qu’il figure en tant que profession), cotise régulièrement, déclare ses revenus. Elle est propriétaire de son studio que lorgnent les aménageurs qui ont aussi poussé discrètement à l’adoption de la loi : vider la rue Saint-Denis, qui mène aux Halles rénovées, quelle aubaine !

Cette loi d’une rare hypocrisie vise à « réhabiliter » aussi certains quartiers, y créer d’autres commerces, à racheter à vil prix les studios pour les regrouper et les rénover. La culbute financière sera rémunératrice, les promoteurs prendront en charge un nouveau plan de circulation, &c. L’actuelle maire de Paris, Anne Hidalgo, n’y voit que des occasions de se mettre en avant. À moins, pure supposition gratuite que je suis tout à fait disposé à rétracter, qu’elle ne soit plus directement intéressée.

Bref, beaucoup y gagneront, sauf la masse des actuels clients et des futurs présumés clients, à la tête du prévenu…

Ce gouvernement et partie de sa majorité se comporte exactement comme celui du conservateur britannique Cameron, qui a bradé tout le secteur métallurgique et sidérurgique de son pays, en bloquant à Bruxelles une proposition de surtaxation des importations chinoises. La City a obtenu des contreparties en Chine… Cela fait des dizaines de milliers de chômeurs, cela va en faire bientôt des attributaires sociaux, mais le contribuable de base réglera la note (l’autre mutera ailleurs ses avoirs au Panama).

Il en sera de même avec l’application de cette loi. Les prostituées ne pouvant ou voulant passer dans la clandestinité seront, surtout les plus âgées, réduites aux allocations de secours et pour tout le monde, il faudra augmenter la CSG. Il fallait, à Bercy ou ailleurs, y penser. C’est fait.

Question à Grégoire Théry, du Nid. Si l’une de ses protégées, en fait de ses faire-valoir, le dénonce en tant que solliciteur, qui sera crédible ? Lui ou sa victime ? Qu’il aura si bien contribué à créer en tant que telle… 

Au-delà, où va-t-on ? Ma compagne me fait une crasse, je me déclare prostitué, et rapporte qu’elle m’a sollicité… Je suis victime, elle est, selon la terminologie que l’Académie tranchera bientôt, prostitueuse ou prostitutrice. En tant que victime, je réclame aussi la garde des enfants et des animaux domestiques. Candide n’y verrait que des avantages, en ce meilleur des mondes que les bisounours de la finance et de la caste politique stipendiée nous préparent. Même Orwell n’y avait pas songé. Nous y sommes par la grâce de divers groupes de pression ayant leurs entrées à Matignon et l’Élysée, mais aussi au siège du parti LR, à celui du PCF, &c. Opposés de façade, mais pour les affaires, c’est le PSLRFN étendu et même distendu.

Je suis contre la prostitution. Idéalement. Peut-être parce que je n’ai pas besoin déjà d’y avoir recours (pure hypothèse, même à l’approche du grand âge), et par principe : peu s’y livrent pour des raisons uniquement altruistes. Appât du gain — pas si facile – et surtout, de manière primordiale, précarité, étroitesse du marché du travail, organisée pour favoriser les plus grosses entreprises, en sont les principales causes. Mais mes idéaux ne me poussent pas à précariser davantage plus démuni que moi. C’est exactement ce qu’ont fait, en toute prétendue sororité, les organisations féministes ayant soutenu la loi. C’est ce qu’à fomenté une partie de l’église catholique romaine en sous-main (le fondateur du Nid, religieux, intellectuel, s’est opposé à la loi). Pour des principes, ou pour du gain, renforcer les réseaux de proxénètes, condamner des « filles de rue » à la ruelle, aux égouts. Dégoût…