Laurent Mauduit, de Mediapart (et d’autres…) a levé le lièvre. Nicolas Sarkozy serait prêt à s’affranchir de la règle voulant que les taux de rémunérations du livret A, autrefois réservé à La Poste et aux Caisses d’Épargne, ne soient plus automatiquement ajustés selon un dispositif réglementaire datant de mai 1986. Ce, sans modifier ce règlement qui serait, à ma connaissance, pour la première fois depuis sa publication, violé. Ce qui revient à faire un somptueux cadeau aux banques : de l’ordre de 400 millions d’euros. Et rendre moins attractif le fameux Livret A, cela revient à encourager des placements plus risqués…

Rappelez-vous. C’était fin 2009. Seules les Caisses d’Épargne et La Poste pouvaient délivrer le Livret national d’Épargne (rouge pour les Caisses, jaune pour La Poste), et le Crédit mutuel émettait un livret bleu soumis aux mêmes règles. Tous les fonds allaient à la Caisse des dépôts et consignations, d’abord pour financer le logement social, puis, en 2008, histoire de favoriser le BTP (et incidemment inciter les gens à devenir propriétaires), pour financer de très grandes infrastructures ou les universités. 

 

Les banksters, avec en tête l’ami de Sarkozy, François Pérol, alors à la banque Rosthschild, ont commencé à mettre la main sur les Caisses d’Épargne et ce fut la création de la désastreuse (pour les petits sociétaires des Caisses et des Banques populaires, fortement incité à souscrire) création de Natixis (un formidable flop boursier, inouï depuis Eurotunnel). Ils ont aussi contribué à décider Sarkozy à supprimer le monopole de distribution. Toutes les banques ont pu proposer le fameux Livret A. Puis ils ont levé l’obligation de consigner 70 % des sommes à la Caisse des dépôts. Une partie de l’argent du Livret A a été plus ou moins joué au casino.

À présent, il est question de s’affranchir des règles de variation du taux du Livret A. Avantage, c’est ce taux qui sert de base pour fixer celui des autres livrets d’épargne réglementés et plafonnés, comme les comptes et plans d’épargne logement, ou l’ex-Codevi (devenu LDD), ou ceux du Crédit mutuel. En fait, tous ces taux font plus ou moins perdre de l’argent aux déposants : ils sont indexés sur l’inflation au sens où la calcule l’Insee, et d’autres critères (Eurobor, Eonia… des taux courts, des taux swap, &c.). Selon son type de consommation, l’argent déposé s’érode plus ou moins.
Or, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, inspiré par l’Élysée, veut faire fi de la réglementation : pour le prochain trimestre, les calculs devraient entraîner une hausse du taux d’un quart de point à compter du 1er février. Eh bien, non, des « circonstances exceptionnelles » conduisent à faire un nouveau somptueux cadeau aux banquiers.

Évaluation : au moins 400 millions

Selon Laurent Mauduit le bonus des banksters serait de l’ordre de 400 millions, tous livrets confondus. De plus, « cette possible transgression de la loi se double d’une faute économique et politique. Car ce mauvais coup intervient au moment précis où le pouvoir d’achat des Français est en train de flancher… ». Il flanche du fait du calcul de l’inflation, et des hausses de la TVA.

Conclusion : « que se passera-t-il si Christian Noyer passant à l’acte, un épargnant introduit un recours devant la justice administrative? En pleine campagne présidentielle, ce serait pour le moins cocasse… ». La suite est prévisible, si ce n’est Laurent Mauduit lui-même, il se trouvera bien un ou plusieurs citoyens pour le faire. Mais la justice pourra prendre son temps.

Voilà 13 ans que les banksters voulaient faire main basse sur le Livret A. Grâce à Sarkozy, et une Christine Lagarde, et maintenant un gouverneur de la Banque de France aux ordres, c’est fait. Mais cela ne leur suffit plus. Chirac n’avait pas trop osé (mais laissé Juppé abaisser le taux du Livret A de 4,5 % à 3,5 %), Sarkozy ose tout ! Le taux devrait rester à 2,25 net, le PEL à 2,50, le Lep à 2,75, et le Cel à 1,5.

« Moralité », Sarkozy ne devrait pas trop peiner à trouver des fonds pour sa campagne électorale auprès du Premier Cercle. Mais qu’il se souvienne de la devise des banksters : personne ne vous oblige à nous aider gratuitement, pourquoi donc nous détester ?

La politique d’aide à l’accession à la propriété, au dépens du logement social, réduit la mobilité des salariés et des artisans, des auto-entrepreneurs, alors que le chômage croissant plaide pour cette mobilité. Sarkozy a réussi non seulement à assécher les fonds du mouvement social, mais à présent aussi à ponctionner les épargnants encore plus lourdement.

La collecte sur livrets a été largement augmentée en 2011. Il y a plus de 60 millions de livrets A, ce qui est d’ailleurs une anomalie (puisque nul n’est censé en détenir plus d’un), dont 1,7 sont au plafond des dépôts. On s’attendait à ce que le montant total des dépôts frôle les 20 milliards d’euros en 2011 (pour un encours total de 280 millions sur le A et le LDD fin novembre). Mais avec la crise, beaucoup pompent déjà sur leurs économies. Voici quelques jours, France Transactions consignait : « avec une hausse de l’inflation, le taux théorique du livret A est pourtant de 2,50% en novembre 2011. Pour 2012, à inflation et niveau de taux d’intérêt constants, le taux du livret A pourrait toucher les 2,50%, voire les 2,75% ! ».

 

Pourtant, des banques font des « promotions » aux nouveaux clients. Avec un taux de 6 % chez Axa, soit un taux net de 3,93 %… mais ce n’est généralement garanti que sur trois mois. La BPE fait mieux : 5 % garantis sur trois mois pour un simple compte courant (mais calculé au-delà de 2000 € de solde créditeur, lit-on en toutes petites lignes).

Noyer annonce froidement : «  je regarderai (…) l’inflation à venir car cela ne servirait à rien d’augmenter le taux pour le rebaisser immédiatement. ». Ah bon ? Un trimestre quand même, et si, du fait des hausses de TVA, l’inflation, qui ne frappe pas toutes et tous de la même manière, réduisait encore davantage le pouvoir d’achat, ne baissait pas ? Et puis la hausse des prix, vous la constatez. Comme celle des tarifs (timbres, transports, énergie).

Hold-up

Noyer ajoutait peu après : « dans la situation actuelle, nous considérons que nous pouvons refinancer massivement les banques sans risque… ». Sans risque pour lui-même, assurément. Il continue de faire croire que les cadeaux de la BCE aux banques vont les inciter à souscrire de la dette souveraine.
Camouflet immédiat de la SocGen : « il n’est pas question d’investir de manière significative dans la dette française. ». Le rôle des banques n’est pas « de se substituer aux investisseurs finaux », estime aussi un analyste.

 

En fait, les taux de rémunération devraient être fixés sur ceux des profits des banques, soit, aussi, fonction de leurs pertes, dans un système vraiment « libéral ». Mais pour les bonus des dirigeants, ce n’est pas le cas : pertes ou profits, ils grimpent. Mais comme on le voit, il y a des réglementations, fort douces et contournables.

L’Express a lâché aussi le morceau : le maintien de taux bas  pourrait « rassurer banquiers et assureurs vie, qui voient d’un très mauvais œil la concurrence accrue de ce produit défiscalisé en période de taux bas. ». Car rien ne les empêche de faire miroiter des taux supérieurs, sur le papier, en gras et en haut de page, qu’ils ne pourront tenir (si le cours des actions et obligations baissent).

 

Du temps du Front populaire, Vincent Auriol s’exclamait : « les banquiers, je les enferme ». Comme le concluait Claude Cabanes, de L’Humanité, « les prédateurs, depuis que le monde est monde, ne sont pas les emprunteurs, mais les prêteurs. Au bout du compte, ils arrivent toujours à se payer sur la bête : le peuple, quoi… On peut lire ça dans Karl Marx. Tiens, un allemand, qui a écrit Das Kapital… ».