Très bonne initiative de Christine Mercadier et Dominique Conil, de Mediapart, qui sous le titre « Voyage en littératures arabes, pour lire les prémices des révolutions » (soit « ce que nos diplomates auraient du lire », mais, bon, là, c’est du mauvais esprit), entament une recension – forcément partielle – de livres à la fois attrayants et fournissant matière à penser.
Je ne vais pas pomper Mediapart, ses articles étant réservés aux abonnés (et de toute façon, je m’y refuse). Ni même résumer. Autrefois, en sociologie, on nous apprenait que la critique marxiste considérait qu’une auteure, un écrivain, devait être envisagé en tant que précurseur. Le génie littéraire tient bien sûr à la formulation, au style, mais aussi, à la portée prémonitoire : la littérature préfigure le devenir d’une société, ou, du moins, les tendances, les courants à l’œuvre. Ce qu’il en advient (les événements) peut évidemment différer de ce qui est pressenti. C’est un peu ce qui a guidé Mercadier et Conil dans leur choix restreint d’œuvres à découvrir.
Poste restante, Alger, de Boualem Sansal (Gallimard initialement, réédité en Folio), ouvre la liste. Le sous-titre, « Lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes », donne le ton. L’auteur, ingénieur et économiste, a été censuré. Voyez ce qu’en dit Max Jacob sur son blogue, D’un livre à l’autre. On connait mieux en France Tahar Ben Jelloun que d’autres auteurs, son Étincelle (parue récemment, cette année, chez Gallimard) est une réaction à chaud à la suite des événements de Tunisie.
Vivant depuis peu en France, Kaouther Adimi est signalée avec Des ballerines de Papicha (chez Actes Sud). La vie de quartier à Alger vue (et vécue) par une talentueuse conteuse. Ses ballerines ont droit à une page sur Facebook, allez donc voir (mais elle n’a pas de blogue, que je sache, et la page n’est pas sa propre création).
Actes Sud propose aussi, de cette auteure que l’on devine facétieuse (là, je vais pomper sa photo, portrait espiègle que je devine issu de la promo de l’éditeur, donc, ce n’est pas tout à fait du pillage de Mediapart, enfin, si, mais bon… s’ils ne me le pardonnent pas, elle me le passera…), un L’Envers des autres.
Extrait du prière d’insérer : « Dans une société étriquée par les convenances, dans un pays qu’on quitte plus facilement qu’on ne l’aime, être simplement soi-même est un luxe auquel la jeunesse n’a pas droit… ».
Le titre est explicite : Ce que Tunis ne m’a pas dit. Kaouther Khlifi, d’après ce que je lis (sur Mediapart) semble s’être inspirée des chroniques des quartiers du Caire de… Naghib Mahfouz. Bon, je peux me tromper (eh, je suis comme vous, pour la plupart, je découvre, et je n’ai pas lu ce Tunis khlifien ; enfin, pas déjà). Toujours Tunis avec le Dedans, Dehors, de Sophie Bessis chez Elyzad. Bessis est une Franco-Tunisienne, d’ascendances juives. On espère que son entretien avec Anna Musso de L’Humanité sera prémonitoire et non démenti par les faits, soit ceux des lendemains d’élections en Tunisie.
Autre genre, l’essai sous forme d’entretiens, avec Être arabe (Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar), chez Actes Sud. Bien évidemment, l’arabité est diversité.
On attendait bien sûr, dans cette liste, des auteurs de Libye et de Syrie. Hisham Matar, Libyen exilé, avec Au pays des hommes (Denoël), retrace le climat de répression en Lybie à la fin des années 1970. Le Syrien Ammar Abdulhamid, avec Dérèglements (Sabine Wespieser éd.), dévoile la perception de la pax americana par les Levantins et leurs voisins.
Pour l’Égypte, le choix est plus vaste en anglais qu’en français. Miral Al Tahawy, avec Les Hauteurs de Brooklyn, gagne sans doute à être lue en anglais, mais La Tente (bédouine), parue chez Paris-Méditerranée, se trouve encore neuf ou d’occasion. Laissez-vous… tenter, par ses nouvelles, parfois traduites (dans des revues). Cherchez.
Marcandier et Conil s’en tiennent là, pour l’édition du jour, mais promettent sept autres volets (et autant d’articles, donc), le dernier volet étant confié à Dominique Bry, qui traitera de la BD. À mon sens, dans un prochain volet, Conil risque d’y glisser Le Mensonge de Dieu, de Mohamed Benchicou (publié en France par Michalon, chroniqué sur Come4News). Voici ce qu’il en dit en réponse à mon commentaire : « Belle piste de lecture, en effet. Mohamed Benchicou ( une des bêtes noires de la censure algérienne) est d’ailleurs interviewé dans le numéro de Métropolis dont le lien figure en "Prolonger", encore visible quelques jours ( Arte +7) ». Décryptage : Mediapart présente généralement trois volets, celui de l’article, l’onglet des commentaires, et un onglet intitulé « Prolonger » qui donne des pistes pour s’informer plus avant. Par exemple, en allant à Toulouse à l’occasion du festival Le Marathon des mots (23 au 26 juin prochains) qui comportera une manifestation intitulée « Chronique d’un printemps arabe… ».
Dans les commentaires sont aussi signalés le livre du Marocain M’hamed Lachkar, Courbis, mon chemin vers la vérité et le pardon et d’autres auteurs. Mais aussi une participation d’auteurs du Maghreb et du Machrek au festival Écrivains en bord de mer (La Baule, 20-24 juillet prochains). Pour prolonger vous-même, vous pouvez aussi vous reporter à Wikipedia (article « Littérature algérienne », recension d’auteur·e·s de l’article « Littérature marocaine », et l’entrée « littérature francophone tunisienne » ; pas de littérature libyenne sur Wikipedia mais vous trouverez des blogues… oh, et puis, si cela vous intéresse vraiment, vous saurez chercher).
Second volet, les récits centrés sur l’habitat (maison, immeuble).
Voici la liste :
• Alaa El Aswany, [i]L’Immeuble Yacoubian[/i], traduction de l’arabe (Égypte) par Gilles Gauthier, Babel, 324 p., 8 euros ;
• Maïssa Bey, [i]Bleu, blanc, vert, Points[/i], 283 p., 6,65 euros ;
• Hassan Daoud, [i]L’Immeuble de Mathilde[/i], traduit de l’arabe par Youssef Sedik, Actes Sud, 178 pages, 17,99 euros ;
• Jabbour Douhaihy, Rose [i]Foutain motel[/i], traduit de l’arabe (Liban) par Emmanuel Varlet, Actes Sud, 330 pages, 21,66 euros ;
• Mohamed Nedali, [i]La Maison de Cicine[/i], éd. de l’Aube, 240 pages, 23 euros.
• Ammar Abdulhamid, [i]Dérèglements[/i], traduit de l’anglais (Syrie) par Stéphane Camille, Sabine Wiespeser éditeur, 194 pages, 19 euros.
J’ai beaucoup apprécié ce « traduit de l’anglais (Syrie) ». 😉
Les ingrats ! On les occupe, protège (protectorat), et « ils » nous remercient, à peine un demi-siècle après, en écrivant en anglais et non en français ? Nan ! 😉
Bon, cela s’explique. Extrait de l’article de Conil : « [i]En regard de[/i] Dérèglements, [i]les [/i]Versets sataniques [i]de Rushdie font figure de timide audace. La référence n’est pas gratuite: c’est à cause de la fatwa lancée contre l’écrivain que le jeune Ammar Abdulhamid, tenté par le fondamentalisme, s’est éloigné de la religion pour aller vers la littérature. Son roman fut écrit en anglais, publié à Londres, diffusé via le Liban, mais l’auteur vivait à Damas lors de sa parution.[/i] ».
Pour prolonger, visitez donc ce blogue-notes :
[url]http://letaodumigrant.hautetfort.com/litterature-libanaise/[/url]
C’est le blogue de Moustapha Harzoune :
Journaliste, membre de la rédaction de la revue Hommes & Migrations, collaborateur à la CNHI, Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration ;
Éditeur aux éditions de L’Arganier, responsable de la collection « Rives Sud » ;
Coauteur avec Samia Messaoudi de [i]Paroles kabyles[/i], édition Albin Michel ;
Auteur du Guide culturel des prénoms arabes, édition de l’Arganier.
Pas trouvé le titre original (en anglais, donc) de [i]Dérèglements[/i]. Pourtant, j’ai cherché.
Rectificatif : zut, zut, zut et rezut, j’avais survolé l’article de Dominique Conil trop vite. Or donc : « Le titre original de [i]Dérèglements[/i], c’est [i]Menstruation[/i] ( je crois que cela figure dans l’article) et la maison d’édition anglaise est Saqi books, qui publie également de nombreuses traductions de l’arabe. » (de Dominique Conil, via les commentaires de [i]Mediapart[/i]).
Je vous pardonne avec joie l’utilisation de ma photo 🙂 Merci pour cet article ! K.
Merci d’être passée, Chère Kaouther.