Dès le début de 2008, j’avais publié plusieurs articles sur l’affaire KERVIEL (30 janvier dont extrait ci-dessous, 2 et 9 février 2008) sur C4N qui permettent aujourd’hui avec 3 ans de recul de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette histoire et l’incompréhension qui règne suite à la condamnation très sévère de celui qui n’est rien d’autre qu’un bouc émissaire idéal, d’autant plus que son caractère breton, têtu et renfrogné (je sais de quoi je parle !) n’a pas plaidé en sa faveur dans le procès.

Extrait de mon article du 30 janvier 2008 : « L’AFFAIRE SOCIETE GENERALE SUR FOND DE CRISE DES SUBPRIME… »

« Début novembre 2007, la Société Générale est la première banque française à publier ses résultats. Elle dévoile un profit en baisse du fait de la crise des Subprime, qui l’a obligée à des dépréciations plus lourdes que prévues. La banque annonce un résultat net en repli de 11,5% au troisième trimestre. A l’époque, elle dit avoir passé 404 millions d’euros de dépréciations dans ses comptes du 3e trimestre, dont 230 millions au titre de son exposition aux Subprime. Un chiffre sans commune mesure avec les 10 milliards (environ) de dépréciations dévoilées au même moment par le groupe bancaire américain Citigroup (première groupe bancaire mondiale), mais qui est supérieur à celui annoncé par la banque française en septembre. Pour chiffrer son exposition aux Subprimes, la Société Générale a retenu l’hypothèse du scénario le plus pessimiste, correspondant à une perte d’environ 200 milliards de dollars pour l’ensemble du secteur immobilier résidentiel américain. Le reste des dépréciations est lié à la crise des marchés du crédit, qui a conduit la banque à reconsidérer son risque et inscrire des provisions de 98 millions d’euros sur son portefeuille de prêts de LBO (rachat par effet de levier) et de 76 millions sur ses activités d’incubation de hedge funds. Les analystes économiques accueillent avec soulagement ces résultats, le titre de la Générale bondit avant de baisser suite à des rumeurs sur la faillite d’un fonds non identifié. Toutefois, les analystes concluent que les réseaux France (Société Générale et Crédit du Nord) n’ont pas été affectés par l’environnement difficile des marchés financiers, mais ont bénéficié au contraire de la hausse des taux d’intérêt et de la volatilité boursière : La marge d’intérêt affichant une hausse de 3,5% et les commissions financières de 14,1%.

« Deux mois et demi plus tard, le jeudi 24 janvier 2008, la Société générale révèle avoir été victime d’une fraude massive d’un montant de 4,9 milliards d’euros – un montant qui sera révisé à la baisse (4,8 milliards) par Daniel Bouton, son PDG, quelques jours plus tard – auxquels s’ajoutent 2 milliards de pertes liées à la crise des Subprimes, soit un total de 6,9 milliards. La fraude a été commise par un seul courtier qui n’a pas révélé à la hiérarchie de la banque des positions prises sur les marchés. Malgré cette perte colossale, le bénéfice net de la banque, l’une des trois principales banques françaises, sera positif en 2007, estimé entre 600 et 800 millions d’euros, soit environ 8 fois inférieur au résultat net de 5,221 milliards de 2006. La SG avec un CA (produit net bancaire) de 22,4 milliards d’euros et 29,1 milliards de capitaux propres au 31 décembre 2006, aurait pu connaître son « jeudi noir » sous forme d’un dépôt de bilan, si la position prise par le trader incriminé, soit 50 milliards, n’avait pas été débouclée à temps.

« Une note explicative de la Société Générale du 27 janvier 2008, concernant la fraude exceptionnelle, décrit les activités d’arbitrage, le mode opératoire de la fraude, les conditions dans lesquelles la fraude a été découverte, le débouclage de la position frauduleuse et les actions immédiates engagées, tels qu’ils ont été investigués par Société Générale au 26 janvier 2008. Cette note précise que dans le cadre du développement de ses activités d’arbitrage, la Société Générale a mis en place un grand nombre de contrôles permettant de les encadrer et que la fraude exceptionnelle qui a touché la banque a consisté à détourner ces contrôles ou à les rendre inopérants par le biais d’opérations fictives enregistrées dans les systèmes de Société Générale ne correspondant à aucune réalité économique. Par ailleurs, ce document ajoute que le trader incriminé était salarié du Groupe depuis 2000 ; qu’il avait travaillé pendant 5 ans en tant qu’agent de différents middle-offices (l’un des départements qui contrôle les traders), et qu’il était devenu en 2005 trader dans la division en charge des arbitrages. Il s’occupait d’opérations sur les contrats à terme (Futures) sur indices européens, qui faisaient l’objet de contrôles quotidiens et notamment d’appels de marges avec les principales chambres de compensation. Le trader aurait fait croire que ses positions s’équilibraient grâce à des contreparties fictives, et grâce à son expérience des procédures en place.

« Ces fraudes auraient été découvertes dès le vendredi 18 janvier : Une position anormalement élevée de risque de contrepartie sur un courtier avait été détectée dans les jours précédents. Le 19 janvier, le trader reconnaît avoir commis des irrégularités et, en particulier, avoir créé des opérations fictives. L’équipe d’investigation commence à détecter la position réelle. Le 20 janvier, l’ensemble des positions sont identifiées. Daniel Bouton avertit immédiatement le Gouverneur de la Banque de France. Le 21 janvier, on déboucle la position frauduleuse dans des conditions de marchés particulièrement défavorables (les marchés perdent 6,83%). Celle-ci sera définitivement fermée le 23 janvier. Le 24 janvier, avant l’ouverture des marchés, la Société Générale informe les marchés de la fraude et demande la suspension de son cours. Cette position s’élevait à environ 50 milliards d’euros de nominal équivalent.

« Même si ces explications paraissent tout à fait plausibles, on peut s’interroger à partir d’autres éléments insignifiants mais étranges, relevés à la même période, ou d’expériences vécues quelques années auparavant. Tout d’abord, comment un jeune ayant seulement quelques années d’expérience et qui n’est pas un spécialiste de l’informatique, peut-il dissimuler des opérations fictives sans que son entourage certainement plus expérimenté que lui, et les procédures de contrôle mises en place ne détectent les « dérives ». Sur les marchés optionnels, il y a des appels de marge régulièrement pour couvrir les positions et éviter toute situation irréversible. Dans le cas de la Barings, c’était différent. Il y avait bien un compte fictif 88888, par lequel transitaient des opérations à terme, mais les appels de marge réclamés pour couvrir les positions sur le Nikkei étaient toujours honorés par des transferts de fonds du siège social au compte de la filiale de Singapour, car Nick Leeson trouvait toujours des justifications à ses engagements. Interrogé récemment sur l’affaire de la Générale, il a considéré que « l’ampleur de la fraude dépassait l’entendement. Les gens du règlement chez SocGen auraient dû se rendre compte que quelque chose n’allait pas ». Et il ajoute que ce genre de scandale est monnaie courante : « Je pense même que cela arrive tous les jours. Ils se font attraper rapidement et ils sont virés. Les banques n’en font pas la pub et tout le monde se remet au travail".Etudions justement le cas de la Barings » (l’Express.fr, 25/01/08). Si on en juge par le nombre de procès en cours aux Etats-Unis contre des courtiers véreux on ne peut que lui donner raison. En 2003, « Plus de 1.000 victimes et des millions de dollars de préjudice : 47 courtiers de Wall Street sur les marchés des changes de New York sont poursuivis pour « des actes criminels », a annoncé dans un communiqué le procureur du district sud de la ville, James Comey qui ajoute : « Il y a peut-être des activités légales, mais il y a beaucoup de requins dans ces eaux » (AFP, 19 novembre 2003). Voir aussi mon ouvrage « KRACH 2007 : la vague scélérate des subprimes », Le Manuscrit, novembre 2007…… »

Dans cet article du 30 janvier 2008 il y a déjà de nombreux éléments de réflexion qui nous permettent de mieux appréhender la condamnation de Jérôme Kerviel   :

–       Fin 2007, la SG a menti à plusieurs reprises sur ses pertes causées par les subprimes, et comme par hasard c’est à ce moment là qu’est intervenue l’affaire Kerviel (un étrange concours de circonstances). C’est une technique des marchés financiers, pour ne pas paniquer les actionnaires et les clients (voir la crise des technologiques en 2001 et plus récemment des subprimes en 2007), que d’annoncer progressivement et au compte-gouttes les mauvaises nouvelles afin de lisser dans le temps les « profit warnings ». Les politiques font de même avec la croissance dont les prévisions sont passées en quelques mois de 2,5 % à 2 % puis à 1,5 % et ce n’est pas fini… La Société Générale a annoncé fin janvier 2008 quasi-simultanément les pertes de Kerviel (4,9 milliards d’euros) et les pertes sur les Subprimes (2 milliards d’euros). Ce n’est pas une coïncidence, c’était un moyen de mieux faire passer la pilule après avoir triché durant des mois en focalisant les déboires de la Générale sur Kerviel « ni vu ni connu, je t’embrouille ». Comme ce n’est pas Kerviel qui a débouclé sa position de 50 milliards d’euros, on ne saura jamais si la SG l’a bien débouclée le lundi ou a attendu plus tard pour que la perte soit inférieure (les Bourses ont connu une reprise les jours suivants !), ce qui aurait pu donner – sans revenir sur le total de 6,9 milliards de pertes ­– 2 milliards de pertes (environ) sur le dos de Kerviel et… 4,9 milliards de pertes dues aux Subprimes ! Y-a-t-il eu Messieurs les juges un audit indépendant (vraiment indépendant) des comptes de la SG pour toutes ces opérations sur la période objet du litige ?

–       Lorsque certains disent que parler d’incompétence des supérieurs c’est un peu trop facile, je voudrais vous répondre que certains des supérieurs de Kerviel ne connaissaient rien (ou presque) aux produits dérivés et à toutes ces procédures seulement maîtrisées (et pas toujours !) par le Front-Office (les vendeurs), car certains n’ont fréquenté que le Back-Office (les comptables qui enregistrent les opérations). J’ai, pour compte propre, évolué dans le monde du trading en contact avec les teneurs et salles de marchés, pour des millions d’euros et j’ai pu me rendre compte que la machine fonctionnait correctement avec des appels de fonds quotidiens qui empêchaient que l’on fasse n’importe quoi et qu’une position trop élevée ne soit pas couverte. Mais ici nous sommes du côté des autorités des marchés et des chambres de compensation. Cela ne signifie pas que du côté des banques tout est nickel et que les applications et les procédures informatiques fonctionnent parfaitement. Tant que l’on n’a pas participé à un gros projet avec la mise en place d’une nouvelle application informatique qui implique tous les services de l’entreprise, on ne peut pas comprendre qu’il existe une forte probabilité pour qu’il y ait des bugs et des dysfonctionnements vu les rivalités qui existent au sein de tout projet entre les intervenants internes et extérieurs, voire entre les intervenants en interne eux-mêmes. J’ai prouvé à au moins deux banques et pas des moindres (une filiale de la Générale et une qui a coûté une fortune aux français), que leur système n’était pas fiable en faisant des opérations non autorisées (soi-disant), qui ont été ensuite régularisées car c’était un test et je ne comptais aucunement frauder… Par ailleurs, j’ai prouvé par A+B au service Warrants de la Générale (le plus gros pourvoyeur de warrants en Europe) qu’il y avait des bugs dans son application warrant (quotité non respectée – il n’y a plus de quotité actuellement – absence de contreparties, cotations erronées…). Je pourrais vous trouver ainsi d’autres explications (voir pour plus de détails mon livre : « Voyage au centre de la Bourse », 2 tomes 800 pages, Le Manuscrit, 2002).

–       Condamner Kerviel à une peine de 5 ans (dont 3 ferme) après toutes les informations que je viens de donner montre bien peu d’objectivité ou une méconnaissance partielle voire totale de tous ces précieux éléments de la part de ceux qui l’ont jugé. Le supérieurs sont responsables au moins autant. Pour preuve, les procédures existantes dans le domaine de l’investissement des particuliers ou la gestion de patrimoine. En 1997, j’étais conseiller et trésorier d’un très gros club d’investissement d’une filiale de la SG à Neuilly. J’administrais ce club avec le gestionnaire de patrimoine de la banque et nous nous réunissions comme tous les clubs régulièrement pour décider des investissements à faire, dans les locaux de la banque. Un jour suite à une erreur de transcription le club a acheté par inadvertance une action dont personne ne voulait. Le gestionnaire de patrimoine de la banque a proposé de faire un transfert de cette opération sur un compte dont il disposait dans le même établissement, car il était à titre personnel intéressé par l’achat de ce titre. Jusqu’à là rien d’anormal, sauf que les plus hautes autorités de la banque ayant eu vent de cette mini-opération, ont considéré que cette manière d’agir était contraire aux procédures pire délictueuse. Pour quelques dizaines d’euros le malheureux – que j’ai essayé de défendre jusqu’au bout aidé en cela par un membre du club ancien dirigeant d’une compagnie pétrolière –, a été licencié en moins d’une semaine pour faute grave… C’est la preuve qu’il existe un filtre très efficace pour toute dérive ou pseudo-dérive. Or, dans le cas de Kerviel la SG n’a pas été capable de s’apercevoir que pendant plusieurs mois un autre membre de son personnel fait des transferts de plusieurs milliards d’euros à son insu et sans accord.

Franchement, avec tout le respect que je vous dois, Messieurs les juges du tribunal correctionnel de Paris, tout cela n’est pas logique, cohérent et sérieux… reconnaissez-le !

Cette décision de justice est d’autant moins claire et compréhensible que : Le lendemain de l’annonce par le président de la banque d’une fraude de son employé, les services du procureur de Paris ont précisé « que le délit imputé à Jérôme Kerviel n’était pas automatiquement constitué. Le trader est payé pour acheter et vendre et le seul fait qu’il ait perdu, même des sommes importantes, ne le désigne pas comme coupable ». On pourrait compléter la déclaration du procureur de Paris par ce proverbe boursier : « tant qu’on n’a pas vendu, on n’a pas perdu ». Jérôme Kerviel n’a jamais vendu ses call sur indices (options), ce sont les services de la Société Générale qui l’ont fait (ou l’ont contraint de le faire). La responsabilité de la perte incombe donc bien en totalité sur ce point à la Société Générale.