Par l’auteur des Nouveaux Cons (saisons I & II), du Masque de Bernardo, d’Osez coucher pour réussir, Sexersixtes de styles, L’(r)Ut final, et quelques autres titres trop longs pour que je les encoquille, voici donc ce fort singulier Le Prochain Goncourt. Titre qui n’aurait rien de présomptueux si les jurés du Ritz-Paris-Hemingway n’avaient décidé de se reformer en cénacle pour l’occasion et le couronner dans la salle de L’Espadon, faisant ainsi la nique à ceux du Drouant. La trame narrative en étant inénarrable, je m’en dispense pour vous entretenir de nécessaires et je l’espère, roboratives, considérations adjuvantes.     

J’aurais tenté (j’aurais, mais…), de chaque chapitre, consigner la phrase la plus plate et factuelle, de celles, rares, permettant de reprendre sa respiration et espérer que s’estompe la crampe qui vous décroche la mâchoire — ou la cuisante rougeur de ses cuisses. Car les autres, je les réserve à mes potes de comptoir. C’est bien naturel. Comment narrer la dynastique saga des Coffe et de leurs tartes au potiron ? Qu’un drame sordide suffira à briser, telle leur sublime pâte aux rouflaquettes ébouriffantes ? Quel sort ultime pour une telle destinée matriarcale aux amantes ? Nous le saurons peut-être quand paraîtra, chez Michalon encore, les multiples suites du premier tome d’Étienne Liebig, le Curnonsky de Tartifume de la chronique érudite et gourmande d’un millénaire en jachère, celles du Prochain Goncourt que les Nobel envisagent déjà ceindre des lauriers d’un putatif Priset i litteratur sans se soucier le moins du monde du précédent Ritz-Paris-Hemingway .

Qui pourrait oublier Le Masque de Bernardo ? Ce fabuleux, bondissant, haletant récit de cape, d’épée et de tamales au chorizo farci d’ananas ? Qui, après avoir relu pour la xième fois ce chef d’œuvre, sis en califourchon de la Californie – pardonnez le faible contrepet – se plongerait dans ce Prochain Goncourt sera d’emblée décontenancé. Étienne Liebig remanie et relève la métaphore culinaire mais le pétrissage, cette fois, de prime abord, semble emprunté d’indécision. Tout s’explicite rapidement, se dévoile et déploie, nimbé de majesté. Car le subodoré initial mute, empyreume insolite auquel succède l’exhalaison subtile d’un pudding aux restes – fraîchement sanguinolents de la dépouille du myroblite Jean-Pierre Coffe, dont émane déjà le fumet de la béatitude prochaine – mais traité en feuilleté, poché de delicatessen avant parution au format homonyme, subtilement nappé d’effluves versicolores aux incertaines orientales ou australes origines.

Longtemps je me suis couché à point d’heure, celle du potron-minet, quand la marquise de Mauriac-Heilialogenztein rejoint son carrosse après de folles bacchanales, échevelée, ointe du baume épais qu’une Cinderella versée dans l’osmologie dénoterait teinté de cyprine sui generis et autres, de liqueurs séminales à peine épurées des suites d’une aspermie bientôt, proliférant (adv. inv.), invasive. Mais nul lauré d’un Goncourt, si ce n’est fort ancien et par inadvertance, onc n’empila mes tas ou rayonnages, jamais nul grog tiédi renversé d’un thermos n’en boursoufla, de mes piles, les pages.  Épiphanie : ce Prochain Goncourt est l’œuvre de nègres et mulâtresses littéraires s’efforçant d’échafauder, par strates successives, une pochade impériale à l’anis, potache pastiche (comme Truman Capote, j’affectionne les allitérations, mais un Casanis, ça va, deux Ricard passent encore, mais trois 51 d’affilée, cul sec, bonjour les dégâts ! c’est à ne plus pouvoir gargariser le trois de 153) « à la bouillon-cube », arôme Liebig.

Ces nègres comblés et ghostwriteresses heureuses n’ont guère été inspirés par Leblanc (Maurice) : l’inspecteur Weyergland – le San Antonio limousin – et sa binôme Marie Ndxwsiaye, peinent, poussifs, à discerner chez H.K. les prémisses de la rancœur assassine d’un Lupin gâteux perclus de ressentiment albuminique longuement régurgité. Après tout, je peux bien laisser pressentir l’épilogue, humé dès la page 181, ouvrant le chapitre « l’art français de l’agraire » : la trame est fort secondaire, mais l’intérêt ne s’émousse pas. D’ailleurs, ici, l’inséré supplicant restera inexaucé : nul besoin de livrer la liste des onze primé·e·s fournissant autant de chapitres qu’une sorte de colophon de Liebig énumère trop complaisamment. Quant au procédé, il est fort excusable. Comment croyez-vous donc que je vous présente Le Prochain Goncourt si ce n’est en pillant le Grand Bob et PickwickPedia ? Ne disposant pas des moyens que Salim Laïbi, s’intitulant « Le Libre Penseur » (c’est en .org, stalino-sorélien), attribue à Liebig, je ne peux me payer un Louis Pergaud (ah bon ? il est déjà mort ? je croyais que c’était Bory qui venait d’alimenter la rubrique nécrologique) – évoquant Bory, Jean-Louis, et son Village à l’heure allemande, je me demande si Jonathan Littell ne l’a pas copieusement pompé pour son chapitre du Prochain Konzgour, heu, Goncourt – et cette chronique, comme hélas, tant d’autres, n’est que de moi… alors que j’ai fort mieux à faire. Dommage, un Michel Houellebecq ou une Marie NDiaye concoctant une tombeurienne rubrique « à la Liebig », ce serait peut-être d’une autre tenue. Pour cause de lavage, j’ai mué mon peignoir poussin pétulant de chez Acqua di Parma, qui m’est ce que sa robe de chambre était à Balzac, et dont le jaune est à cette maison ce que le bleu fut à Klein, pour un Yves Delorme de plus vulgaire confection, caca d’oie, ce qui explique sans doute cela. Ma prose s’en ressent. La postérité m’absoudra.

Le prétexte a été soufflé par Liebig, par ailleurs anthropologue, à ses petites mains : le pain, la mie blanche que l’on déchire en longs lambeaux, après avoir cassé les levées de protubérante croûte dorée, arraché le quignon pour s’en gaver. Thème inépuisable des civilisationnistes, mais trop balisé, rebattu. Ce sera donc la, les tartes à la citrouille. En miniatures ou taille Grimm, aussi aschenputtelisées que le postérieur d’une Fanny limougeaude de carte postale, et au final, colossale (sans marque du pluriel, car unique, carinthienne telle l’amoncellement du concours du plus gros mangeur de Kaiserschmarm mit Zwetschkenröster).

Chez Liebig chef d’orchestre, tambour majeur, il y a du Dos Passos, du Conrad, de la Yourcenar et maints autres. Ses exécutant·e·s se hissent fréquemment aux divers étiages de ces sommités (à moins qu’il faille y voir la patte de Liebig soi-même au pétrin). Daudet n’aurait pas mieux campé leurs Tartarin creusois. Jarnages… Jarnages par la bocherie débaucheuse désolée, Jarnages par les hordes boulangères ottomanes submergée, Jarnages ravagée du souvenir enseveli des mânes d’un Coffe étouffé de tarte à la citrouille lauréate d’un Livre des Records pâtissiers, Jarnages à jamais orpheline dévastée, à la hussarde troussée, désertée, abandonnée.  Dos Passos, là où Bernard Henri-Lévy n’a qu’un unique personnage, en campe de multiples, aux destins imbriqués. Ce sera encore plus patent de la part de Liebig quand paraîtra Le Goncourt de l’an 2025, puis Le Goncourt inespéré, enfin L’Ultime Goncourt, qui fera renaître une Jarnages revivifiée, revitalisée, devenue berceau de la raie gominée, capitale de la coupe aux deux demi-bols (façon Mireille Mathieu et Louise Brooks d’Hugo Pratt, mais effilée asymétrique sur la nuque).  Vous n’entravez rien, c’est normal… c’est juste pour signifier subrepticement à ce Paganini littéraire qu’est Liebig que je n’ai pas seulement feuilleté l’ouvrage… Mais je ne voudrais pas vous ennuyer en égrenant les références des pages évoquant, en crescendo croissant du moderato espressivo à l’allegro appassionato puis au vivacissimo, les arts capillaires. Aucun couac, aucun Cahuzac, dans ce glissement progressif vers la reconversion triomphale de Jarnages, future métropole universelle du carré crêpé meringué, dit KoifCof’ en hommage à la vocation traditionnelle du cru. Mais ne nous projetons pas trop tôt dans l’exploration prédictive des possibles…

Pâtisserie-patischerie : le pistache de la couverture, à la Galligrasseuil, éveille les papilles. Elles seront gorgées, titillées, ensirupées, persillées et massées des plus exotiques et plus franchouillardes saveurs au fil des pages. La Creuse n’a jamais tant été gonflée d’évocations tumultueuses sébasto-johanniques, de pizzicati à la Leslie Satie, de riffs à la Hendrix, d’amples pavanes à la… mais je vous en ménage la surprise, à déguster en laissant à une comparse le soin de vous taper sur les cuisses, et à un proche celui de vous tourner les pages, de crainte que l’ouvrage ne vous tombe des mains entre deux pouffées, maints tonitruants éclats… Vous n’échapperez cependant pas à de lacrymaux esbaudissements. Prévoir le plus large modèle issu de la capitale du mouchoir, un vrai choletais.

Passant, avec l’Oberküchengrossführer Bess, infâme émule de l’Hoptegeneral Hansi von Vonvonlepptitmarionetz, des heures les plus sombres aux plus radieuses et prestigieuses de notre histoire culinaire, littéraire, législative et militaire, qui vit les Coffe, mères, aieules, pères, filles, amants, maitresses, concubines et gigolos, laisser pantoise la glotte du personnage du Belge Hergé aux Amériques, la bande à Liebig, ce Fugain doté d’un himalayen talent – communicatif, aussi – littéraire, ce Big Bazar de la prose à laquelle sera à jamais épargnée la ménopause, sous sa direction exaltée, surpasserait presque le maestro. Nos onze Gongourt goûtent enfin, aux confins du sublime, ce qu’un impétueux team managing, finement rôdé au just in time, peut donner libéralement à la gent lectrice.

J’en tousse encore d’hilarité. J’en glousse in petto de facétie. Ce précieux canular, faute d’avoir recours à un solide lavement au préalable, impose de se munir avant lecture de tampons pour s’épargner les conséquences de flatulences intempestives par trop grasses (un rouleau miniature Küchenprofi, marque parrainant  ce travail d’équipe, peut à la rigueur convenir).

Ces quelque 270 pages, augmentées d’un synoptique et d’un récapitulatif (alphabétique, dont on peut regretter qu’il ne suit pas l’ordre d’apparition des personnages), et de l’appareillage séant à un tel morceau de bravoure, est bradé à moins de 17,99 euros… si vous savez marchander. De nombreux vols ayant été signalés par les libraires, dès la sortie et le subséquent empilage, l’ouvrage a été retiré des devantures non blindées et de la plupart des tables : précipitez-vous – dare-dare – si vous ne supportez d’attendre un retirage.

Les plus congrus et férues de prose passée par chez Drouant retrouveront sans doute dans la table des matières ce fumet de revenez-y, ce je-ne-sais-quoi de familier. La voici, augmentée subrepticement :

• La tarte et le méritoire ;
• Les malvoyantes ;
• Cinglé, ça bourre ! Rouleau de patience ;
• Allô Babasong (non mais…) ;
• Le soleil des Coffe (rôtissant les bananiers babyloniens) ;
• Trois flemmes puissantes (sans transit ni transat, ni soulier, ni patin) ;
• La maîtresse de Küch (Kinder-Kirche Bueno, ou Vera à la côtelette normande) ;
• L’art français de l’agraire grégaire ;
• Les sombres et les chiantes ;
• Trois jours chez l’Amer imbuvable (récit piconarresque) ;
• Le sermon sur la chute des cheveux, suivi de l’auréolé-olé ;

Je sais, c’est fat, cuistre, mais ne pusse m’en retenir.

Liebig, Estienne de (dit Étienne), Le Prochain Goncourt, Michalon, Mont-Sainte-Geneviève, 2013

 

P.-S. – Je ne peux omettre de vous signaler, sur le site intercommunal Jarnages-Pierre-Blanche (jarnages.fr), la pétition en ligne intitulée « Oui au développement économique ! Non à l’aire de grand passage ! ». Songez que l’inspecteur Weyergland a été muté et que depuis, les brigades de gendarmerie ont été délocalisées à Gouzon et Sainte-Feyre. Qu’on doit refuser les enfants Rroms, chers à Étienne Liebig, aux portes de la communale qui ne compte plus que quatre classes (impossible « d’accueillir des enfants supplémentaires pendant les périodes de passage (pourtant ce qui est une obligation pour les communes) ». Mais, le funeste projet scellerait-il « définitivement » le sort de Jarnages ? L’auteur de De l’utilité des Roms : une peur populaire transformée en racisme d’État (chez Michalon aussi) saura-t-il se montrer suffisamment pédagogue ? Certes, ces gens du voyage à la tignasse hirsute fréquentent peu les salons des créatrices et innovateurs capillaires ; mais une Sainte-Lorna-de-Jarnages, du nom de cette nonne de la Confrérie de la Providentielle Farine, ne serait-elle point apte à détourner touristes et pénitents des rives méditerranéennes ? À méditer… lors des neuvaines implorant la bienheureuse Lorna, ou des veillées autour d’une tarte à la citrouille.

N.-B. – Pour une présentation plus conforme à la norme, lire la chronique littéraire d’Émile Cougut, « hénaurme, facétieux, brillant, intelligent, on en redemande ». C’est sur Wukali.