C’est bientôt la fête musulmane de l’Aïd, et les moutons viennent à manquer à Tripoli. La télévision Libya Hora avait annoncé vendredi dernier que des moutons seraient distribués gratuitement. Comme rien ne venait, quelques centaines de personnes sont allé assiéger le siège du Conseil local transitoire tripolitain. Pour réclamer de quoi acheter un mouton à sacrifier. L’émeute a fini par être matée, sans autre victime qu’un garde armé blessé. Mais les Kadhafi morts ou en fuite, bien d’autres les remplacent au pied levé…

La différence entre la confiscation des biens par les milices de Kadhafi et les prélèvements des milices « révolutionnaires » c’est que ces dernières tendent – parfois – un reçu.

Qui n’est opposable à personne, de fait.

La fiction d’un soulèvement pacifique initial a pris de l’eau et la suivante, voulant que Kadhafi rase Benghazi alors qu’il n’en avait pas les moyens militaires (ce que l’Otan n’ignorait guère) a fait son temps.

Un film de Julien Teil, diffusée par le site La Guerre humanitaire (bizarrement rendu difficilement accessible), est assez édifiant. Partial, peut-être, mais fort éloquent.

Julien Teil a quelque peu piégé Soliman Bouchuiguir, à Genève.

Ce dirigeant de la Ligue libyenne des droits de l’Homme, affirmait un nombre incroyable de meurtres et de viols de la part des milices de Kadhafi. En fait, il n’avait répercuté que des chiffres fournis par Jibril. Alors que des documents de la Cour pénale internationale arrivaient à des chiffres très, très largement inférieurs. Il se trouve que le rapport public de la CPI a été expurgé de nombreuses pages, mais les articles de Fox News ou les dépositions de la Ligue libyenne figurent en bonne place. « Il n’y a pas de preuves, il n’y a pas de documents, » finit par déclarer Soliman Bouchuiguir. Ali Zeidan, ancien membre du CNT, et d’actuels autres membres, du CNT, ont fourni les chiffres.

Bien évidemment, il existe des preuves indubitables de la répression par le régime de Kadhafi. Mais selon l’armée russe, qui surveillait Benghazi par satellite, aucune attaque aérienne de l’aviation loyaliste n’a été dirigée contre la ville, contrairement à ce que la presse internationale rapportait. Peut-être s’agit-il de contre-propagande, mais le fait que le régime de Kadhafi a été éliminé à la suite d’un complot ne relève pas tout à fait d’une fumeuse théorie.

Pas davantage, en tout cas, que le démenti de la possession d’armes de destruction massives par le régime irakien de Saddam Hussein. À présent, une partie de la presse américaine rapporte que l’al-Hasakah Spinning Co, une usine textile syrienne, serait en fait un centre de traitement nucléaire. Si, éventuellement, l’usine a été transformée récemment, ses plans, dressés voici trente ans, correspondent bien à ceux d’une usine textile, qui fonctionnait encore en 1991. Il faudrait croire que, dès les années 1980, le régime syrien avait donné le change, construit une usine de traitement nucléaire, implanté des machines textiles pour la galerie.

Pillages et corruption

Le CNT, rapporte Reuters, ne sait trop que faire des résidents des asiles sociaux et des rares hôpitaux psychiatriques. Tripoli ne peut être vidée de ses habitants, comme diverses localités libérées et considérées pro-loyalistes, mais les pillages, devenus plus rares car les précédents n’ont laissé que peu à prendre, y sont encore quotidiens. La corruption préexistait à la prise de contrôle par les milices « révolutionnaires » qui se partagent diverses localités, mais là, sans la moindre autorité crédible, les détournements ont toutes les chances de rester impunis. Il suffit de dire que le régime antérieur avait tout laissé à l’abandon, ne ravitaillait plus, &c.

Les seules n’aillant pas été massivement pillées (par les uns ou les autres) sont celles de Benghazi et de ses environs, diverses localités ayant pu rejoindre très tôt l’insurrection, et d’autres, trop peu aisées pour intéresser qui que ce soit. Des Kadhafi en ont chassé d’autres.

La situation est-elle qu’à Benghazi, des tentations sécessionnistes se font jour. Le CNT ne contrôle pratiquement rien.

Alors que Bernard-Henri Lévy et le CNT minoraient le fait tribal, tout le monde s’accorde à présent pour le considérer prédominant.

Le Pakistan a très récemment reconnu le CNT. Commentaire du Daily Times (pakistanais), c’est une « capitulation » résultant d’un chantage à l’expulsion des Pakistanais résidant encore en Lybie (50 000 du temps des Kadhafi).

Evgueni Satanovski, de l’Institut (russe) du Proche-Orient, estime : « La guerre civile en Libye se poursuivra avec ou sans Kadhafi, comme elle se poursuit en Irak avec Saddam Hussein ou sans lui, comme elle continue en Afghanistan avec ben Laden ou sans lui… ». Ce n’est pas sûr, c’est fortement à redouter.

Même les industriels maltais, qui avaient de longue date de forts liens avec des homologues libyens de tous bords ou opinions, ne savent plus vers quels interlocuteurs se tourner.

L’Aïd-el-Kébir (ou Aïd-el-Adha) sera sans doute jour de trêve en Libye. Mais il est à craindre que le conflit reprendra ensuite. Et il n’y aura pas que des moutons immolés…