Marquant l’anniversaire des dix années d’intervention étasunienne et britannique en Afghanistan, l’ex-général Stanley McChrystal a considéré que la guerre avait été engagée de manière « terriblement simpliste ». C’était patent pour nombre d’observateurs. On pourrait en dire autant de la Libye ou, ce matin à l’aube, est déclenchée la réelle offensive sur Syrte, avant-dernier bastion important des Khadafa et de quelques groupes claniques alliés.

« Nous n’en savions pas assez et nous n’en savons toujours pas assez, » estime le général (en retraite) Stanley McChrystal qui avait remercié l’an dernier pour avoir tenu des propos similaires, et remplacé en Afghanistan, par le général David Petraeus.
Il s’exprimait devant des spécialistes étasuniens et des experts en relations internationales. Experts !

« La plupart d’entre-nous, moi inclus, n’avions qu’une très superficielle vision de la situation et de l’histoire, » a-t-il poursuivi.

L’anniversaire décennal du début des opérations de l’Isaf (Force internationale d’assistance et de sécurité) en Afghanistan n’a qu’un écho limité en France du fait que le contingent français, en 2001, était surtout constitué d’aviateurs, de marins (à bord du Charles de Gaulle), et que les premiers militaires (forces spéciales, arme de Terre), début 2002, sont surtout des officiers, déployés à Kaboul.

Ce n’est qu’à partir de mai 2003 (sur décision de Jacques Chirac), que des forces françaises seront véritablement engagées en opérations terrestres. En décembre 2007 (sur décision de Nicolas Sarkozy), la France est chargée d’un véritable théâtre d’opérations. 75 tués après (et bien davantage de mutilés et blessés), le contingent français se contente d’appuyer des opérations de l’armée afghane. Il est largement dépendant, pour sa logistique, de gros porteurs Antonov de la société russe Volga-Dniepr, les sorties sont réduites, les journalistes ne sont plus conviés à constater les résultats.

Comme le résume le journaliste spécialisé Jean-Dominique Merchet, de Marianne, « on lève le pied avant de lever le camp (…) mais on ne le dit pas. Et surtout on ne le montre pas. ».

Recrudescence en Libye

Au-dessus de la Libye, où les ravitailleurs américains assurent la logistique de près de 75 % des missions aériennes, c’est l’inverse. Pas question de lever le pied puisqu’il faut appuyer le nième « assaut final » contre Syrte. C’est le tout premier en fait, avec cette fois des milliers de combattants engagés, depuis l’aube de ce vendredi 7 octobre, et surtout une esquisse de coordination.

La « poussée finale » peut aboutir, mais les observateurs considèrent que Syrte ne tombera pas (écrire qu’elle serait « libérée » tiendrait de la désinformation) avant quelques jours ou nuits.

Brega a été pratiquement détruite par les bombardements aériens, club nautique inclus. Syrte, beaucoup moins importante pour l’économie libyenne, subira sans doute le même sort, au moins pour ce qui est de ses infrastructures. Les combats se déroulent autour de l’hôpital, de l’université, du centre de conférences, au sud de la ville. Toutes les résidences aux abords de cette zone, et aux entrées de la ville, ont été pillées. Les combattants venus de Benghazi espèrent être les premiers à véritablement pénétrer dans Syrte, avant ceux de Misrata, décidés à transformer Syrte en une autre Tawargha (et d’autres localités entièrement vidées de leurs habitants).

L’avant-dernier « assaut final » sur Syrte remonte au 3 octobre. Il apparait depuis que les diverses brigades ne seront pas accueillies comme à Tripoli, et c’est ce qui veut être absolument évité à Bani Walid, où les Warfala, bien plus importants que les Khadafa, négocieraient peut-être… s’ils étaient sûrs de s’adresser à des interlocuteurs disposant d’une véritable autorité s’imposant à tous.

À Syrte, il semblerait que les seuls civils restant soient des femmes, des enfants, dont les blessés de l’hôpital, et les familles trop pauvres pour trouver une voiture et un peu de carburant. Là d’où partiront les tirs les plus nombreux, l’aviation coalisée frappera, là où ce sera plus épars, ce seront les chars et les missiles de brigades « révolutionnaires ».

Mais ce n’est bien sûr pas le sort des civils désarmés, déplacés, qui rejoindront des familles ou des camps de « transit », qui inquiète le plus. C’est bel et bien la cohésion de ces civils en armes, venus de régions fort différentes, qui, comme en Afghanistan, trouble fort ceux qui ont décidé d’appuyer d’abord les prémisses des révoltes, puis de s’engager clairement à soutenir le CNT, soit Benghazi.

Immunité

La perspective d’envoyer des troupes au sol en nombre n’est toujours pas envisagée. La décision serait, de fait, prématurée. Et les conséquences pourraient être redoutables. Pour l’Irak, Leon Panetta, secrétaire américain à la Défense, a exigé que les troupes américaines se voient garantir une totale immunité. Les militaires employés par des officines privées en Irak ont perdu cette immunité en 2007 après un « incident » qui avait vu les gardes de sécurité de la compagnie Blackwater abattre 17 Irakiens.

Ce qui est sans doute négocié notamment entre on ne sait qui du Conseil national transitoire libyen et divers commandants, c’est cette même question de l’immunité. Car les exactions, les exécutions sommaires, ne sont pas que le fait d’un seul camp. Le CNT met en avant les charniers de Tripoli mais n’arrive pas tout à fait à convaincre la presse internationale : la provenance des 900 cadavres allégués soulève des doutes, leur nombre semble très fortement exagéré, mais il n’est pas déjà avancé que certains aient pu résulter de bombardements coalisés.

Bien sûr, ni l’armée de l’air, ni la marine françaises, ne comptent de La Bollardière (général démissionnaire lors de la guerre d’Algérie, † 1986), et comme le disent ironiquement les réfugiés des villes bombardées, l’aviation française largue « des abricots et des dattes… ».

Mais, à Benghazi, les familles du général Younes et de deux de ses officiers constatent que « l’enquête est toujours en cours » après leur assassinat. Des ordres d’arrestation auraient été lancés mais sans résultat tangible. Gilles Munier, journaliste spécialiste du Maghreb et de l’Irak, avançait : « Qui sera la prochaine victime : Mustapha Abdeljalil, Mahmoud Djibril, son numéro deux, Ali al-Issaoui, chargé des Affaires étrangères, Abdel Hafiz Ghoga, avocat, ou le cheikh salafite Ali Salabi ? ».

Le général Younès avait été reçu à l’Élysée en avril. Il fut assassiné fin juillet.

On peut comprendre que les membres du CNT aient proclamé qu’ils s’abstiendraient de prendre part au futur gouvernement dont la composition tarde.

On prête à Nicolas Sarkozy cette forte parole : « dans un an, l’Algérie, dans trois, l’Iran. ».

Le dixième anniversaire du début de l’intervention en Afghanistan ne semble guère faire réfléchir.

Gilles Munier ajoute, à propos de l’Irak : « Le pétrole coule à flots. Ses revenus font de l’Irak l’un des quatre pays les plus corrompus au monde. Les Irakiens manifestent tous les vendredis pour réclamer de meilleures conditions de vie (…), dans l’indifférence des médias occidentaux. ».

Nouveaux charniers ?

À mi-journée, ce vendredi, selon le NTC, seulement 800 combattants défendraient Syrte mais ils seraient capables, à si peu, de contrôler 20 km², tandis qu’il ne resterait plus que 400 civils dans toute la zone. Hier, jeudi, un colonel du NTC annonçait que les trois-quarts de la ville étaient pris… C’est fort possible qu’il n’y ait plus une forte population civile à Syrte. Mais ne disait-on pas avec insistance que les loyalistes tiraient sur tout fuyard avant de constater que des centaines de véhicules pouvaient quitter la ville. Syrte tombée, peut-être y découvrira-t-on de nouveaux charniers. Attribués non pas à l’aviation coalisée, non bien sûr aux obus et missiles des brigades, mais aux loyalistes. La réalité est sans nul doute, à présent, beaucoup plus mitigée.

Ce jour, loin du centre-ville, loin des combats, à une cinquantaine de km, là où la presse situait voici peu l’entrée de la ville dont la chute était annoncée imminente, des portes (de grands portiques enjambant la route), ont été abattues. Tout un symbole. Des révolutionnaires ravis les ont fait sauter. De quoi revendiquer le tribut de la victoire. Mais auprès de qui ?

ACTUALISATION :

Relevé sur le site de La Tribune :
«
Selon des sources concordantes, interrogées par latribune.fr, 240 missiles, dont 15 missiles de croisières Scalp (au prix unitaire de 626.000 euros hors taxe selon un rapport du ministère de la Défense) et 225 bombes de précision AASM (350.000 euros selon une estimation du site web lepoint.fr), ont été tirés par les Mirage et Rafale de l’armée de l’air, a indiqué le ministre de la Défense. En outre, ils ont déversé sur les cibles libyennes 950 bombes américaines à guidage laser GBU de divers types (GBU-12 de 250 kilos, des bombes GBU-24 de 500 kilos, et des GBU-49), dont le coût est estimé entre 70.000 et 90.000 dollars (entre 52.100 et 67.000 euros). Enfin, les hélicoptères de l’aviation légère de l’armée de Terre (Alat) ont utilisé 431 missiles air-sol Hot (40.000 euros pièces) et la Marine a tiré 3.000 obus. ».

La Marine a donc tiré 3 000 obus… de précision. À combien de mètres près ? Le ministre de la Défense, G. Longuet, ne sait pas trop, à 50 millions d’euros près, chiffrer les coûts jusqu’à ce jour. Mais on finira bien par rattraper les chiffres britanniques d’il y a… près de deux mois. Soit 360 millions d’euros. Pour rappel, le ministère français de la Défense indiquait, à diverses occasions, que la France faisait plus et mieux que le Royaume-Uni. Sans doute en utilisant des munitions moins coûteuses, et en rétribuant moins les personnels. On ne voit guère d’autre explication…

ACTUALISATION

Je ne sais évidemment quel crédit accorder aux propos d’Ibrahim Moussa (ni même, pour d’autres raisons, à leur traduction par Marie-Ange Patrizio, dont je ne mets pas en doute la bonne foi). Le porte-parole loyaliste s’était exprimé longuement sur Arrai TV le 1er oct. dernier. La traduction vers le français vient d’être mise en ligne par Palestine Solidarité (.org).

J’en extrais cette phrase : « les loyalistes se déplacent par centaines de Tarhouna, Wershefanna, Seesan et Hawamed et de tout autre endroit pour se joindre au front de Bani Walid et Syrte. Nous avons déjà, bien sûr, un grand nombre de combattants appartenant à ces tribus sur ces champs de bataille, mais ils doivent continuer à envoyer le plus possible de gens afin que nos forces puissent s’accroître et, à la fin, ouvrir un front de bataille dans leur ville. ».

Le texte entier est consultable (« Les habitants de Syrte ont été littéralement massacrés »).

Les informations les plus récentes, ce samedi 8 oct. (06:00, h. de Paris), proviennent de Sky News, dont l’envoyé spécial Alex Rossi est sur place, aux abords de Syrte. Des habitants en nombre ont pu continuer de fuir la ville (« en longues files de voitures ») et les deux bords auraient subi des pertes. Selon une estimation rapportée, les loyalistes n’auraient plus que moins de 800 combattants, dont environ 200 seraient blessés. La poussée des assaillants leur aurait permis d’avancer jusqu’à environ 1,5 km du « centre ville ». Mais, comme tant d’autres, Alex Rossi ne définit pas vraiment ce qu’il faut entendre par « centre ville ». En consultant Google Maps, cela correspondrait encore une fois à la zone de l’hôpital et de l’université, ce qui laisserait penser que l’offensive a été repoussée. Mais l’issue ne fait guère de doute car les loyalistes ne peuvent espérer des renforts.