Dans un désopilant entretien au bureau de Dubaï de Bloomberg, Farhat Bengdara, ancien gouverneur de la Banque nationale libyenne, qui avait, avec l’accord de Kadhafi, accordé une licence à la Banque islamique du Qatar un mois avant l’insurrection, considère que les banques islamiques ont « d’énormes perspectives en Libye ». Pas qu’elles.

Bien sûr, le pays stagnait sous Kadhafi, le fonds de placement national était mal géré, &c. Il y a encore de nombreux avis contraires, mais, c’est sûr, depuis que le système bancaire est sous l’égide de la nouvelle banque nationale libyenne de Benghazi (créée aux tout premiers jours de l’insurrection), tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes.

En fait, comme dans les ex-pays du bloc soviétique hors Russie, toutes les banques vont se ruer sur la Libye telles des frelons. Les Libyens, comme les Hongrois, les Bulgares, les Roumains, &c., vont être lourdement incités à s’endetter. Les agences bancaires vont border des avenues entières, et parmi elles, des banques islamiques. Il suffit peu ou prou de trouver une dénomination compatible à la charia au terme d’intérêt et à celui de bénéfices financiers pour que les dirigeants des banques, et leurs actionnaires, y trouvent leur compte.

Les premières à s’implanter seront sans doute la Banque mondiale et la BERD (la Banque européenne autrefois dirigée par Jacques Attali, remplacé par Jacques de Larosière, qui n’était pas un faisan de la dernière pluie, et dirigée par Thomas Mirow actuellement).

Bloomberg News reprend sans le contredire Farhat Bengdara qui assure sans sourire que Kadhafi avait bridé le développement du secteur bancaire en Libye « sans donner la moindre raison ». Le colonel disait, à propos des banques islamiques, « si nous les appelons islamiques, quid de nos banques ? Des banques infidèles ? ».

« Il y a tout un tas d’argent en Libye, » se réjouit Nida Raza, de l’Unicorn Investment Bank. Entendez, à prendre. Raza Agha, de la Royal Bank of Scotland, représentée dans tous les pays ex-soviétiques, se frotte les mains : il existe plein d’opportunités pour des filiales islamiques en Tunisie et Égypte, il en sera de même en Libye.

Bizarrement, Kadhafi avait fortement investi dans la Société générale et d’autres banques européennes, et s’il ne voulait pas développer le secteur bancaire, il avait consenti le pilotage des privatisations bancaires à BNP Paribas. Intesa SanPaolo (italienne) avait toutefois vu la privatisation de la libyenne Wahda Bank échoir à l’Arab Bank (jordanienne). HSBC lorgnait la libyenne Sahara Bank.

Toujours selon Farhat Bengdara, cette fois pour le Corriere de la serra, les avoirs et réserves d’or de la Libye « valent 168 milliards de dollars. ». C’était à peu près le montant de la dette publique française (au sens des accords de Maastricht) début 2011.

Robert Palmer, de Global Witness (association anticorruption), constatait : « quand l’Ouest a accueilli Kadhafi les bras ouverts, les banques se sont précipitées pour vendre au régime des produits financiers hautement sophistiqués tout en étant conscientes des risques élevés de corruption dans un système où il était impossible de séparer les actifs nationaux de la fortune personnelle des dirigeants… ». Ces placements se sont révélés plutôt pourris et le clan Kadhafi commençait à vouloir qu’on lui rende des comptes. HSBC, la Société générale, Goldman Sachs avaient les oreilles qui sifflaient très fort. L’italienne Unicredit, le groupe d’édition Pearson, recommandés par le trio, ont été fortement touchés. Le Monde rappelle qu’après la première guerre du Golfe, le fonds souverain de la Koweit Investment Authority en était ressorti « exsangue ».

En Irak, rapporte Le Devoir (Québec), « les banques privées estiment que l’unique moyen de sortir le pays de sa léthargie économique passe par la privatisation des établissements bancaires publics, qui détiennent 85 % des liquidités. ».

Air connu, notamment en France, où les placements en bons du Trésor public ont été retirés du monopole des Trésoreries générales pour les réserver au seul secteur privé (sous Bérégovoy) : résultat, le Japon conserve une bonne notation du fait des réserves et placements de la population, tandis qu’en France, tout à été fait pour que l’épargne individuelle s’engouffre dans des placements hasardeux.

Il y avait 17 banques privées en Irak sous Saddam Hussein, elles sont à présent 36 et voudraient encore proliférer. Cela crée des emplois, et surtout des postes de dirigeants fort intéressants. Quant à la concurrence censée faire mieux fructifier les fonds, chaque épargnant en France sait à quoi s’en tenir… Y compris ceux qui ont fait confiance à La Poste privatisée, aux Caisses d’Épargne saisies de mégalomanie financière.

Sinan al-Shibibi, gouverneur de la Banque centrale irakienne, préférerait que les banques étrangères « établissent leurs propres succursales mais c’est bien aussi si elles nouent un partenariat avec les banques irakiennes, » rapporte Le Monde.

On se souvient que les talibans mis au pouvoir par les États-Unis en Afghanistan avaient pourtant dénoncé un projet de pipeline devant contourner la Chine pour convoyer du pétrole russe jusqu’au Pakistan et être de là exporté. La seconde guerre afghane s’ensuivit.

Kadhafi, auprès de ses homologues africains, plaidait pour la fondation d’une banque centrale fédérale africaine. Cela aurait pu être fatal au Franc CFA et à de multiples autres intérêts.

Des fractions au sein du Conseil national transitoire libyen pourraient fort bien réagir comme les talibans afghans : d’où l’urgence de les désarmer et neutraliser.

La Federal Reserve (Fed) étasunienne a été très généreuse avec Morgan Stanley, Bank of America, Citigroup, UBS (Suisse) et la Royal Bank of Scotland. Celles-ci et d’autres vont pouvoir investir en Libye avec des fonds publics étasuniens.

Matthieur Mabin, de France 24, depuis Tripoli, estimait : « Nous sommes dans une phase d’épuration qui semble absolument incontrôlée, notamment cette bande de Misrata, la ville martyre de la Libye, qui est remontée jusqu’à Tripoli pour exercer sa vengeance… ». Ce « semble » peut s’interpréter de diverses manières : en fait, divers objectifs prioritaires ont été fixés à des composantes variées. Les Berbères de l’ouest pourraient se dissocier de ces visées, les ex-combattants islamistes d’Afghanistan et d’Irak poursuivre leurs propres objectifs d’épuration avant de négocier leur survie.

L’Ukti (UK Trade and Investment) et le Libyan British Business Council s’attendent, selon le Sunday Telegraph, à pouvoir négocier avec le CNT à Tripoli dès la seconde semaine de septembre. Ils ne sont pas les seuls, et de fait, les négociations seront des phases finales de tractations nouées dès le début de l’insurrection.

Antigua et la Barbade, Saint-Kitts-and-Nevis, et d’autres États de la Caricom (Communauté caraïbenne) reconnaissent ou vont reconnaître incessamment la nouvelle Libye. D’autres paradis fiscaux s’empresseront aussi. De ce point de vue, les opérations Harmattan (France), Freedom Falcon, Ellamy, Odyssey Dawn, Mobile, Unified Protector (Otan) sont pour le moment un total succès. Comme l’a déclaré Alain Juppé, on espère à présent un juteux retour sur investissement.