Libye : nouvel attentat à Benghazi

L’organisation Freedom House venait tout juste de divulguer un rapport sur la Libye concluant que, doucettement, la situation s’y stabilisait… Et un officier de police mourait peu après à Benghazi, à la suite de l’explosion de sa voiture, qui avait été piégée. Des islamistes radicaux, parfois mafieux, se livrent encore presque tous les jours à des attaques ou des attentats. Freedom House a aussi relevé que les libertés civiles déclinaient au Mali et au Nigéria…

Était-ce vraiment le consul d’Italie ou sa personne même qui était visé lorsque son véhicule blindé a subi, mardi dernier, des tirs ?
Il ne semble pas que les tireurs aient voulu s’emparer de sa voiture et il faut donc ranger l’incident dans le même dossier que celui des assassinats de l’ambassadeur étasunien, des attaques contre des locaux ou personnels britanniques, onusiens, et même de la Croix rouge…

Cela étant, les exactions se poursuivent en Libye, et les motivations ne sont pas toutes clairement terroristes.

Ou alors, il faudrait croire que les terroristes, de divers bords, se financent sur le dos des habitants.

À Benghazi, en deux jours, c’est la seconde fois qu’un policier est blessé ou perd la vie. Lundi, c’était une voiture de police attaquée à la grenade, mardi soir, c’est un officier qui a sauté, sa voiture ayant été piégée par une forte bombe. On en sait trop si la bombe fut posée alors qu’il dînait dans un restaurant ou si elle avait été placée devant son domicile, là où il se garait habituellement. Un autre officier de police, kidnappé le 2 janvier, est toujours « recherché » (ou non).

Reuters rapporte que « les attaques ayant pour cible des policiers ou leurs locaux sont fréquents ». La police n’est d’ailleurs pas la seule cible.

Benghazi retient surtout l’attention, mais selon Al Jazeera, « de vastes parties du pays sont sur le point de devenir ingouvernables ». Traduisez : certaines le sont déjà. Il n’y a pas qu’Aqmi ou certaines de ses variantes à la manœuvre, mais les gouvernements des pays dit occidentaux qui peuvent inciter leurs industriels ou hommes d’affaires dans le pays sont conscients des menaces.

Est-ce en fonction de ce fait qu’ils n’apportent pas un soutien trop appuyé à la France engagée dans des opérations militaires au Mali. Cela peut jouer, mais le cas malien est aussi fort complexe. Le Fezzan, plus vaste région rétive au pouvoir central (ou ce qui en tient lieu) libyen, est certes fort éloigné du Mali, en proie à des conflits tribaux, mais l’argent y est un argument comme ailleurs, notamment pour fournir en armes ou combattants les factions du nord malien. Le nord du Mali avait été négligé économiquement par Bamako, en Libye, c’est le sud qui a trop attendu les retombées positives de la révolution.

En fait, c’est toute l’immense zone sahélienne qui pose problème et pourrait devenir un triple, quadruple Afghanistan. Le problème n’est pas que sécuritaire. 

À Benghazi, l’enquête sur l’attaque des missions diplomatiques américaines de septembre 2012 est au point mort. Personne ne veut parler, car on ne sait trop avec qui les Frères musulmans, qui gagnent toujours en importance, soutiennent de fait, ou s’ils seraient capables de protéger des témoins. De plus, diverses brigades sont favorisées par les États du Golfe et divers ministres ou hauts-fonctionnaires.

À Tripoli, des heurts entre brigades, celle de Nawasi et d’autres, se produisent encore. La brigade Nawasi est fermement d’idéologie islamiste et s’en prend à qui consomme de l’alcool, des drogues, ou dont la conduite leur déplait (ils s’en prennent aussi aux homosexuels ou désignent tels ceux qui les gênent).

Le conflit en Libye a été sans doute beaucoup moins meurtrier qu’annoncé. Les chiffres initiaux, côté révolutionnaires (50 000, puis la moitié), semblent devoir être réduits à moins de 5 000 pour les tués. Mais il y a plus de 2 000 disparues (Libyennes et Libyens des deux côtés, pour les étrangers, le décompte importe moins). Les brigades ne sont sans doute pas composées que de réels anciens combattants.

En 2010, les chiffres officiels des meurtres en Lybie faisaient état de 87 cas, on en était à 525 pour 2012. Parfois, il s’agit de conducteurs n’ayant pas voulu remettre leur véhicules à des hommes armés. Les accidents de circulation tuent bien davantage (2 728, classant la Libye au premier rang mondial). Mais cela donne une idée des tensions latentes.

Selon une carte publiée par Le Monde, la zone d’influence d’Aqmi englobe toute la Mauritanie, le sud de l’Algérie et le nord du Mali, pratiquement tout le Niger, et près du quart du sud libyen (celui qui jouxte le sud de la Tunisie et celui de l’Algérie). C’est signifier qu’un retour de la stabilité en Libye n’est pas un point accessoire, d’autant qu’Aqmi n’est pas la seule composante islamiste radicale.

Les gouvernements européens, d’Amérique du Nord et autres en sont conscients. Défaits au Mali (s’ils devaient totalement l’être), ce qu’il restera de ces groupes migrera. On n’a pas fini d’entendre parler de la Libye…

Notons qu’en Algérie, un groupe disant appuyer les islamistes maliens a pris en otages 41 occidentaux présents sur un site gazier de l’est algérien (dont un Norvégien, un Irlandais, des Américains, des Français, &c.). L’action a été revendiquée au nom de la brigade Khaleb Aboul Abbas, Mokhtar Belmokhtar, donc d’Aqmi. La même chose peut se produire en Libye, sans que vraiment le pouvoir libyen puisse tenter de répliquer. D’ailleurs, si cette brigade dit être remontée du Mali, le site de la région d’In Aménas est frontalier de la Libye. Un détour par la Libye est envisageable, soit pour pénétrer en Algérie, soit pour se retirer. Il y aurait déjà eu deux morts et six blessés côté employés de BP, et 150 personnes sont bloquées. Les otages algériens auraient été libérés, selon l’agence de presse algérienne.

Selon un témoin, le commando d’Aqmi aurait hissé un drapeau portant l’inscription « katibat al moulataamoun » (ou El Moulathamine, soit cellule ou phalange, section, voire armée masquée ou enturbanée). Le terme katibat est utilisé tant en Algérie qu’en Libye qu’ailleurs. La katibat El Feth El Moubine était composée de combattants tunisiens, libyens, maliens, nigérians, burkinabé et algériens. Elle agissait à travers le Sahel tout entier ou presque. Elle s’est ralliée depuis la séria de Keddara, qui aurait perdu une dizaine d’hommes du fait des forces algériennes fin 2012 et début 2013.

Les conséquences de la prise d’otages

Les preneurs d’otages ont revendiqué la mémoire d’Abderrahime El Mourtani, mort en octobre 2011 dans un accident routier en… Libye. C’était un Mauritanien. Cette katibat Moulathamine ou al-Mulathimin (selon les transcriptions) serait plus proche du Mujao à présent que d’Aqmi, selon un universitaire sénégalais de l’université Gaston Berger de Saint-Louis qui le relevait dans Dakar Actu.

En Libye comme ailleurs, les brigades et katibats pratiquent la hudna, soit la trêve stratégique, en fonction des rapports de force du moment. Mais l’objectif d’un Sahelistan n’est jamais abandonné. 

Bernard Guetta, dans Libération (et d’autres, ailleurs) indique : « dès lors qu’on intervient dans un pays, on devient comptable de son destin ». L’Otan est intervenue en Libye et les divers pays qui la composent ont ensuite laissé le Qatar et d’autres pays prendre le relai. L’inconséquence de Nicolas Sarkozy et d’autres dirigeants s’explique aussi par la crise économique, notamment en zone euro. Mais il était prévisible que la hudna dont les katibats libyennes ont fait preuve n’allait pas durer…

Les conséquences de cette prise massive d’otages sont difficiles à cerner (d’ailleurs, entre les motivations affichées, revendiquées, et les réelles, il peut y avoir des disparités). Elle peut décider certains pays concernés à vouloir apporter un soutien militaire renforcé à la France (même s’il restait discret), d’autres à éviter totalement de s’en mêler. Côté islamistes radicaux, c’est aussi une action de propagande. L’Algérie est visée, les pays de l’Otan aussi.

Hervé Morin, ancien ministre, a bien souligné que ces groupes ignorent les frontières. On le savait en intervenant que depuis les airs (ou presque) en Libye, puis en laissant la Libye à son sort.

Notons que la Russie, officiellement, soutient les interventions « contre les radicaux et les terroristes ». La Russie a d’ailleurs aussi des intérêts économiques au Mali. Pour Nikita Sorokine, de La Voix de la Russie,  le Mali peut devenir « l’Afghanistan de la région ». Il souligne : « cette intervention peut provoquer l’intensification des activités islamistes dans les pays voisins, vu que leurs frontières n’ont qu’une signification conventionnelle et géographique et qu’elles ne sont pas défendues ».
C’est un Antonov qui a embarqué le 5e Régiment d’hélicoptères de combat depuis l’aéroport de Pau-Pyrénées… Un appareil certes civil, qui sert aussi pour ravitailler l’Afghanistan. Mais il y a des contreparties. Peut-être celle de laisser le Qatar seul à soutenir les groupes salafistes radicaux en Syrie.

L’opération au Mali, l’attaque en Algérie, auront des répercussions qu’il est difficile de cerner, mais ce n’est plus du tout une affaire locale, régionale.

 

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !