Comme on le sait, les résolutions 1970 et 1973 de l’Onu sont censées viser la protection des civils et non pas le massacre des membres de la famille Kadhafi. Ce n’est disputé par personne, c’est rappelé par la Russie, les pays de l’Union africaine et d’autres. D’où diverses initiatives pour contester l’application de ces résolutions, voire faire condamner juridiquement l’Otan. L’une des plus récentes, à Paris, vient – momentanément ? – d’échouer. Partie remise ?

Me Isabelle Coutant-Peyre avait déjà rédigé la plainte contre la chaîne Al-Jeezera à la suite de sa diffusion d’une sorte de fatwa d’un dignitaire religieux musulman égyptien visant à inciter à l’élimination de Mouammar Kadhafi. Le 9 juin, elle défendait Aïcha Mouammar Kadhafi en tant que partie civile pour la poursuite de crimes en s’adressant au parquet de Paris.

« Madame Aïcha Mouammar Kadhafi, qui subit un grave préjudice personnel et direct, en sa qualité de mère de Mastoura Hmaid Bouzaitaiya, de sœur de Saïf Alarab Kadhafi et de tante de Carthage Hanibal Kadhafi et Saïf Mohamed Kadhafi, dépose plainte contre X et complices, pour meurtre sur mineurs et tentative de meurtre et complicité, contre son père Mouammar Kadhafi et sa mère, Safia Kadhafi, crimes commis avec préméditation par plusieurs personnes agissant en bande organisée, prévus et réprimés par les articles 221-4 1° et 8°L et 121-7 du Code pénal, et pour violation des Conventions de Genève, qualifiés d’infractions graves par le Protocole additionnel n° 1 aux Conventions de Genève, qui constituent des crimes de guerres. »

La réponse du parquet, datée du 30 juin, expédiée le 5 juillet et reçue le 7, est un classement sans suite. L’article L.4123-12 II du Code de la défense « qui autoriserait les militaires à tuer dans le cadre d’une opération extérieure, sous réserve du respect des règles de droit international, » est invoqué, relève Me Coutant-Peyre .

Ce à quoi elle rétorque « vous avez omis de statuer sur les crimes de guerre dénoncés dans la plainte, résultant des violations avérées des Conventions de Genève et en particulier du Protocole additionnel I de 1977 », ce qui surpasse les dispositions du Code de la défense. Me Coutant-Peyre va donc saisir un juge d’instruction, « afin que l’institution judiciaire fasse la démonstration de la séparation des pouvoirs écrite dans la Constitution… nous verrons bien alors si ce ne sont que des mots ou si l’État français pratique la démocratie dans les faits. ».

On le sait, Nicolas Sarkozy a souhaité que Tripoli tombe avant le défilé du 14 juillet prochain. Ce aux fins de pouvoir prononcer une triomphale allocution. Souhaiterait-il aussi que l’action de la justice soit caduque du fait de la disparition de la plaignante ? D’autres actions sont en cours devant d’autres juridictions, en d’autres pays.

La plainte française vise x qui pourrait être « en leur qualité de supérieurs hiérarchiques militaires, Messieurs Jean-Paul Palomeros, Dominique de Longvilliers, et Messieurs Gérard Longuet et Nicolas Sarkozy, en leur qualité respective de ministre de la Défense et de Président de la République, Chef des Armées. ».

Dans son exposé des faits, Aïcha Kadhafi rappelle que deux adultes et trois enfants avaient été tués au soir du 30 avril 2011, du fait que leurs parents, amis ou grands-parents étaient visés. L’Otan avait fait état d’une attaque « ciblée ». Ciblée en fait, selon Aïcha Kadhafi, contre les personnes de son père et de sa mère qui « avaient quitté la maison un peu moins de trente minutes avant le bombardement ».

D’autres bombardements censés, selon les autorités de Tripoli, viser spécifiquement la personne ou des membres de la famille du dirigeant libyen, se sont produits depuis.

Aujourd’hui, la situation est indécise, tant sur le terrain des opérations que celui de la diplomatie. Il est fait toujours état de bombardements, d’avances des forces de Benghazi ou du djebel Nefoussa. Rien de décisif de part et d’autre.
En revanche l’Onu aurait entamé des discussions tant avec le gouvernement de Tripoli qu’avec le régime de Benghazi en vue d’alléger les sanctions internationales. Les médicaments, notamment, viennent à manquer dans toutes les zones contrôlées par les forces antagonistes de cette guerre civile. Les vivres aussi, dont des produits de première nécessité, notamment pour les nourrissons.
Entre le passage de deux convois humanitaires, un créneau pour bombarder ? Divers pays membres de l’Otan ou de la coalition pourraient se refuser à participer à cette alternance.

La justice française, en tant qu’institution indépendante, s’émouvra-t-elle de ce qui se produit en Libye. Si le parquet reçoit des instructions, tous les magistrats ne sont pas forcément unanimes pour approuver l’action de l’Otan. Iraient-ils jusqu’à rechercher les mobiles de l’intervention coalisée ? C’est toute la question.

Très récemment, une enquête et une perquisition ont été menées au domicile de Thierry Gaubert, ancien proche collaborateur de Nicolas Sarkozy alors ministre du Budget. Les juges Roger Le Loire et Renaud van Ruymbeke cherchent à cerner le rôle d’un certain Ziad Takieddine, un Libanais décrit cheville ouvrière de nombreux contrats passés sous le mandat d’Édouard Balladur avec l’Arabie Saoudite et… la Libye. On se souvient que l’un des fils de Kadhafi avait formellement déclaré que la famille Kadhafi avait fourni des fonds électoraux à Nicolas Sarkozy. Ce fut démenti par l’Élysée.

La Libye, après la libération des « infirmières bulgares », avait été ensuite particulièrement choyée par Nicolas Sarkozy. Avait-il sollicité, par le biais de contrats, un appui auprès de la famille Kadhafi ? De quelle nature ? Selon quelles modalités ?

Tripoli émet des messages contradictoires, appelant encore à la négociation ou menaçant de représailles.
Aux bombes « propres » ayant éliminé une partie de sa famille, Kadhafi pourrait-il répliquer par un lâcher de bombes « puantes » ?

Dans ce cas, la veille des cérémonies du 14 juillet serait une date toute désignée…