Combien de temps, déjà, avait-il fallu pour créer l’actuelle Libye ? Ah, oui, de février 1943 à décembre 1951. Sept-huit ans. Alors, que Khamis Kadhafi soit mort (version insurgés) ou vivant (version Tripoli) semble, hormis pour sa famille et ceux qui se réjouiraient de le voir disparaître, « subsidiaire ». Les purges ont commencé, semble-t-il, à Benghazi, et si Tripoli devait tomber (aux mains de quelle faction au juste ?), la suite devrait réserver de durables surprises.

Khamis, 27 ans, commandant la 32e brigade loyaliste, serait mort sous les bombes de « l’Otan », proclame un officier de l’une des brigades d’insurgés. Pas du tout, rétorque Moussa Ibrahim depuis Tripoli, Khamis Kadhafi se trouvait à 160 km de Zlitan où, selon les sources, « un centre de commandement » ou l’habitation d’une famille aurait été détruite. Provoquant la mort de deux enfants, selon Tripoli, mais c’est encore de la propagande rétorque l’Otan.

Pendant ce temps, à Benghazi, il serait question de limoger Ali al-Essawi, une sorte de vice-président, un juge membre de la tribu des Obeidi, Jumaah al-Jazwi al-Obeidy, et le ministre de la Défense, Jalal el-Dighely, ainsi que l’un de ses aides, Fawzi Bukatef, qui aurait fédéré des brigades sous sa houlette.

El-Essawi et Bukatef devraient être impliqués dans l’assassinat du général Younès.
Ils étaient en Égypte lors des faits : c’est bien la preuve que…
Pour les autres, on ne sait trop ce qu’il leur est reproché.

Pot au noir

C’est tellement confus qu’on en viendrait à donner foi à un certain Huineng, de Riposte laïque, qui ne cite aucune source, et rapporte qu’à Benghazi « on assiste quotidiennement à des escarmouches entre les insurgés [provoquant] la mort de pas moins de 300 personnes, sans oublier les enlèvements. ». Le même écrit que les Obeidi auraient « capturé 15 instructeurs étrangers (français, anglais, qataris) » et qu’ils demanderaient des rançons.

C’est la seconde fois que Khamis est donné pour tué, un commando néerlandais s’était fait prendre par les loyalistes (et avait été libéré), quelques mercenaires français avaient eu maille à partir avec les insurgés. Les communiqués de l’Otan étant aussi crédibles que ceux de Tripoli, les journalistes ne sachant trop qui les mène en bateau (de part et d’autre), leur donnant à voir et entendre ce qu’on souhaite leur faire écrire, l’imbroglio s’épaissit.

Nach Tripoli

L’Italie a rapatrié un bâtiment de guerre, le Charles-de-Gaulle fait route vers Toulon, et plus personne, hormis la France et le Royaume-Uni (avec peut-être le Qatar et sans doute le Canada), n’a trop envie de larguer des bombes. À qui au juste présenter ultérieurement la facture ? Sarkozy et Cameron espèrent le savoir.

Parfois, les insurgés tombent sur un dépôt d’armes et chargent leurs armes de balles d’exercice (dites « à blanc »), mais les plus aguerris, ceux de la bridage des Martyrs du 17-février (islamistes ou anciens djihadistes) restent confiants. Ils fonceront sur Tripoli.

Ils prévoient trois colonnes : depuis Khums (à l’est), Ghayran (sud) et Zawiya (ouest) rapporte The Financial Times, citant Ismael al-Sallabi, l’un de leurs commandants.

Seif al-Islam Kadhafi avait proclamé qu’il avait rallié au régime certaines brigades islamistes (singulier revirement de la part du régime et de leur part), Benghazi a démenti.

Entre Benghazi et le djebel Nefoussa, ou encore Misrata, chacun cherche les bons, soit « ses » bons interlocuteurs. Tout le monde veut des armes et des munitions, mais chacun les détenant a ses propres priorités. L’Otan – ou plutôt les plus en pointe des coalisés – semble avoir opté pour un total blocus, qui n’avoue pas son nom, de Tripoli et des localités loyalistes. La faim et la soif devraient avoir raison des loyalistes. Ou susciter une révolte, ou une révolution de palais.

Frappes ciblées

Évidemment, dans ces conditions, les étrangers d’Afrique noire, qui ne seront pas prioritaires pour recevoir ce qu’il restera des stocks de vivre, fuient désespérément, s’embarquent pour Lampedusa.

Il doit bien y avoir un Anders Behring Breivik, l’auteur des carnages en Norvège, ou quelques autres, pour s’en réjouir. La Norvège vient d’enterrer 32 de ses victimes, dont deux adolescents de 14 ans, et un binational, un Franco-Norvégien, de 25 ans. Il doit y avoir, à Tripoli ou ailleurs, des Libyens qui ne voient plus trop la différence entre Breivik et les pilotes français et britanniques. Cela laisse quelques traces… Le lieutenant-colonel Hans Ole Sandnes (armée de l’air norvégienne), de retour au pays, admet : « quand nous larguons une bombe, ce déclenche un énorme pouvoir explosif, et c’est pratiquement impossible de savoir s’il se trouve des gens alentours. » (rapporté par Views & News from Norway). Il n’en est pas moins « fier » de la mission accompli et « certain » de n’avoir pas fait de victimes civiles. Ce n’est pas le seul, d’autres pilotes de diverses nations n’ayant été engagés que dans des missions de reconnaissance. Pour les autres… Vu du sol, il n’est pas sûr que les Lybiens fassent durablement la distinction. Surtout si l’Otan devait en venir à aider le CNT à se purger d’unités peu sûres, retranchées dans des localités, et employant elles aussi des « boucliers humains ».

Réjouissances

Le sénateur américain John Kerry se réjouit, car il n’a fallu finalement qu’un an pour faire tomber le Serbe Slobodan Milosevic, et qu’il est sûr que Kadhafi, un jour ou l’autre, ou d’un trimestre à l’autre, subira le même sort. C’est le principal, n’est-il pas, pour pouvoir un jour crier victoire.

Mais après la « victoire »…

Après la « victoire », ce sera peut-être comme en Irak. Le ministère de l’Intérieur irakien a fait déclarer, le 31 juillet, que la liberté d’information en Irak constitue « une menace pour la sécurité intérieure ». Mais, comme le ministre est à présent du bon côté… Les journalistes sont battus, menacés de mort par les policiers, et subissent « des harcèlements à répétition », indique Reporters sans frontières.
Bah, peut-être conviendrait-il de placer à la tête de l’Irak un nouvel « homme fort ». Nul doute que Bernard-Henri Lévy lui trouvera autant de qualités qu’au commandant tadjik Massoud, lequel, parvenu au pouvoir un temps, n’a pas laissé que de bons souvenirs aux habitants de Kaboul.