La pointe d’attaque des insurgés du djebel Nefoussa est un détachement d’environ 600 combattants qui ont pu progresser jusqu’à 30 ou 27 km de Tripoli… à l’ouest. Pendant ce temps, dans la nuit de samedi à dimanche, appuyés par des forces aériennes coalisées, les insurgés de deux quartiers de la capitale ont reçu depuis Benghazi l’ordre absurde d’affronter l’armée et les milices loyalistes. Sans pouvoir espérer d’autre soutien que celui des chasseurs ou hélicoptères de l’Otan qui peuvent fort bien déclencher des « tirs amis » ou provoquer la mort de civils désarmés. Du coup, des ministres britanniques ou italiens ont pu claironner, comme Al-Jazeera, que minuit avait sonné pour Kadhafi.
C’est par SMS, selon diverses sources, que les autorités de Benghazi ont incité leurs partisans à ouvrir le feu sur des points de contrôle et diverses cibles sans grand intérêt.
Pas d’omelette sans…
Comme le commentait si bien Bernard-Henri Lévy à propos de l’assassinat du général Younès et de deux de ses officiers, les insurrections, les révolutions, les soulèvements et changements de régime ne se font pas sans que des coquilles d’œufs éclatent. Benghazi s’est donc offert une omelette. Il est toujours mieux venu d’honorer des héros sans grade que de devoir satisfaire des anciens combattants plébéiens. Cela peut dispenser de purges.
Le 6 mars 1945, un coup d’État appuyé par l’Armée rouge de Staline permit d’instaurer un régime communiste en Roumanie. Après avoir liquidé les exploiteurs (pratiquement tout employeur) ou les avoir ruinés (les bouilleurs de cru se voyaient confisquer leur alambic car ils exploitaient le peuple), le régime élimina les bourgeois cosmopolites (francs-maçons, germanophones, Juifs hors parti, &c.). Puis vint le moment des purges dans l’appareil. Dès avant 1949, les communistes peu fiables sont désignés opposants à la construction du socialisme, éliminés ou déportés. Le Soviétique Béria sauvera quelques têtes, histoire d’avoir sous la main d’éventuels remplaçants de Gheorghiu-Dej s’il venait à dévier de la ligne.
L’après-guerre en France fut moins massivement marquée par des purges et on finit par recaser les Bousquet (chef de la police collaborationniste), les Papon, et autres ayant su s’aligner ou se faire un temps oublier.
Un « petit » Stalingrad ?
Selon Franklin Lamb, devenu difficilement joignable à Tripoli du fait des coupures d’électricité, les civils armés loyalistes – les milices des Kadhafi, si vous préférez – veulent résister « maison par maison, étage par étage ». Ils évoquent aussi le soutien de certaines tribus qui pourraient prendre à revers les avancées des insurgés en développant une guérilla de harcèlement.
C’est en brandissant un pistolet automatique qu’une présentatrice de la télévision libyenne a proclamé qu’elle « tuera ou mourra aujourd’hui ». « Nous voulons devenir des martyrs, » a-t-elle assuré, se faisant la porte-voix de ses collègues, peut-être pas toutes et tous aussi résolus qu’elle-même.
Bagdad n’est pas tout à fait devenue un petit Stalingrad après la mise en scène de la statue de Saddam Hussein déboulonnée par des Irakiens enthousiastes. Les allégeances de certains opposants d’avant l’intervention américaine ont depuis fluctué…
La chute du clan Kadhafi pourrait intervenir au moment ou le gouvernement écossais (qui jouit d’une notable autonomie) pourrait rendre public des documents établissant que de sérieux doutes subsistent quant à la culpabilité d’Abdel al-Megrahi, le principal inculpé pour l’attentat dit de Lockerbie (270 morts dans l’explosion d’un avion de ligne).
Ce qui pourrait alimenter quelques rumeurs sur la duplicité de « l’Occident »…
Forcer la main
La Ligue arabe, qui avait appelé l’Onu à prendre une résolution condamnant la répression par Kadhafi de la rébellion, ne s’attendait pas vraiment à ce que Britanniques et Français alimentent une guerre civile par tous les moyens ne heurtant pas trop violemment l’opinion.
Si une guérilla s’instaure, il n’est pas tout à fait sûr que les pays arabes, encore moins les pays d’Afrique subsaharienne, ou les voisins tunisiens et algériens, aient trop envie de faire coiffer leurs troupes de casques bleus. Hormis le Qatar, sans doute aussi le réel pouvoir égyptien (soit l’armée), la plupart des pays arabes considèrent qu’ils se sont fait forcer la main.
Les États-Unis pourraient se montrer réticents à fournir un contingent de « soldats de la paix », pour des raisons budgétaires ou de politique intérieure.
Bernard-Henri Lévy a déclaré à Reuters qu’il était confiant : il a consulté des documents du CNT prônant un « respect absolu des règles du droit » pour éviter des débordements lors du soulèvement de Tripoli. Mais il n’y aura pas de « débordements » : « je prends le pari qu’on ne verra pas cette guerre civile que d’aucuns prétendent redouter. ». Il mise quoi au juste, BHL ? Ses futures gardes et tournées nocturnes dans Tripoli « apaisée » ?
Il ajoute crânement : « la démocratie commencera par la mise en jugement des criminels de guerre. ». De Moussa Koussa ? L’un des Bousquet-Papon libyens ? Abdessalem Jalloud, réfugié depuis peu en Italie mais toujours conspué par la plupart des insurgés de Cyrénaïque ? « U also be on trial », lit-on sur Twitter : « tu seras aussi jugé ». Pas sûr.
Ben Shatwan, ancien ministre de Kadhafi, réfugié en France, déclare vouloir se retirer de la politique, « écrire, apprendre, et aider les autres ». C’est plus prudent.
Espérons que les autres pays ne laisseront pas les seules France et Grande-Bretagne « aider les autres » à instaurer la paix civile en Libye.
Zliten ville morte
Zliten (Zlitan), ville tripolitaine, est quasiment déserte depuis qu’elle est libérée. Une petite moitié de sa population, réfugiée à Misrata, refluera. L’autre mettra beaucoup plus de temps à revenir, attendant de voir comment seront traités ceux qui sont restés et peuvent être considérés comme d’anciens partisans de Kadhafi n’ayant pas combattu.
Pour Gadayem (24 kilomètres à l’ouest de Tripoli), qui serait à présent assiégée, il est trop tôt pour se prononcer : les insurgés de l’Ouest déclarent pouvoir la prendre au cours de la nuit. Et assurent même qu’ils prendront position aux abords de la capitale avant l’aube.
Bizarrement, on ne sait trop d’où sont provenus les tirs ayant empêché un navire maltais d’approcher le port de Tripoli afin d’évacuer des Britanniques, des Polonais, et d’autres ressortissants étrangers. Paulina Kapuscinska, ministre des Affaires étrangères polonaises, a déclaré à l’AFP : « des pourparlers se poursuivent avec les rebelles pour laisser le bateau aborder. ».
Bref, si la situation immédiate reste confuse, il y a fort à parier, en dépit des pronostics de BHL, que l’étape suivante le sera encore davantage, peut-être encore plus durablement.
Actualisation (dimanche, 23:30, heure de Paris) : les insurgés venus par mer de Misrata (donc escortés par les forces navales coalisées) et de l’ouest de Tripoli, auraient investi plusieurs quartiers de la capitale. Pour mémoire : bien joué, les rebelles viennent de diffuser qu’ils se seraient emparés de la personne de Seif Kadhafi, en sourçant Al-Jazeera. Je viens d’explorer le site, version anglophone, de la chaîne du Qatar, sans trouver rien de tel. Mais l’important est de le faire croire. De même que, bien sûr, il convient de proclamer que les insurgés sont partout accueillis triomphalement dans Tripoli. C’est plus prudent ; surtout si on craint des représailles. Espérons que des consignes auront été données pour ne pas passer par les armes tous les présumés mercenaires africains.
Toutefois, vers 00:50 (heure de Paris), Al-Jazeera a bien finalement confirmé que, selon ses informations, trois fils de Kadhafi seraient prisonniers des insurgés : Saif al-Islam, Al-Saadi, et Muhammad (son fils aîné). On a lu aussi (ailleurs) : « A short time ago the International Criminal Court (ICC) announced the country’s leader of 41 years had been detained. ». Démenti dans les minutes qui suivaient. Mais l’important est que des partisans de Kadhafi l’aient cru sur le moment.
Vers 00:10, Zeina Khodr, d’Al-Jazeera, se trouvait à environ un kilomètre de la Place Verte (où se déroulaient les manifestations pro-Kadhafi), indiquant qu’elle ne pouvait progresser en raison des combats. Mais environ vingt minutes plus tard, Alex Crawford, de Sky News, avait atteint cette Place Verte.
00:40 – la presse hispanophone commence à publier ou diffuser des papiers ou sujets qui évoquent fort une nécrologie de Kadhafi, rappelant sa naissance à Sirte, son accession au pouvoir, &c.
02:00 – Violents combats dans le quartier de Tajoura, rapporte la chaîne al-Arabiya. The Guardian laisse supposer que l’hôtel Rixos, où se trouve pour partie la presse internationale, serait mis à sac.
02:40 – Mahmoud Jibril : « Aujourd’hui que nous célébrons la victoire, j’en appelle à votre conscience et à votre responsabilité: ne vous vengez pas, ne pillez pas, ne vous en prenez pas aux étrangers et respectez les prisonniers… », a-t-il déclaré à la chaîne de Benghazi, Libya al-Ahrar. Des rumeurs veulent que Kadhafi soit dans des tunnels ou des bunkers souterrains.
02:50 – Al-Jazeera s’apprêtait à diffuser un entretien avec Mohammed Kadhafi. On apprenait par ailleurs que Franklin Lamb, qui circulait à vélo dans Tripoli, a été blessé d’une balle à la jambe. Ce serait un tireur embusqué sur le toit du Marriott (hôtel) qui l’aurait atteint. Il a pu bénéficier de soins.
03:00 – le Brent passe sous la barre des 107 USD. Al-Jazeera, qui avait joint Mohammed Kadhafi par téléphone, indique qu’un insurgé aurait été tué dans l’assaut de sa résidence tandis qu’un garde du fils Kadhafi aurait été blessé par balle(s).
03:20 – le siège de la télévision libyenne à Tripoli serait aux mains des insurgés (selon eux) mais… la BBC fait état d’un reportage de cette même chaîne montrant des partisans de Kadhafi, ce lundi matin, brandissant ses portraits autour de sa résidence de Bab al-Aziziyah. Et Al-Jazeera confirme que la télévision de Tripoli émet ces images.
04:00 – les chaînes meublent avec des commentateurs ou répètent en boucle les mêmes informations de la nuit. Le correspondant de la BBC est toujours à l’hôtel Rixos et estime qu’il sera assiégé (et défendu par les loyalistes sur place, qui ne seraient plus qu’une trentaine environ, selon lui). Selon Rana Jawad, qui est à l’extérieur de l’hôtel, des avions de l’Otan opéreraient encore et la situation resterait confuse, mais apparemment perdue pour le régime de Kadhafi.
Selon [i]Le Figaro[/i], Kadhafi négocierait une exfiltration de sa fille et d’autres parents (mais pas de ses fils) en Tunisie. Par ailleurs, histoire de faire monter la pression psychologique, le domicile d’al-Senoussi, chef des services de renseignements, a été détruit par un bombardement : il n’était sûrement pas chez lui, mais une partie de sa domesticité, si…
Bah, les femmes de ménage d’un « centre de commandement » ne sont que des victimes collatérales.
« [i]Le symbole est important[/i], » relève [i]Le Figaro[/i]. Tandis que des petits-enfants de Kadhafi tués, c’est un symbole subsidiaire, sans doute.
Si la ville pétrolière de Briga à l’Est résiste depuis 6 mois à la pénétration des insurgés, pourquoi Tripoli serait-elle incapable d’une pareille résistance surtout que Kadafi s’y trouve?
En fait, c’est la date butoir fixée à l’OTAN( fin septembre) pour son intervention en Libye qui est à l’origine de cette curieuse accélération des évènements et cette fuite en avant dans ce pays. En somme , une dernière tentative par l’Ouest pour changer le régime libyen, avec de la chair à canon bon marché libyenne.
On peut le voir ainsi, Abu Ammar.
Selon le Sunday Times, le CNT faciliterait le départ de la famille Kadhafi et de divers proches vers un pays pouvant refuser de l’extrader.
« [i]But to save human lives and stop the fighting now, Gaddafi can leave Libya — on condition that he leaves with his family and those members of the regime whose hands are stained with blood[/i], » a déclaré Mansour Seif al-Nasr, représentant du Conseil à Paris.
S’il résiste, il ne sera pas jugé par une cour internationale, mais pendu haut et court, a-t-il ajouté. Ce n’est pas beaucoup préférable à une décapitation, mais assurément mieux qu’une lapidation publique.
Une qui aurait peut-être mieux fait de se taire et d’attendre la suite, c’est Martine Aubry qui a salué avec enthousiasme l’avancée des insurgés vers et dans Tripoli.
Pourquoi ne pas saluer aussi avec entrain les répressions actuelles en Égypte et Tunisie ? Eh, tant qu’à faire…
Du NewYorker, à l’instant (lundi, 00:15) :
« [i]The T.N.C. has tended to describe itself in whatever terms will most effectively secure it NATO’s continued allegiance. These are nothing more than campaign promises, irrelevant to postwar leadership and reconstruction[/i]. »
«[i] A third of Libya’s citizenry lives in Tripoli, and the capital cannot be conquered simply by inflating the techniques that worked in lesser towns. It could fall tomorrow, or hold out for a good while—and no one has enough information to guess, because the crux of the matter lies with the people of Tripoli. Do they fear the rebels more than Qaddafi? [/i]».
C’est toute la question, et la même question se pose à Alep et Damas. Une assez large partie de la population a-t-elle confiance dans les insurgés ?
Quelques heures plus tard, on avait la réponse : assez de confiance pour ne pas suivre les mots d’ordre de Kadhafi. Tripoli a été prise sans résistance massive (même si des combats continuaient lundi matin).
Kadafi semble avoir été trahi et induit en erreur par les tribus qui le soutenaient et par les marches et rassemblements populaires qui lui juraient fidélité jusqu’à la mort. Ceux qui ont été armés ont préféré ne pas les utiliser. Apparemment une tradition bien arabe, comme c’était le cas pour Sadam.
Mais une chose est certaine, c’est l’Alliance atlantique (avec ses bombardements intensives, ses fournitures d’armes et sa campagne médiatique de désinformation) qui a fait la révolution et qui a gagné en dernier lieu. Maintenant le plus dur est à venir:pacifier, stabiliser et remettre sur rail une Libye tribale où les armes sont désormais partout et chez tout le monde. Pas vraiment chose aisée.Beaucoup de sang a coulé, beaucoup de trahisons ont eu lieu pour que les libyens oublient et tournent définitivement la page.
Les chars américains sont entrés dans Bagdad comme dans du beurre….malgré des prédictions des plus alarmistes de journalistes !Rien à voir avec Stalingrad
Idem pour Tripoli….
L’ensemble de ces combats, dans et hors de la ville, firent de[u] un à deux millions de morts en un peu plus de six mois, soit de 4 500 à 9 000 morts par jour!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!![/u]
La question à se poser est de savoir si de l’uranium appauvri a été utilisé pour percer les bunkers….et en quel quantité…??
Kadhafi ne savait pas bien placer l’argent de la Libye a commenté une analyste britannique.
La valeur du fonds Libyan Investment Authority a chuté. Il est notamment composé de valeurs UniCredit (banque italienne), Pearson (éditions britanniques et US), Société Générale, Permal, Crédit Suisse , BNP Paribas , Palladyne et NotzStucki. Il y a aussi Finmeccanica, BASF, Lagardere, Nokia, Telefonica et Pfizer. Aussi d’autres analystes disent qu’il n’y a pas à s’inquiéter, que Kadhafi était un bon gestionnaire, &c.
Les grands perdants, les pétroliers et gaziers russes : Gazprom, Gazprom Neft et Tatneft. Et par ricochet l’allemande BASF SE’s Wintershall AG.
Il y a toujours des combats à Tripoli, Syrte et sans doute vers la frontière avec la Tunisie (donc des morts, des blessés).
Un troisième fils Kadhafi aurait été capturé à Tripoli. Mais cela devient un peu secondaire.
Son arrestation tourne à la blague. Saif Al-Islam réapparaît libre à Tripoli.
Par simple logique, Kadafi est toujours à Tripoli et peut être c’est lui qui dirige « les insurgés ». Car Abdel Jallil est toujours à Benghazi.