Alors que, ce dimanche, l’AFP reproduit encore complaisamment la thèse (absurde) du CNT selon laquelle on ne saurait pas si Kadhafi père (et fils, Mutassim) ont été tués par des tirs de « révolutionnaires » ou de loyalistes, l’évidence non contestée est que deux chasseurs de l’armée de l’air française ont tenté – en vain – de liquider des dignitaires du régime déchu.

Des mémoires et témoignages récents l’ont établi : les pilotes des Junker 87 sturmzkampfflugzeug de la Luftwaffe riaient à gorge déployée après avoir largué leurs bombes et être repassés au-dessus des convois de réfugiés pour mitrailler hommes, femmes, vieillards et enfants. Les pilotes français qui ont bombardé par deux fois le convoi de véhicules dans lequel se trouvait Mouammar Kadhafi fuyant Syrte ont dû sourire : ce convoi allait être intercepté un peu plus loin, mais ils ont hâté l’exécution de Kadhafi.

Non seulement des équipements et des infrastructures industrielles libyennes ont été sciemment détruits par les aviateurs coalisés mais, après avoir réussi à tuer un fils et deux petits enfants de Kadhafi à Tripoli, les pilotes de chasseurs auront donc réussi à faire quelques anonymes morts supplémentaires parmi les dignitaires du régime déchu fuyant Syrte.
Mais pourquoi donc ?
Pour le « sport » ou parce qu’il fallait que la France participe à la curée, à l’hallali ?
Le reportage de Luc Mathieu à Misrata pour Libération est éloquent.
C’est, comme on dit, du bon journalisme : les faits sont là, libre au lecteur de « lire entre les lignes » et d’en tirer les conclusions que seul un éditorialiste-maison pourrait, ou non, exposer.
Ou toute lectrice ou tout lecteur sachant un peu de quoi il en retourne.

« D’après Lofty el-Amin, l’un des commandants de la katiba Chahid, présent sur le front ouest de Syrte jeudi matin, les rebelles ont repéré vers 8 heures un convoi d’une trentaine de véhicules s’échappant de Syrte par l’ouest… ». Ce commandant déclare : « Leur route était barrée par un autre groupe qui les attendait un peu plus loin. ». La chasse française a très vraisemblablement repéré tant le convoi que cet autre groupe. Mais à 08:30 environ, un premier chasseur détruit les véhicules de tête et leurs occupants. Première version de l’Otan, il s’agissait de véhicules armés. Puis, plus de mention de véhicules armés dans les versions suivantes. Pour cause, le Toyata 4×4 de Khadafi et d’autres véhicules seront bombardés (avec une ou des bombes de 250 kg) par un second appareil français.

Cela se produit alors que les véhicules se sont regroupés et s’immobilisent. La suite, c’est que surviennent des combattants armés (des « civils protégés » en version Otan) qui trouvent Kadhafi, « en sang », donc blessé, et pas du tout par les thuwars. La suite est plus ou moins évidente. Agonisant ou déjà mort, Kadhafi est évacué vers Misrata.

Félicitations à nos vaillants pilotes

On espère que ces deux pilotes seront au moins cités à l’ordre de la Nation. Leur intervention n’avait d’autre utilité que de faire un carton. Certes, vraisemblablement, pas sur du menu fretin, soit des familles fuyant à bord de véhicules rafistolés. Rappelons quand même que, s’il n’y avait pas de véhicules armés, un hélicoptère aurait pu immobiliser le convoi sans faire de victimes, en tirant dans les moteurs : le convoi avait été repéré initialement par un drone américain. De toute façon, ce convoi allait être intercepté par les « révolutionnaires ». Admettons que les combattants auraient pu devoir répliquer à des tirs d’armes légères de la part des occupants des véhicules. Mais question protection des civils, à d’autres…

Aucun titre de presse ne prend la peine de tenter de recenser les bâtiments détruits, ni d’attribuer aux frappes de l’Otan (aériennes et maritimes, rien que 300 obus tirés par la Royale, sans doute autant par les bâtiments de sa gracieuse majesté britannique) ce qui leur revient. Pour la destruction quasi complète de l’hôpital de Syrte, on sait : ce sont majoritairement les tanks et les roquettes des « révolutionnaires » qui l’ont presque rasé. Pour, par exemple, des bâtiments et matériels de traitement de l’eau, on ne sait trop, et on ne saura sans doute jamais. Chinois ou Russes reconstruiront peut-être…

Les morts de Kadhaffi, exécuté tout comme son fils Mouatassim, froidement pour le second, dans la confusion pour le premier, ne feront pleurer que leurs proches. Les morts des civils désarmés, abattus par les aviateurs coalisés, ne feront sans doute pas trop pleurer dans les chaumières : il n’y aura aucun bilan. Dernier bilan de l’Otan, 11 véhicules détruits dans le convoi fuyant Syrte et escortant Kadhafi : juste des véhicules détruits, pas de victimes, évidemment. Ces véhicules « transportaient des armes et des munitions représentant un danger potentiel pour les populations, » précise un communiqué de l’Otan. C’est vrai qu’un pistolet en or, cela peut faire un massacre de civils désarmés. Bref, à deux-trois-quatre personnes par véhicule, cela fait une bonne trentaine de personnes tirés comme des lapins.

Blessé, pas blessé, capturé, en fuite ?
Donné blessé (aux jambes), capturé, puis en fuite, Seif al-Islam serait, aux dernières nouvelles ce dimanche, prisonnier, « vivant et indemne », d’on ne sait trop qui. Prisonnier de brigades de Misrata ou de Benghazi, ou du Djebel Nefoussa, ou de milices islamistes, il est trop tôt pour le dire. Cette fois, c’est à proximité de Nessma, localité proche de Bani Walid, que l’aîné des Kadhafi aurait été capturé. La brigade des Lions de la Vallée (Osoud el Wadi, donc de l’oued, ou de la vallée, comme on voudra) aurait procédé à son arrestation. Depuis, il a pu passer en d’autres mains, à moins que la nouvelle soit prochainement démentie. On le disait auparavant blessé à Zlitan. On le dit escorté à présent vers Misrata. L’ami de Tony Blair, le copain de bamboche du prince Andrew, sera peut-être brûlé par des mégots comme son frère, mais vraisemblablement pas exécuté. À moins que l’on s’arrange pour le faire taire définitivement, histoire de laisser ses souvenirs et sa mémoire arrangés à la sauce qui conviendra au plus grand nombre du moment.

Des Kadhafi, il reste donc essentiellement Mohamed, Hannibal et Aïcha, réfugiés en Algérie. Plus des proches au Niger. Que l’on sache, ils ne partouzaient pas avec DSK et d’autres à L’Aventure ou dans des hôtels parisiens dont les tenanciers ne risquent pas trop d’être poursuivis pour proxénétisme : c’est déjà cela. Pour Khamis, tué à Tripoli, on ne sait pas vraiment non plus. Reste aussi Hana, la fille adoptive déclarée tuée par des bombes américaines, et qui avait en fait survécu.

Allez, BHL, wesh, zyva

Je ne souhaite absolument que la Libye plonge dans le chaos, encore moins que les milices alimentées directement par le Qatar, sans aucune concertation avec Benghazi, prennent le dessus. Mais voici que Bernard-Henri Lévy nous livre sa vision cocasse des choses. Moi-moi-moi, et six millions et quelque de petits Libyens, comme aurait pu le chanter Dutronc. Observateur gavé de canapés, prima donna avec Nicolas Sarkozy en second rôle, l’auteur de Qui a tué Daniel Pearl ?, méprisé par la veuve de son personnage, nous donne à présent un La Guerre sans l’aimer. Tartuffe. Ce sous-Malraux (autre faiseur) adore la guerre quand elle lui offre des opportunités de se faire photographier. Au passage, il nous fait de son père, un Juif marocain, un héros à la Homère. C’est toujours cela de pris. Ce « journal d’un écrivain au cœur du printemps libyen », sortant comme d’habitude chez Grasset, nous épargnera évidemment le bilan des civils morts du fait des frappes coalisées. C’est plein de beaux trémolos du genre : « mon pays, la France, qui soutenait les dictateurs. ».
C’est de Kadhafi, de Bachar el-Assad, ou d’Alassane Ouattara dont il parle ?
De José Eduardo dos Santos ou de Jonas Malheiro Savimbi ?
Ancien ami de dictateurs (ou plutôt, des hommes d’affaires qui les font), peut-être de futurs en voie de s’emparer du pouvoir (d’obéir à des hommes d’affaires), Bernard-Henri Lévy, faute de piloter des Stukas, applaudit des deux mains l’intervention coalisée en Libye.

Cette intervention, que selon Rony Brauman et tant d’autres ne se justifiait même pas pour protéger Benghazi (inexpugnable si toute la population avait voulu combattre autant qu’à Misrata), a coûté la vie à, au bas mot, de 30 000 à 50 000 morts (estimations à la louche, fluctuante, de Benghazi, qui ne recense sans doute que les civils neutres et les combattant des divers bords non-loyalistes). Une formidable réussite pour BHL, Juppé, Sarkozy, Longuet, maints autres.
Allez, cocorico ! On a raté Kadhafi, mais de peu… Cela valait bien des dizaines de milliers de morts.
Et puis, quel beau spectacle ! Édifiant pour les enfants et les générations futures.
Guilia Sarkozy-Bruni pourra être fière de son papa et de son tonton chef d’escadrille, Bernard-Henri, « libérateurs de la Libye ». Edda Harda, la fille d’Emmy Sonneman et d’Hermann Göring, était aussi très fière de son papa… et de leurs amis pilotes de Stukas.