Exit le Conseil transitoire national libyen, place au Conseil intérimaire (voire aux intermédiaires). Alors que la réunion de Londres n’est pas, à cette heure, achevée, il reste possible de présumer que l’Otan (en fait, la Turquie, l’Italie, l’Allemagne) vont laisser encore un peu les mains libres aux « coalisés volontaires » pour empêcher que les forces loyalistes reprennent durablement des terminaux pétroliers.

Le Conseil intérimaire, représenté à Londres, peine à convaincre ne préfigure pas le futur pouvoir en Libye et qu’il se contentera de trouver des interlocuteurs dans les factions loyalistes pour élaborer une nouvelle constitution et organiser des élections (dans quel ordre au juste ? il est un peu prématuré pour le dire). Toujours est-il qu’il a présenté aux pays réunis à Londres une sorte de mémorandum ou déclaration d’intentions qui ne mange pas de pain et peut satisfaire un peu tout le monde, régimes séculiers de façade ou pays attachés à la laïcité.

Le « dialogue, la tolérance, la coopération et l’unité nationale » sont les maîtres mots de la feuille de route que se fixe le Conseil « intérimaire » libyen. Petite aspérité, le régime de Kadhafi est déclaré « illégal ». Le reste est très inspiré par Montesquieu et la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) ou le respect des libertés formelles (de la presse, de manifester, notamment).
Pas de référence directe au coran, mais à des « convictions religieuses » qui guideraient un État séculier garantissant la « doctrine religieuse » tout en condamnant l’intolérance, l’extrémisme et la violence. Les droits des minorités (ethniques, de genre, &c.) seront garantis et on peut considérer que cela s’étend aux minorités religieuses. Les femmes auront droit d’accès à toutes les sphères d’activités (légales, politiques, économiques et culturelles).
Le « secteur public » (donc, peut-être, des consortiums d’État) serait préservé et coopérerait avec le privé, la liberté d’entreprendre étant affirmée. Cela ne fâche ni la Turquie, ni les Émirats, ni bien évidemment les démocraties occidentales. L’original, intitulé « Une vision d’une Libye démocratique » a été rédigé en arabe, mais les diverses traductions ne devraient pas soulever de points litigieux. C’est la composition même des « démocrates » à la tête du Conseil qui pose problème.

Restera à trouver des interlocuteurs, ou des intermédiaires, pour convaincre les factions loyalistes. Un moment, le ministre libyen des Affaires étrangères, Moussa Koussa, a été annoncé en Tunisie, et qu’il aurait manifesté l’intention de se rendre en Italie. On ne sait encore s’il a agi de sa propre initiative ou non. L’Italie continue de laisser entendre qu’un pays africain pourrait accueillir les Kadhafi. Cela se ferait au mépris de la résolution 1970 des Nations unies qui engage tous les pays siégeant à l’Onu : hormis le Vatican, le Kosovo et Formose (Taïwan), aucun pays ne peut s’engager durablement à se soustraire aux investigations de la cour internationale de La Hague. Bien sûr, Kadhafi pourrait bénéficier d’un long répit, avec l’assentiment tacite de divers pays occidentaux, mais il ne pourrait jamais se targuer d’être indéfiniment en sécurité. Tant le Conseil intérimaire ou le futur pouvoir incluant les anciens alliés du clan Kadhafi feront tout, un jour ou l’autre, pour mettre la main sur ses avoirs, et il faudrait que Kadhafi soit vraiment acculé à fuir pour qu’il se résolve à ce compromis… intérimaire ou intermédiaire. Et certains membres du Conseil intérimaire (voir infra) ne sont pas des faisans de la dernière pluie…

Quoi qu’il résulte de la conférence de Londres, l’Otan (entendez surtout la Turquie, l’Italie et l’Allemagne…) va laisser un peu de marge de manœuvre aux pays « volontaires » de la coalition (en particulier aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, la France semblant désormais en retrait quant aux opérations les plus offensives) pour jouer sur les mots de la résolution 1973 et apporter un soutien, s’il n’est décisif pour l’emporter, du moins pour sauver la mise et la Cyrénaïque, aux « troupes » du Conseil intérimaire.

En témoignent les très récentes frappes contre des unités navales loyalistes et l’arrivée sur zone d’appareils d’attaque au sol, des AC-130 et des A-10. Les Lockheed AC-130, des Hercules militarisés, sont bardés de canons de 20, 40 et 105 mm. Les Fairchild A-10 sont équipés d’un canon multi-fûts de 30 mm (près de 4 000 obus à la minute) et peuvent larguer, à moins de 300 m d’altitude, des ogives, des roquettes, des bombes guidées ou non, des missiles air-sol. L’idée n’est plus seulement de détruire des chars, mais aussi des véhicules blindés, en terrain découvert (à la poursuite des éléments, faute de pouvoir les qualifier d’unités, du Conseil intérimaire), mais aussi de pouvoir intervenir au-dessus des villes où des blindés loyalistes auraient pu prendre position. Cela suppose des « dégâts collatéraux » plus limités à Misrata, voire à Tripoli même, et la possibilité, pour les A-10, de se poser et de redécoller depuis de petits aéroports de Cyrénaïque.

L’Otan, par la voix de l’amiral James Stavridis, affirme ne s’être pas dotée d’observateurs du côté du Conseil intérimaire. S’il devrait prendre le relais de la coordination des forces coalisées, volontaires ou moins volontaires, au courant de la nuit de mardi à mercredi, dans les faits, les forces loyalistes peuvent s’attendre encore à de très pénibles longues heures. Deux objectifs : stopper leur contre-offensive, casser leur moral en les frapper partout où les pertes civiles pourraient rester limitées.

La Russie a de nouveau insisté sur le respect de l’embargo stipulé par la résolution 1973 alors que les États-Unis faisaient savoir qu’il n’était pas exclu d’armer le Conseil intérimaire. Pour le moment, après les menaces directes adressées à des commandants d’unités loyalistes (du genre : voici vos coordonnées, les données sont entrées dans la mémoire de nos missiles), des émissions radio visent à convaincre les troupes loyalistes, libyennes ou autres (essentiellement des combattants africains) de déserter. Les Libyens, de tous bords, s’en remettent davantage à Al Jazeera qui vient de signaler qu’après Bin Jawad, Ras Lanuf a été évacué par les troupes des shababs pilonnées par des mortiers et des pièces d’artillerie. « Sarkozy, où es-tu ? » s’exclameraient les fuyards que la chaîne émettant du Quatar décrit armés de lance-roquettes et de… feuilles et hachoirs de boucher.

L’Express vient de relayer la position bulgare et les remarques des journalistes et observateurs bulgares qui voient dans le Conseil intérimaire un quarteron d’anciens partisans de Kadhafi s’étant illustrés lors de la crise dite « des infirmières bulgares ». Moustapha Abdeljalil ? « Un fidèle parmi les fidèles » de Kadhafi. Idris Laga ? « Un homme avide et sans scrupules ». Abdel Fattah Younis ? Il avait été surnommé à Sofia le « tortionnaire en chef ».

Pour qui lit le cyrillique, les articles de 24 Tchassa (24 heures), sont édifiants. 24 Tchassa reprend aussi, avec pour illustration un appareil V-22 Osprey (voir V-22 Osprey spacu svaleni piloti), l’information du réseau Voltaire selon laquelle ces appareils appuieraient le groupe de combat amphibie Kearsage des Marines dont la mission ne se bornerait peut-être pas à récupérer des pilotes ayant dû s’éjecter au-dessus de la Libye. Mais bon, il faut le prendre avec circonspection…

Actualisation :
Pour les faits marquants de la nuit du 29 au 30 mars, voir les commentaires (se fondant sur le fil des événements relaté par Al Jazeera principalement).