On le sait, l’Assemblée nationale libyenne, dont on ne sait trop ce qu’elle représente au juste, a rejeté hier jeudi la composition du gouvernement proposé par le Premier ministre Moustapha Abou Chagour. La liste ne serait notamment pas représentative des diverses régions. Le rejet fait suite à l’irruption de manifestants venus de Zawiya (ouest de la Libye), mécontents de n’être pas représentés. Mais en fait, la mésaventure survenue à une Australienne, Pippi Bean, est beaucoup plus significative de l’état des institutions en Libye après une révolution fomentée de l’extérieur et la chute du régime dictatorial de Mouammar Kadhafi vaincu principalement par les bombardements de l’Otan.
Que la famille Kadhafi ait été aussi prévaricatrice que celle des Ben Ali-Trabelsi est constant, soit non contesté. Qu’une forte majorité de la population libyenne, comme actuellement en Syrie, désirait des réformes sociales et politiques ne fait guère de doute.
Mais quand on met le doigt, puis la main, dans un engrenage, il est permis de s’interroger sur les conséquences, et ce qu’on laisse derrière soi.
Je ne reviendrai pas sur divers épisodes récents de l’actualité libyenne, largement exposés sur Come4News. En revanche, il me semble significatif de faire état de la mésaventure survenue à une chargée d’affaires « humanitaires » (souvent un business comme un autre) australienne, instrumentalisée pour se débarrasser du secrétaire d’État à la Santé libyen, Almahdi Alamen.
Pippi Bean était employée à Tripoli par l’International Organization for Migration. On ne sait trop ce que fait au juste cette ONG, basée à Genève, mais sa mission était de faire implanter une cinquantaine de médecins et autant d’infirmières égyptiens ou tunisiens en Libye. Pourquoi pas ?
Son interlocuteur était le secrétaire libyen à la Santé, Almadhi Alamen. Le 8 juillet dernier, il l’invite (ou la convoque) pour une réunion de travail d’une quinzaine de minutes dans ses bureaux.
Quelques semaines plus tard, la rumeur tripolitaine veut que le sous-ministre ait une relation sexuelle avec sa secrétaire, ou une infirmière bulgare, selon les versions.
Le 11 septembre dernier, il devient suspect d’avoir violé Miss Bean, qui se retrouve confrontée à sept hommes se prétendant des représentants de la sécurité libyenne. Le 23 septembre, elle est convoquée, et deux jours plus tard, le 25, ayant alerté ses supérieurs à Genève et l’ambassade d’Australie au Caire, elle répond à la convocation. Elle est interrogée plusieurs heures de suite, et incitée à confesser des relations sexuelles, consenties ou sous la contrainte, avec le secrétaire d’État. Il lui sera proposé de signer un procès-verbal ou une main courante d’interrogatoire en arabe, langue qu’elle ne lit pas, ni ne comprend vraiment. Elle refuse donc.
Le lendemain, sur le départ pour Rome à l’aéroport de Tripoli, elle sera détenue brièvement sur place, puis emmenée dans d’autres locaux locaux afin qu’elle puisse signer sa déposition. Finalement, elle pourra récupérer son passeport et prendre un avion.
« Ce pays se délite », a-t-elle confié au Sydney Morning Herald. « Nous devons prétendre que tout est bien dans le meilleur des mondes (…) et l’aveuglement de la communauté internationale facilite ce travestissement de la réalité. ».
Certes, comme en Tunisie, Égypte, Syrie… nombre de gens sincères et fondamentalement altruistes ont espéré un avenir meilleur. Mais leurs efforts et souffrances pèsent désormais peu. Les groupes d’intérêts en place préféreront toujours de faux résistants ou de la dernière heure, corruptibles, à de véritables idéalistes épris de justice sociale et de réelle démocratie. On l’a constaté en France, en d’autres pays, notamment en Grèce où la Résistance fut laminée, de manière sanglante, par le pouvoir churchilien en place au Royaume-Uni ou les successeurs de Roosevelt aux États-Unis.
Bien évidemment, le gouvernement australien a traité le cas avec des pincettes. Tout comme son employeur. Les affaires sont les affaires. Y compris dans « l’humanitaire ».
La France – le quai d’Orsay – n’est guère plus en pointe lorsqu’il s’agit d’appuyer des ressortissants détenus par des dictatures, notamment en Afrique.
Bah, ce qui compte, comme l’exprimait Alain Juppé à propos de la Libye, c’est le « retour sur investissement ». Qu’il se concrétise ou non importe finalement peu. Et les dommages collatéraux fâcheux, tant qu’ils ne touchent pas directement nos « élites » sont menu fretin, et si peu dignes d’intérêt.