Les véhicules des shababs et des troupes du Conseil national libyen seront peints… en rose. Il faut espérer que les troupes loyalistes n’auront pas la même idée et les mêmes stocks de peinture. Vus d’une distance de cinq à six km (depuis une altitude de 3 500 m), les véhicules, même si le rose est mis, ont tout à craindre des frappes de l’Otan. Surtout si certains coalisés se sentent moins « croisés » que d’autres contre Kadhafi…

Selon je ne sais plus quel officier supérieur ou porte-parole de l’Otan (mais le vice-amiral britannique Russ Harding l’a repris à son compte depuis Naples), l’Alliance atlantique « n’était pas informée que ces forces disposaient de chars. ». C’est dommage que, à l’état-major de l’Otan, et surtout dans les salles d’opérations des bases aériennes, on ne lise pas la presse. La défection d’unités blindées de l’armée libyenne était connue depuis la mi-février, les forces spéciales coalisées à Benghazi ou Tobrouk n’en ignoraient sans doute rien.

On peut se poser plusieurs questions. Qui, du général Abdel Fattah Younes, qui est supposé commander, outre la 36e brigade parachutiste, l’ensemble des forces du Conseil, ou de son rival, le général Khalifa Heftar, a décidé d’engager la moitié de l’effectif d’une trentaine de chars russes T-54 et T-55 dont disposent les « rebelles » dans leur ensemble ? Les frappes aériennes de l’Otan (de quel coalisé, au fait ?) ont fait, selon les heures, les sources et les versions, de trois à 14 morts, et détruit d’un à quatre ou sept blindés. Pourquoi ont-ils été détruits ? La version la plus communément admise est que le ou les pilotes coalisés auraient découvert cet objectif potentiel par hasard. Mais d’autres versions sont envisageables. D’une part, si on veut protéger des civils, ce n’est pas en tirant sur d’autres chars loyalistes ayant pris position au cœur des villes (c’est en tout cas la version officielle) qu’on donne l’image d’un pouvoir soucieux d’éviter les victimes collatérales. S’il apparaissait que le Conseil, en dépit des bonnes paroles de Bernard-Henri Lévy, se livrait au même type de guerre civile que Kadhafi, pensez-vous que le gouvernement finlandais, parmi d’autres, resterait longtemps aux côtés de l’Otan ? Déjà, l’Onu signale que le Conseil emploie lui aussi, dans une bien moindre proportion, des mercenaires. D’autre part, si les rivalités s’exacerbent entre les deux généraux du Conseil, si déjà tous les coups sont permis, on peut se demander si cette colonne de chars détruite n’affaiblit pas l’un ou l’autre.

Cela étant, cette bavure plaide pour la thèse polonaise : l’Otan n’est plus tout à fait adaptée pour coordonner les forces armées européennes. D’autant plus que les forces aériennes européennes ne sont pas vraiment équipées pour ce type d’opérations. Au Kosovo, il n’était plus permis aux pilotes de descendre au-dessous de 5 000 m. Là, les pilotes français descendent à 3 500 m, au risque de pertes : les missiles sol-air des forces loyalistes peuvent les atteindre. Ils restent hors de portée des batteries légères antiaériennes (canons de 20 et 37 mm), mais non de toute menace. Le rose peut être mis, cela ne change guère la donne.

Sur le front diplomatique, le RND algérien d’Ahmed Ouyahi annonce qu’il déplore l’action de l’Otan et appelle les parties à un cessez-le-feu immédiat. La Russie (mais aussi l’Inde, de fait) et d’autres pays souhaitent une « réconciliation nationale ». La notion que les Occidentaux ne sont guidés que par leurs intérêts industriels et commerciaux prévaut au Pakistan où, pour une frappe sur des talibans, on compte souvent une cinquantaine de victimes collatérales. Le Foreign Office suggère donc très fortement au Conseil de confier ses relations publiques et son expression publique à des spin doctors (faiseurs et « retourneurs » d’opinion) professionnels. Christopher Prentice, l’ambassadeur britannique à Rome, est désormais à Benghazi. Mais il ne suffira pas de débattre de la couleur des pois sur la livrée rose des véhicules blindés.

Il y aurait peut-être une solution tordue, en dépit de la résolution 1970 : ce serait d’offrir à Kadhafi une vraie porte de sortie, de lui garantir l’immunité pour ses crimes, et même de laisser l’un de ses fils se présenter à une élection générale après une période transitoire. Oui, mais, là, il n’est pas sûr qu’étant donné les rapports de force démographiques (est-ouest, nord-ouest–sud-ouest), ce soit l’actuel Conseil (d’ores et déjà divisé) qui l’emporterait. Parmi les multiples partis et formations politiques qui pourraient émerger, il n’est pas du tout sûr que les interlocuteurs de Nicolas Sarkozy ou Bernard-Henri Levy prédominent.