Il est certes beaucoup trop tôt pour estimer, ce lundi en début d’après-midi, que les Kadhafi font désormais profil bas, mettant en avant des officiels loyalistes. Ce qui semble sûr, c’est que Khamis Kadhafi, n’apparait pas plus ouvertement que ses frères ou son père. Sa mort avait été annoncée, elle est officiellement démentie par Tripoli. Pourrait-il être à la tête de sa 32e brigade qui est supposée tenter une contre-offensive à l’est et au sud de Tripoli, contre les localités berbères et autres aux mains du Conseil transitoire ? Ce nouveau front constitue une violation du cessez-le-feu proclamé, lequel pourrait être aussi violé par les Shabab, les volontaires du Conseil transitoire.

C’est un peu trop vite que La Stampa, entre autres quotidiens et médias, avait titré sur la mort de Khamis Kadhafi.

Si on ne sait toujours pas vraiment si un appareil du Conseil transitoire avait été abattu par erreur ou par un missile anti-aérien des forces loyalistes au-dessus de Benghazi (diverses versions ont circulé, le Conseil transitoire est revenu sur de précédentes déclarations), il est certain que le « bunker » des Kadhafi à Tripoli n’a pas été la cible d’un « kamikaze », comme cela avait été annoncé.

Peter Beaumont, du Guardian, qui se trouvait près de ce complexe de Bab al-Azizia, est formel : « aucun jet n’est tombé ».

Annoncer la mort de Khamis, 29 ans, pouvait se concevoir de deux manières. C’est un militaire, chef de l’une des unités les plus fidèles à sa famille et des plus aguerries, l’annonce de son décès pouvait déclencher des défections.
On sait qu’elles sont fortement suggérées à des officiers supérieurs qui sont contactés en leur indiquant les positions GPS de leurs postes de commandement et qu’ils sont des cibles repérées par les missiles de la coalition. À l’inverse, alors que la Ligue arabe, mais aussi la Turquie, la Russie et à présent l’Afrique du Sud, émettent de franches réserves sur les buts réels ou supposés des opérations militaires de la coalition, qu’il a été formellement démenti que des frappes viseraient Kadhafi ou sa famille, le donner un temps pour mort n’était pas si mal venu, pourrait-on penser. Oui, mais Kadhafi a d’autres fils, et il s’était déjà « adopté », peut-être à postériori, une très jeune enfant lors de l’opération El Dorado Canyon en avril 1986. Hannibal, officier de marine d’opérette, aurait bien mieux fait l’affaire, quitte à survivre à de présumées blessures.

Jusqu’à présent, hormis les presses allemande et italienne, peu d’intérêt étaient porté aux villes de l’est libyen, pour certaines à majorité berbère. Il semble que Zintan fasse l’objet d’une tentative de reprise par les forces loyalistes. Le sort de Nalut et Sintan est incertain, les sources divergeant. Zenten et Yefren seraient pilonnées par l’artillerie loyaliste et des chars.

La question est désormais de savoir ce que feront les troupes, « régulières » (les régiments ayant fait défection), ou improvisées, du Conseil transitoire. Comment progresseront-elles vers l’est ? Ouvriront-elles le feu les premières ? Comment interpréter la résolution 1973 alors qu’il est question de confier la direction des opérations à un commandement unique (de l’Otan, par exemple), qui tarde à se mettre en place ? L’option de confier les opérations à un commandement franco-britannique n’a pas été exclue par Robert Gates, le ministre étasunien de la Défense.

Faute de sources fiables à l’est et au sud de Tripoli, les journalistes encore présents étant surtout retenus dans la capitale, ce sont les divers états-majors (français, danois, britannique, italien…) qui, au retour des avions de reconnaissance, informent la presse. Laquelle est peut-être incitée à ne pas rendre compte des décollages depuis les aéroports militaires du sud de l’Europe pour des raisons de sécurité. On ne peut donc que supputer quelles sont les réelles missions, hors Tripoli et la Cyrénaïque, quel fut leur impact, sinon le lendemain ou le surlendemain. Ce qui semble sûr, c’est que des unités du Conseil transitoire affirment vouloir pousser vers Syrte. On peut s’attendre à ce que des nouvelles soient données au conditionnel, puis démenties, ou donnent lieu à des versions contradictoires. La Chine a demandé une réunion du Conseil de sécurité de l’Onu, la Russie, qui a des contrats d’armements avec le régime, pourrait peser de tout son poids. L’expectative reste donc de mise. De manière caricaturale, on peut imaginer ce qu’une halte des opérations contre les forces loyalistes impliquerait…
Les forces loyalistes et du Conseil transitoire se confrontent à
Ajdabiya qui est aussi un nœud d’approvisionnement en eau. L’embargo est total. Il faut attendre que Messieurs les Loyalistes tirent les premiers. Mais, attention, comme il n’est pas question de fournir des armements aux Shabab, il faut donc répliquer en faisant en sorte que les véhicules blindés loyalistes soient endommagés mais non totalement détruits pour qu’ils soient réparables après que les Shabab s’en emparent. Ce qui aurait peut-être été possible, lors de la Seconde, dans… les scénarios de la BD Battler Britton ! À l’impossible, nul n’est tenu. C’est bien sûr farfelu, mais, quoi ? Soit on a recours au double langage (un pour l’opinion internationale, l’autre pour le Conseil transitoire…), qui fera illusion ou sera tacitement dénoncé sans trop de véhémence, soit c’est le « stalemate », l’enlisement, qui pour le moment semble devoir profiter à… bien difficile à déterminer sur le court, moyen, long terme, qui au juste.
Si cela n’évoque pas de nouveau la crise de Suez… Rappelons que ses suites ont été dramatiques, notamment pour les Palestiniens (ils sont encore très nombreux en Libye). Rappelons que les Palestiniens, réfugiés dans de nombreux pays, ont pesé sur l’équilibre des régimes arabes, qui s’en souviennent. La perspective d’un exode massif des vaincus, quels qu’ils soient, ne doit pas fortement inquiéter la Russie et la Chine (qui se heurtent pourtant à des mouvements nationalistes musulmans). Mais l’attitude de la Ligue arabe en tient compte. Elle n’est sans doute pas unanime. Les États-Unis ou l’Otan, devant faire face à de multiples conflits (Afghanistan, Irak, Afrique…), sont-ils vraiment en mesure d’imposer leurs vues, qui peuvent être divergentes ?
C’est là, pour la suite, la véritable question : et après les frappes ?