Les mercenaires qu’emploie Kadhafi essentiellement à Tripoli et près de sites ou terminaux pétroliers sont-ils encadrés par des officiers français ? Sans doute pas. En partie formés par la France ? Oui, peut-être. D’assez loin… Le Tchad a démenti la présence de mercenaires tchadiens en Libye. Par ailleurs, le quotidien serbe Alo! suggère la présence d’un encadrement serbe (et autre) sur place.

Qui sont les quelque 6 000 mercenaires ou soldats africains que Kadhafi rétribuerait environ 700 euros ? La Fédération internationale des Droits de l’Homme a estimé leur nombre à 6 000, d’autres afflueraient sur la côte méditerranéenne depuis des aéroports du sud de la Libye. À Tobrouk, et dans d’autres villes aux mains de l’insurrection, les prisonniers tchadiens, par exemple, vont-ils donner des précisions sur les conditions de leur présence ?

Selon Tchad Actuel, site d’opposants au régime d’Idriss Déby, le président tchadien, ce ne serait pas tout à fait que des volontaires civils qui passeraient en Libye pour se joindre aux milices de Kadhafi. « La Libye a demandé à Deby de lui envoyer des hommes et mobiliser les tchadiens de Libye, ce qu’il fait à merveille. Selon des sources concordantes, Kadhafi aurait demandé le même service aux soudanais, mais ces derniers auraient poliment décliné la demande ; par contre, ils autorisent les soudanais volontaires à se rendre en Libye via le Tchad ? ».

Le gouvernement soudanais, en proie à une vive contestation, ne va pas se priver d’hommes de troupes, sous-officiers et officiers, pour les beaux yeux de Kadhafi. Notons que le Soudan, considéré parfois comme une base arrière d’Al-Quaida, organisation dénoncée par Kadhafi, est doté de dirigeants fort pieux : mais quand les intérêts claniques l’emportent sur les divergences religieuses…

Le site du Jour Guinée rapporte : «  Les  présidents guinéen, burkinabé, angolais, soudanais, tchadien, centrafricain et  autres ont été contactés par les « émissaires » du guide ; tous ont répondu positivement à la demande de sauvetage du patron de la révolution verte.  Ils sont des centaines de militaires guinéens a avoir quittés la capitale guinéenne au début du mois pour Tripoli où ils ont été acheminés au sud du pays dans la localité de Sebha. ».

Au début du mois ? Kadhafi s’attendait-il à une éventuelle insurrection ? Admettons qu’il s’agisse, de la part du Jour, d’une approximation hâtive.

Mohamed Elhamdi, de la maison de la Libye en Espagne, rallié à l’insurrection, indique dans Café Babel que « des pilotes italiens ont bombardé la population libyenne, pas forcément sous la décision du gouvernement mais peut-être sous ordre de la mafia ou autre. ». Qu’il se trouve des mercenaires « occidentaux » ou de pays européens en Libye est possible. Que  Silvio Berlusconi, qui a des intérêts pétroliers communs avec Kadhafi se soit ainsi mouillé, c’est moins sûr.

La Reppublica, relayée par Courrier International, indique : « Pour chaque manifestant abattu, une prime de 10 000 à 12 000 dollars [de 7 300 à 8 800 euros] est promise. ». La plupart des mercenaires ou des soldats détachés de leur unités africaines du sud de la Libye « ne parlent que le français » (et sans doute leurs diverses langues entre eux). Le Front Polisario, qui s’oppose au régime marocain, aurait été sollicité pour envoyer des combattants aguerris, selon la presse algérienne.

Le Journal du Mali estimes que parmi les Maliens, on trouve surtout des résidents libyens. Ces « Maliens, juge un expert, ne sont autres que des éléments touaregs fidèles à l’armée de Khadfi ». Il n’est pas à exclure que des résidents de divers pays d’Afrique aient été armés :  ces mercenaires d’occasion sont peut-être discrètement incités à se joindre à de discrets ou moins discrets contingents de soldats, encadrés par des officiers, expédiés en Libye. Mais il convient de rester circonspect et de s’en tenir, peut-être, au cas du Tchad.

Souvenez-vous de l’Arche de Zoé, mais aussi des rébellions visant Deby, de la répression qui a suivi et de Carla Bruni se rendant au domicile de veuves d’opposants ou de femmes de disparus. Ce n’est pas un mystère, l’armée française forme et encadre les troupes tchadiennes. Et les appuie pas si discrètement en cas d’attaques convergeant vers la capitale du Tchad. Mais on doute que des officiers français soient au contact en Libye : ou alors, ils n’arriveraient pas à empêcher les débandades de ces soldats d’occasion et militaires tchadiens qui fuient leurs positions dès que la pression des insurgés est trop forte.

N’empêche, on en vient à se demander si l’attitude exprimée par Michèle Alliot-Marie, prête à soutenir Ben Ali, ne lui avait pas aussi été dictée par l’Élysée. De deux choses, l’une. Soit Nicolas Sarkozy et Jean-David Levitte n’ont plus aucune influence sur les dirigeants des pays d’Afrique considérés alliés ou amis, soit ils tiennent un double langage à leurs interlocuteurs africains.

Selon Le Figaro, qui se garde bien de soulever la question en ces termes, la présence de ces contingents étrangers présenterait des désavantages : « elle aurait poussé nombre de militaires furieux de voir des étrangers tirer sur des Libyens à rompre les rangs. ». Nos diplomates dans ces pays n’y avaient-ils point songé ? Nos conseillers militaires seraient-ils aussi imprévoyants ? Ou les tient-on désormais pour ce qu’ils sont peut-être devenus aux yeux de dirigeants africains ?

Nicolas Sarkozy évoque des sanctions européennes à l’encontre de Kadhafi. Aucune contre les dirigeants africains qui se manifestent, de fait, en tant que ses alliés ?

Dans Ouest-France, Gérard Buffet, 60 ans, médecin qui oeuvrait à Benghazi, relate que « nos étudiants (…) nous ont dit qu’à partir du 17 février (…) ils allaient enclencher le mouvement révolutionnaire. ». On a grand’ peine à croire que les informateurs du régime de Kadhafi, omniprésents dans la population, présents dans tous les milieux, n’aient rien senti venir après la chute du voisin Ben Ali. Dans ce cas, Kadhafi aurait pu prendre effectivement des mesures préventives, contacter des chefs d’États africains. Et pour une fois, rien de ces conversations ne serait remonté jusqu’à Jean-David Levitte et l’Élysée, ou même jusqu’à MAM ?

Faudra-t-il attendre que WikiLeaks nous éclaire, nous-mêmes et les représentants du peuple français, sur ces éventuels échanges ?

Si des mercenaires africains ont été envoyés en Libye avec la « bénédiction » ou le consentement tacite ou forcé de Nicolas Sarkozy, le Tabarkagate se doublerait d’un Tripoligate difficile à gérer. La France aurait-elle tardé à inciter fortement divers dirigeants africains à lâcher Kadhafi ? Dans ce cas, pourquoi au juste ? Pour éviter des risques de montée des cours du pétrole creusant le déficit budgétaire français ? Ou pour des raisons moins avouables ?

La démocratie mercantile n’est pas la ligne idéologique de la seule diplomatie française. Laquelle est d’ailleurs muselée, aux seuls ordres de l’Élysée, comme le laisse penser le groupe Marly, comme les militaires hostiles à l’engagement en Afghanistan l’expriment. D’où la question : Ben Ali, Moubarak, et sans doute, peut-être, voire assurément Kadhafi qui semble vouloir se réserver le sort d’un Hitler dans son bunker, ne seraient-ce pas, aussi, des échecs personnels de Nicolas Sarkozy, président autiste, mégalomane, désinformé du fait de sa propre attitude ?

La démission d’une Michèle Alliot-Marie, d’un Ollier, ne réglerait rien, ni en politique intérieure, ni pour les relations extérieures. Une potiche ou une autre… La cause est entendue après les démonstrations d’obséquiosité d’un Kouchner à l’égard de Sarkozy et sa désinvolture à l’encontre du corps diplomatique. MAM, qui fait figure de bourguibiste ralliée au benalisme, de chiraquienne toute dévouée au sarkozysme par affairisme, n’a guère changé la donne. Il n’y a pas qu’en Libye qu’on trouve des mercenaires : au sein du gouvernement français aussi.

Selon Jeune Afrique, qui s’appuie sur les déclarations d’un spécialiste de la zone, le point faible de Kadhafi, c’est Sebbah, au sud. « Pour faire tomber Kaddafi, il faut commencer par cette région, » estime-t-il. Qui peut atteindre Sebbah au plus vite ? Les troupes du Niger et du Tchad. Le Niger sait au besoin coopérer avec la France, a rappelé Alain Juppé, le 10 janvier dernier, à Niamey. Quant au Tchad, Idriss Deby, l’été dernier, avait demandé à la France des dédommagements pour la présence de l’armée française. Rodomontade destinée à son opinion publique. « Après ses retentissantes déclarations, Deby a sûrement joint au téléphone son mentor pour implorer son pardon, au cas où cela aurait pu choquer, » estimait Tchad On Line.

Pour le moment, Nicolas Sarkozy fait les gros yeux, hausse le menton, réclame des sanctions contre Kadhafi. On verra si des troupes maliennes ou nigériennes, appuyées par une logistique et des conseillers militaires français, sous uniformes nationaux ou d’emprunt, s’aventureront jusqu’à Sebbah. Pour le moment, Kadhafi cause, Sarkozy cause. Et se contredisent publiquement. Mais le vrai discours français, qui semble perdurer, n’est-il pas « laissez-lui une chance » ? Mais, tiens, comme au Kosovo, on pourrait dépêcher Kouchner auprès des insurgés libyens. Pas sûr qu’il soit bien accueilli.

Actualisation (vendredi 25, 23:00)
La chaîne Al Jazeera a fait ce soir état d’un démenti formel des autorités tchadiennes. « La presse internationale abreuve l’opinion publique d’information voulant que des mercenaires tchadiens se trouvent en Libye. (…) Nous démentons formellement et catégoriquement ces allégations qui pourraient mettre en danger la vie des Tchadiens établis en Libye pacifiquement depuis de nombreuses années. Il n’y a pas de mercenaires tchadiens, il n’y a pas de Tchadiens recrutés au Tchad pour se rendre en Libye. ». En fait, certains mercenaires du Tchad pourraient être des opposants au régime de Déby.