L’un des intérêts des périodes de congés (pas nécessairement le moindre) est de permettre à celui qui n’a rien de mieux à faire, d’observer un peu le comportement de ses semblables, un peu à la manière dont un anthropologue étudierait une peuplade exotique ; les résultats en sont assez allègrement misanthropes (allegro ma non troppo)…

 

De prime abord, il me semble que la devise de la République peut demeurer en vigueur, mais à condition d’adapter quelque peu les définitions au goût du jour :

·         la liberté ? C’est quand tout le monde fait ce que je veux,

·         l’égalité ? Quand il y en a pour deux, il y en a pour moi,

·         la fraternité ? Mot tombé en désuétude, et que l’on peut donc conserver sans crainte de heurter quiconque, et surtout pas ceux qui en ignorent le sens faute d’en connaître l’existence.

L’origine de ce comportement profondément et résolument individualiste me semble à rechercher dans mai 1968. Pour rassurer ceux qui me connaissent un peu, ils doivent comprendre que je veux parler de l’échec du mouvement qui s’est développé à cette époque et dont trop peu se souviennent que pour la majorité des indignés de l’époque qui s’y étaient spontanément engagés, il s’agissait d’alerter sur les dérives attribuées à la société de consommation.

L’échec complet de ces naïfs idéalistes (que les mieux intentionnés qualifient de nos jours de « bisounours ») n’est plus à démontrer puisque la confusion entre le mieux-être et le plus-avoir n’a jamais régné autant qu’aujourd’hui ; on en trouve des exemples à foison, jusque dans le parc de l’Elysée (ou celui du Cap Nègre, selon les saisons) m’a-t-on dit.

C’est qu’entre temps, symétriquement, il est quelque chose qui a connu un succès complet et fulgurant : le libéralisme, aujourd’hui en situation de monopole absolu et dont tout le monde, à commencer par lui-même bien entendu, a oublié que son credo historique était la vertu de la concurrence, lui qui n’en subit désormais plus aucune.

Selon la formule célèbre, le libéralisme, c’est un renard libre dans un poulailler libre, formule un tant soit peu cynique, mais dont tout le monde s’est accommodé, jusqu’en ces temps plutôt récents où on a réalisé que si le lieu rassemblait une myriade de volailles, on n’y comptait qu’un seul renard.

La raison pour les ex-enthousiastes du libéralisme à tous crins de se déclarer déçus et aigris est à rechercher dans ce laps de temps fort long pendant lequel ils se sont débattus jusqu’au moment de réaliser que n’étant pas Goupil, ils s’étaient laissés copieusement plumer par lui.

Plumer et non croquer car les plus sérieux économistes vous démontreront sans peine l’intérêt d’une optimisation bien comprise : on peut tondre le mouton chaque année si on a eu la sage retenue de ne pas l’égorger dès la première.

Pour peu qu’en plus de leur bon sens, ils puissent recourir à certains outils, ces éminents spécialistes appliqueront ce judicieux principe jusqu’à toujours soif (car jusqu’à plus soif est une expression vide de sens pour eux), promenant l’univers de crise en crise.

Les plus puissants de ces outils sont aussi les plus simples. Avez-vous remarqué qu’il n’y a guère, l’Autorité des Marchés Financiers avait interdit aux traders, pour une quinzaine, d’effectuer des « opérations à découvert » ?

Et Candide de se renseigner pour réaliser qu’effectuer des opérations à découvert consiste à acquérir auprès de quelqu’un qui ne les détient pas des entités (équivalent dans le monde virtuel de biens ou de services dans le réel) pour les revendre à un tiers qui n’en a nul besoin ; en d’autres termes, spéculer.

Si on pousse l’abstraction un cran plus loin, on entre vite dans l’univers des produits dérivés, qu’une vision un brin simpliste (quoi que…) peut légitimement conduire à définir comme des paris entre des professionnels et desvulgum pecus, comme vous et moi, où le premier bricole les lois du hasard et la règle du jeu pour qu’elle devienne « Face je gagne, pile tu perds ».

Au secours, Sages des Lumières : ils sont devenus fous et nous avec eux !

Est-il temps encore pour que de nouveau nous libertions, égalisions, fraternisions ?