En cette fin de semaine où le PS s’en prend à TF1, il n’est pas inopportun de remémorer la fameuse antienne d’une marionnette des Guignols de l’info (Vol. 9, en VHS, sept. 1995-fév. 1996). Le personnage, Étienne Mougeotte, vit depuis sa vie de suppositoire stimulant les moments cervicaux disponibles du lectorat du Figaro. C’est de l’exposition Larry Clark au musée d’Art moderne de la Ville de Paris qu’il s’agit ici. Libération publie donc deux photos d’adolescents copulant ou se piquousant.
Je n’irai sans doute pas voir l’exposition de Larry Clark au musée d’Art moderne de Paris. La pornographie, cela lasse (métier intéressant cependant que celui de pornographe, mais assez vite, pour mon propre compte, fastidieux). Attention : je n’ai pas écrit que Larry Clark était un pornographe, mais j’évoque la réception de cette exposition par une partie de la presse et de l’opinion. En plus, depuis mes seize ans, et ma fréquentation du fameux Gülhane Oteli (celui des Voyages avec ma tante de Graham Greene et du film de George Cukor), où nous étions recrutés pour jouer les méchants mousquetaires ou corsaires des rois chrétiens, pour passer en Iran des limousines, la vue d’une seringue de blanche me révulse presque. Mais, bon, si mes enfants étaient encore adolescents, je pourrais déplorer que cette expo soit interdite aux moins de… 18 ans. Seize m’aurait mieux convenu. C’est vous dire que je ne partage pas tout à fait le point de vue du directeur et éditorialiste de Libération, ni totalement celui d’André Rouillé sur Paris Art (dont je salue par ailleurs la pertinence au passage). Je sais bien que tout le monde, y compris moi-même, se contrebalance de mon opinion, que « personnaliser » l’info en ligne n’est pas si adéquat qu’on le pense, que ce n’était pas un « passage obligé ». N’empêche, situer d’où l’on cause, et dire par avance le mot de Cambronne aux commentatrices et « teurs » qui vont vous chercher bêtement des petites bestioles dans le cuir chevelu, cela fait gagner du temps.
Or donc, à senestre (ou inversement), celles et ceux qui, comme Laurent Joffrin, estiment que l’interdiction aux mineurs « introduit un précédent », ce qui n’était pas « l’intention de la mairie de Paris, qui a cru agir pour le mieux », et que la Ville s’est trompée. Ou alors André Rouillé qui considère : « Les clichés ne relèvent ni du voyeurisme, ni de la pornographie, ni du spectacle, ni également de la pédophilie, mais d’une œuvre qui se construit en proximité et en dialogue avec des adolescents américains de quartiers pauvres pour partager, comprendre et saisir artistiquement une part de leur complexité et de leur difficulté à vivre. ». De ce fait, Paris Art estime que les élus Verts de Paris on eu raison de condamner cette « censure préventive ». À dextre (ou inversement), ceux et celles qui regardent ailleurs (ainsi de Laurence Benaïm, de Stiletto : « Expérience étrange que découvrir au musée d’art moderne de la ville de Paris, en même temps que l’exposition controversée des photographies de Larry Clark, l’installation de Didier Marcel, joliment baptisée « Sommes nous l’élégance »), ou qui répondent, sur le blogue-notes de Jean-Marc Morandini « non, ces photos sont interdites au moins de 18 ans et n’ont pas leur place ici » (il s’agit, selon Morandini, des photos « les plus crues »).
Négligeons « les associations féministes largement subventionnées au nombre de victimes recensées et qui, business victimaire oblige, n’hésitent pas à faire la course à l’échalote, sur le sujet » (réaction de Rodier_a, sur Agoravox, à propos de l’un de mes articles sur le Woman bashing). Négligeons aussi les officines de la « mercatique de la peur », et les professionnel·le·s de l’associatif à visées politiques pour lesquel·le·s tout est prétexte à placer leurs membres dans les Chambres, conseils, organismes, institutions. Pousser les Verts, les « jaunes », les noirs, les chemises brunes ou rouges, n’est pas mon propos (je préfère le rouge et noir, pas seulement à la Jeanne Mas, autant annoncer la couleur).
Il est sûr que la nudité ordinaire n’incite pas vraiment à se vêtir en Prada. Il est aussi certain que labelliser « démarche artistique » du bon photojournalisme a ses avantages et ses inconvénients. Il n’est pas trop mauvais, à mes yeux en tout cas, quand un Luc Ferry et tant d’autres n’osent pas qualifier de « fasciste » cette expo, parce que, là, « ça ne le ferait pas », qu’une page de l’histoire des idées et des mœurs soit évoquée à travers les photos de Larry Clark, y compris, peut-être « aux enfants des écoles », mais je ne partage pas ce point de vue. Je trouve aussi assez appétissant le postérieur de la blondinette que l’on voit un peu partout dans la presse , et je peux comprendre la réaction de Ségolène Royal (« un avertissement aux parents aurait suffi »), ou estimer, comme beaucoup d’autres, que l’exploitation du mot « pédophile » à tout propos commence à bien faire. Que faire ? Interdire d’interdire ? Seize ans… pourquoi pas quinze ou dix-sept ? Tout dépend des individualités, mais il faut bien que le législateur trouve un « moyen terme ».
Je ne sais comment interpréter la réflexion de Larry Clark : « on devrait faire le contraire, interdire l’expo aux plus de 18 ans ». J’avais ressenti, vers mes dix-sept printemps, sur le campus de Buffalo State University, juste avant le début du « term », comme un malaise. Pas une seule, pas un seul plus de 25-26 ans en vue. Nous étions « entre nous », et pour quelques jours encore, « ségrégés » de fait. Pas le moindre « dirty old man », pas la moindre vieille femelle blanche et « All American » dans les parages. Même les balayeurs étaient jeunes. MacDo’s Land réservé aux moins de trente ans. Bonne herbe, bonne baise, mais de quoi vous inciter à la gérontophilie, à la longue. Ce ne fut pas si long : j’ai assez rapidement poursuivi ma route vers un Québec qui n’était plus guère hanté par Jack Kerouac.
Faute de vrais combattants, l’expo de Clark n’a pas tourné à la bataille d’Hernani. Nous n’en sommes pas revenus aux années 1830. Mais, et c’est là mon réel propos, je ne peux réprimer un sentiment de déception. Il fut un temps où le slogan « tout est politique » faisait florès. Là, le débat me semble quelque peu réducteur, contingenté, policé. J’ai l’impression qu’on a un peu « fermé la gueule » aux vingt-trentenaires : hormis celles et ceux qui s’expriment sur l’art, la liberté d’expression artistique, blablabla, blablabla, rien ou presque sur les possibles choix ou non-choix de vie (et de mort) des ados de Clark. J’ai la bête et spontanée réaction que le débat évacue le réel. J’imagine qu’il n’y a pas un seul accessoire Vuitton, un seul bout de foulard Hermès, ni de chaussette Prada dans le champ des prises de vue de Clark. À lire la presse, leur absence est leur présence. Pour ou contre l’expo Clark, pour ou contre les jeans taille basse, la lessive en poudre ou liquide… Faut-il ou non montrer ces photos : exprimez-vous…
Bon, allez, c’était ma minute dispensable : où va la presse ? où en est-on ? Vastes questions auxquelles je vous dispense de répondre par oui ou par non… D’ailleurs, ne pas répondre du tout est plus « sécuritaire », et c’est bien le même débat.
Ah, oui, on allait l’oublier. Cette exposition à un titre du style de celui de la trilogie Retour vers le futur : Kiss the past hello. François-Luc Doyez , de Libération, est allé la voir. Réactions mitigées.
Soyons clairs : dans cette historiette, seul l’angle de l’analyse des médias m’intéresse. Le reste…
Faut bien avoir des lecteurs !
Qu’est ce qu’on peut espérer trouver d’autre dans libé ?