On n’en parle plus ou très peu en France. Peut-être que c’est un problème négligeable, avec les informations actuelles. Cependant la situation du Liban n’est pas idyllique, loin de là. On en entend des inepties, des gens qui prétendent être savants avec de grandes thèses infondées du style "la situation du Liban s’est améliorée!" !… Mais qui sait vraiment, qui est vraiment informé sur le sujet ? Ceux qui y vivent ou qui ont de la famille là-bas. Voici un petit récapitulatif du dernier voyage que j’ai entrepris vers l’Orient … Tâchons de garder un oeil naïf.

L’avion décolle de Roissy, direction Beyrouth. Un vol très ordinaire, beaucoup de femmes en voile et d’hommes à longue barbe, la majorité en fait ; mais c’est peut-être bien normal pour un pays qui était à l’origine chrétien. Puis l’avion se pose, après une descente sur la mer rétablie en arrivée sur la piste qui est au bord du grand bleu. Comme toujours. Et tandis que l’avion avance, des quartiers quelque peu délabrés se dressent sur tout le long des grilles autour de la piste. "Qu’est-ce que c’est ?", que j’ai demandé naïvement. "Les quartiers du Hezbollah", m’a-t-on répondu. Ah. Puis vous découvrez qu’il y en a tout autour de l’aéroport. Puis vous passez les contrôles d’arrivée sur le territoire, très formels, mais tout de suite plus simple quand on parle libanais. La famille qui ne parlait que français, sur la file d’à côté, a ramé plus longtemps.

Vous vous procurez une voiture, vous préférez la louer puisque les carjacking sont de plus en plus fréquents dans les taxis – si vous n’êtes pas l’élu des dieux et que vous êtes français, vous avez paraît-il plus de chances de vous faire kidnapper. Et vous prenez la route, sûr de votre itinéraire. Vous voyez de plus près les quartiers que vous aviez aperçu depuis l’avion, ceux du Hezbollah. Vous admirez également les panneaux extrêmement dépaysants, qui de leur calligraphie orientale vous souhaitent la bienvenue. Vous ignorez alors que les français sont loin d’avoir la cote dans le coin, mais de toute façon vous ne savez pas lire ces lignes irrégulières avec quelques points par-ci par-là. Vous pourriez peut-être vous arrêter et demander une traduction aux quelques hommes que vous croisez ? Mais leurs barbes et leurs mitraillettes ne vous attirent pas plus que ça … Passez donc votre chemin, vous aurez l’occasion de vous interroger sur la langue plus tard. Oui, continuez juste votre route. En vitesse.

 

Vous arrivez dans Beyrouth. Enfin une vraie ville ! Mis à part les appartements d’une architecture douteuse et l’état affreux de la moitié d’entre eux, la ville n’est pas mal. C’est amusant, des lignes blanches sur la route que personne ne respecte, les voitures à contre-sens, les feux tricolores éteints, des vendeurs à la sauvette prêts à vous lancer leur marchandise par la fenêtre de la voiture et demander ensuite des billets … Vous regardez encore un peu par la fenêtre, vous voyez des tentatives de modernisation, notamment cet "Amrican Caffe", qui a un souci de lettres à la hauteur de son souci de popularité, vous observez la saleté et l’irrégularité de la route sur laquelle vous circulez, vous êtes stupéfaits par cette plante qui a décidé de pousser sur le trottoir au milieu du bitume, et qu’en guise de tuteur quelqu’un a eu la bonté de l’encercler de briques de ciment … Vous voyez ce chantier immense entre les deux sens de circulation, que veulent-ils installer ? D’autres routes ? Un métro ? Un tramway ? Ou tout simplement un espace vert ? A voir les nuages noirs sortir des pots d’échappement, la dernière hypothèse semble bien optimiste …

 

Au milieu de tout cela, quelques grandes enseignes, KFC, Samsung, Burger King, Dunkin Donuts … Et des gens qui prennent le café sur un rond-point … Pourtant cela a l’air tout à fait normal. Tiens, une enseigne Peugeot ! On reconnaît bien le lion, il est écrit Peugeot en grand à côté et … Tiens ? Le nom "Peugeot" est traduit en lettres arabes et en géant juste à côté du terme français ! C’est étrange, KFC et Samsung ne semblent pas avoir eu pareil traitement … Peugeot entreprise française ? Ah oui cela a sans doute un rapport ! Ah non tout va bien, ce n’était que pure paranoïa. MacDonald’s a également subi le même sort. Certaines publicités sont en français, certains magasins sont français. C’est à n’y rien comprendre sur les intentions réelles du Liban, entre rejeter la France en bloc et la tolérer, car il semble bien que la tolérance soit le mot exact.

 

Puis vous quittez Beyrouth et allez visiter le sanctuaire d’Annaya, dédié à Saint Charbel, une figure religieuse emblématique de l’Eglise au Liban. C’est beau. Après avoir assisté depuis votre arrivée à une islamisation impressionnante du pays, vous voyez qu’il reste quelque chose de chrétien. C’est beau, c’est émouvant. Puis vous repartez l’esprit serein. Vous remarquez, en quittant le lieu, que des milliers de tâches colorent le ciel ; ce sont des cigognes, il était temps pour elles de s’en aller d’ici. Combien sont-elles ? Elles sont nombreuses, des centaines, peut-être des milliers. Vous croyez à un message divin. Puis soudainement des coups de feu. On a beau s’imaginer ce que l’on veut dans le vol d’un gracieux animal, certains préfèrent les abattre. Brusque retour à la réalité que vous aviez momentanément quittée.

 

Retour à Beyrouth. Vous voyez de partout des affiches représentant des personnages emblématiques. Des chrétiens, des musulmans. En général, ce sont des chrétiens morts et des musulmans vivants. Qui représente les chrétiens du Liban au gouvernement ? Ce n’est pas en regardant sur les murs de la ville que vous le saurez. En revanche, vous apprendrez que celui qui a voulu arranger le sort du Liban, Rafiq Hariri, est décédé, et que le chef du Hezbollah, douteux et largement considéré comme terroriste, Hassan Nasrallah, est vénéré. Par une minorité ? Rien n’est moins sûr. En revanche, l’avenir est incertain pour la minorité qui pense et agit contre lui.

 

Vous déprimez, vous vous dites que tout ça n’était pas aux infos que vous regardiez tranquillement dans votre canapé, au chaud en France. Vous retournez à l’aéroport. Vous passez les portiques de sécurité détecteurs de métal. Bip. Vous enlevez vos chaussures. Bip. Vous enlevez votre ceinture. Bip. Un militaire vient, vous fouille sans ménagement comme si vous étiez armé jusqu’aux dents, et après un dernier regard suspicieux vous laisse passer à contrecoeur. "Bah non j’ai pas d’armes, j’ai pas l’intention de tuer, moi", que vous avez envie de lui balancer. Arrivent deux hommes vêtus de grands draps noirs recouvrant intégralement leur corps du cou au sol, avec des manches amples, de grandes barbes poivre et sel et des turbans noirs sur la tête. Vous les regardez deux secondes. Vous les voyez fixer les militaires qui ne les ont pas encore remarqués avec insistance. Le chef des militaires, celui qui vous a fouillé comme si vous étiez un meurtrier, les voit. Immédiatement il leur fait signe. Les deux hommes en noir passent à côté du portique de sécurité, comme s’ils ne pouvaient rien cacher sous leurs tentes corporelles. Ils serrent la main au militaire. Les trois sourient. Le militaire aura peut-être un bon point pour ne pas avoir causé de souci aux membres du Hezbollah. Les deux ombres s’en vont prendre leur avion. Il n’y a plus qu’à espérer qu’il n’y avait effectivement rien sous leurs robes.

 

C’est ainsi que tout va se passer ? Le Liban va sombrer dans l’islamisme ? L’extrémisme, le terrorisme ? Non. Le chef militaire n’était pas tout seul. Cet homme, derrière, vêtu également d’une tenue de camouflage et possesseur d’une mitraillette, a assisté à toute la scène. Il n’en a pas raté une miette, en fait, il a veillé à tout enregistrer. Avec une telle haine sur le visage. J’ai tout vu. Sa réaction quant à l’événement était on ne peut plus claire. "Printemps arabe", hein ? Voyons voir si le Liban se réveille.