Que reste-t-il du printemps de Beyrouth du 14 Mars 2005 où tous les Libanais, main dans la main avaient exigé la fin de la tutelle syrienne sur le pays des Cèdres après l’assassinat de Rafik Hariri ? Désormais de ces lumineux éclats de souvenirs de symbiose devenus mirages diaphanes, ne restent plus que deux camps adverses pétris de colère face à face, nus. Mais toi, Liban jamais chancelant, où vas-tu donc puiser cette énergie pour garder toujours ta majestueuse posture si altière malgré tous les supplices que les hommes t’ont infligé ? S’estompent les unes après les autres tes blessures mais ta lassitude enfouie dans les abysses de ton âme pour laquelle églises et mosquées ne désemplissent plus, les efforts humains s’étant avérés vains, est indéniable.

Pourquoi tes enfants, tous tes enfants s’obstinent-ils à s’emmurer dans un autisme si radical, imbus de leurs approches des plus manichéennes dénuées de toute nuance ? Se souviennent-ils du sud Liban, des déboires dans lesquels il se débattait abandonné dans sa nudité sans la moindre attention de la part des responsables que seule l’Iran via Moussa Sadr, Hassan Nasrallah est venu dégager de sa déperdition par altruisme, par intérêt, que sais-je ? Peu importe. Ses habitants se sont relevés. Je me souviens aussi qu’après 22 ans d’occupation du pays par Israël seul le Hezb a réussi à nous libérer comme seul en 2006 il a su affronter la plus cruelle des frappes ennemies sans découragement aucun.

Aujourd’hui il est pointé du doigt par une partie de la population, celle-là même qui entonnait à cors et à cris la responsabilité implacable de la Syrie. C’était l’époque antérieure au TSL, l’époque de la Commission d’enquête sous l’égide du procureur allemand Detlev Mehlis lequel attestait que la résolution 1559 votée par le conseil de sécurité de l’ONU, exigeant le départ de la Syrie  représentait le mobile déclencheur de l’élimination du feu premier ministre Rafik Hariri par la Syrie. Et le 12 octobre 2005, s’opère un rebondissement marqué par le pseudo-suicide du ministre de l’Intérieur syrien Ghazi Kanaan, juste après son audition par la commission d’enquête de l’ONU et quelques jours avant la publication par Mehlis de son rapport. Puis des gens sont devenus amnésiques oubliant toutes ces péripéties troublantes, suspectes, redondantes autour desquelles les médias ont si longtemps gravité. Puis le TSL s’est substitué non sans peine à la Commission pour focaliser cette fois tous les feux des projecteurs sur le nouveau responsable mué en le Hezbollah avec toujours des faux témoins à l’appui.

Bien normal que dans un Etat de non droit où pendant plus de deux decennies avaient régné des milices sanguinaires de tous bords semant le chaos, de monter au créneau pour dénoncer un arsenal conférant une ascendance au Hezbollah par rapport au 14 Mars. Surtout que pour faire entendre sa voix d’ancien laissé pour compte, le parti de Dieu ne lésine pas sur les moyens : paralysie des institutions, chute du gouvernement ministériel, renversement de la majorité du 14 au 8 Mars, tentative d’intimidation aussi, dit-on. Serait-ce possible que l’arsenal censé nous protéger de l’ennemi se retourne contre une autre tranche de la population ou ne sont-ce que des divagations indissociables de notre passé fantômatique ? Et le pays toujours coïncé au point mort, ni formation du nouveau cabinet, ni publication de l’acte d’accusation et toujours en toile de fond un gigantesque bras de fer régional, qui n’en finit pas d’agrémenter le quotidien de cette population !

Un dilemme duquel il est impossible de se dépêtrer tant que chacun demeurera inflexible sur ses pures et dures positions réfutant d’un bloc toute contradiction et dressant un tableau bicolore de la situation, noir pour les uns, blanc pour les autres. Et sans la moindre modération.

Les thèses du 14 Mars peuvent séduire comme celles du 8 Mars mais une fois confrontées, le doute s’installe et serait-ce un sacrilège que de s’interroger sur la nécessité de la création d’un Tribunal international pour juger des assassinats politiques sachant que seul génocides, crimes contre l’humanité, déplacement forcé de populations exigent un tel recours ? N’y avait-il pas en amont une alternative à cette instance à même de mettre fin à l’impunité sans mettre en lambeaux l’unité du pays?  Au vu de ce qui se passe dans les pays arabes sous le regard bien dépité de certains, la thèse de Georges Corm selon laquelle, le tribunal international a été créé avec pour objectif  d’anéantir le Hezbollah en vue de favoriser une attaque israélienne  laisse dubitatif face à certaines affirmations.

Sur la place des martyrs à Beyrouh, des Libanais se retrouveront dimanche pour commémorer le sixième anniversaire de la Révolution du Cèdre qui les avait vus tous ensemble parler d’une seule et même voix en ce 14 mars 2005. Un anniversaire au goût de cendre où les frères d’un même pays maintes fois déchiré ne parviennent toujours pas à trouver de compromis alors que quête de souveraineté, d’indépendance, de liberté incarnent l’idéal vers lequel sans exception aspire tout le peuple. "Quand une fois on a accueilli le Mal chez soi, il ne demande plus qu’on lui fasse confiance"…