l’hygiène avant nous

 Comme tout un chacun, hier soir, j’ai procédé à mon brossage de dents réglementaire. Et comme chaque fois pendant les quelques minutes que dure cette étape d’hygiène certes contraignante mais indispensable, j’ai laissé mon esprit vagabonder. Je n’y échappe jamais, comme beaucoup certainement: les évènements de la journée, le JT du soir, est-ce que j’ai bien fermé la porte d’entrée à clé…Mais ce soir,  pour une fois, mon esprit a décidé de taper dans le mille. Il était pile dans le thème: j’ai pensé à mon dentifrice! Pas lui précisément, parce qu’il n’a rien de palpitant et de captivant vous vous doutez bien, mais à son utilité. Je me disais qu’on avait quand même une sacrée chance de vivre une époque facile dans le domaine des soins et de l’hygiène, d’avoir tout à disposition. Comment ferait-t-on sans? De fil en aiguille, j’ai voulu savoir comment les gens faisaient avant. J’avais bien entendu ça et là quelques anecdotes mais je voulais un peu creuser le sujet. Chose faite, ça ne m’a rien coûté et je me suis couchée moins bête. 

 Dans ma vision des choses, avant ne signifie pas l’époque des dinosaures, du règne de Jules César ou de la guerre 14-18. Systématiquement, je vois le Château de Versailles et la Cour de Louis XIV. Ne me demandez pas pourquoi…peut-être le rabâchage au collège, ou les nombreux films et documentaires vus à ce sujet par ailleurs passionnants. Et bien, sur la question de l’hygiène, j’aurais pu tomber mieux. On dira qu’à ce sujet, le Moyen-Age était une période de l’Histoire où les gens (au moins les seigneurs et les rois) étaient plus pointilleux et scrupuleux que du temps du Roi-soleil. Les seigneurs avaient des baignoires en bois à disposition, prenaient plusieurs bains par jour et parfois même invitaient leurs invités de marque alors qu’ils se trouvaient dans leur baignoire. Les gens du peuple se lavaient dans la rivière ou se rendaient aux bains publiques.

 Le XVIIème siècle a connu une certaine régression dans ce domaine: l’idée était répandue que l’eau était vectrice de maladies, donc moins on en faisait mieux c’était. Et Louis XIV devait sûrement être le plus motivé car dès ses plus jeunes années, il ne s’est jamais lavé. Poussé par sa ribambelle de médecins misanthropes, il a utilisé avec excès les parfums pour dissimuler son odeur corporelle ( c’est l’origine de notre "eau de toilette": prendre du parfum pour en faire un nettoyage comme avec de l’eau). Il a montré l’exemple à ses courtisans, qui ne connaissaient pas le bain et faisaient leurs besoins derrière les tentures du château, les escaliers et dans la Galerie des Glaces…L’image majestueuse qu’on a du lieu et du souverain toujours en apparat, vêtu de tissus et de bijoux luxueux dans les représentations que l’on a de lui peuvent en prendre un coup, mais heureusement que nous gardons en mémoire de ce lieu magnifique des images plus grandioses et de ce roi historique des accomplissements plus nobles.

 

              

 

 Alors que les courtisanes cachaient leurs dents noires en agitant avec grâce leurs éventails devant la bouche (c’était l’outil du langage par la gestuelle, mais ça aidait aussi),le roi n’en menait pas large. Ne s’étant jamais lavé les dents, il avait des plaies qu’il a passé sa vie à essayer de soigner. Une fois, une dent gâtée a gangrené sa mâchoire. Mal opéré et mal cicatrisé, il lui est arrivé de voir ressortir par le nez les aliments et les boissons qu’il avalait. Il est mort à 77 ans (une longévité exceptionnelle pour l’époque) dans un état de délabrement total, au point que ses visiteurs et ses médecins ne supportaient plus de rester près de lui dans sa chambre. 

 De quoi réaliser qu’on a beaucoup de chance, dans notre coin du monde, à notre époque, dans ce domaine du moins, d’avoir au quotidien ces choses qui nous paraissent insignifiantes et sans intérêt, faciles d’accès et toujours à disposition.