« Le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau ! ». Voltaire, lui, expédié à la Bastille en 1717, avait demandé une lettre de cachet pour… faire emprisonner une voisine trop bruyante. Ce que l’expert psychiatre Michel Dubec obtint – pardonnez le parallèle dont je conviens qu’il est abusif – à l’encontre de Brigitte Brami, une ancienne patiente, qui l’importunait. Il voit en elle l’unique source d’un ressentiment dont il serait l’objet, de tous ses maux. Soit une lénifiante interdiction d’exercer assortie de sursis dont il a fait appel devant l’instance arbitrale de l’Ordre des médecins.

Cela resterait anecdotique si l’incident ne révélait un « fait de société » : faut-il remettre Michel Dubec le nez dans son ruisseau ou laisser tel ou tel notable médiatique sévir pour ne pas attenter à la liberté d’expression et au droit du public de s’en laisser compter par tel ou tel docte penseur bien en cour dans les facultés ou les prétoires ?

Attention : long. Fumeux, verbeux, et subjectif. Anti-journalistique, au sens péjoratif du terme. Je me devais de faire un compte rendu d’audience classique, j’y renonce. Laissant Chantal de Rudder, journaliste honoraire à présent, reprendre complaisamment, sans les moindres (ou les plus superficielles) vérifications ou recoupements d’usage, Miche Dubec avait laissé publier Le Plaisir de tuer au Seuil. Ce qui n’entache que trop légèrement la réputation de cet éditeur et de son directeur de collection d’alors, Hervé Hamon, considéré jusqu’alors, à juste titre, être un investigateur sérieux. Non, il ne s’agit pas d’appeler à bannir Hervé Hamon de la « république des lettres », dont il reste un précieux protagoniste, ni de jouer au cuistre déplorant les travers microcosmiques de l’édition et des médias. Mais il faut bien s’interroger sur la liberté d’expression, la licence de nuire, le rôle des experts, &c. C’est en fait l’essentiel. Mais l’accessoire vaut d’être narré.
Avec Le Plaisir de tuer, Michel Dubec se serait livré à une sorte d’auto-analyse, sa troisième analyse s’il faut l’en croire. Il la regrette « à cause des ennuis qu’elle entraîne ». Bref, aucune expression de remords ou de simple contrition, pour ce qu’il a pu dire, inventer, projeter, et faire passer aux yeux de naïfs et naïves pour une incertaine science.
Cette histoire m’intéresse pour deux-trois raisons. Je n’ai pas digéré que Michel Dubec, dans un chapitre sur Guy Georges, violeur et assassin en série, assène telle une vérité irréfutable que la sexualité masculine est forcément agressive, qu’un homme ne puisse, fatalité, avoir une érection qu’en obtenant « la défaveur de sa partenaire, pas seulement ses faveurs ; à faire crier la femme, peu importe la nature de ses cris. ». C’est l’une des diverses « thèses » féministes contradictoires, et Michel Dubec, en appel devant le tribunal arbitral des médecins, a fait état d’un « effet permissif » autorisé par le fait qu’il voyait en Chantal de Rudder, sa négresse littéraire, une « féministe » (selon ses termes). Il n’est même pas sûr qu’il lui ait servi ce qu’il supposait qu’elle voulait entendre : en tout cas, si Chantal de Rudder n’aurait copulé que dans ces conditions, je la plains. Soit elle s’est méprise sur divers partenaires, soit il lui resterait à vivre d’autres choses, ou alors elle est décidément trop crédule, trop encline à prendre pour argent comptant des boniments freudiens.

Je n’ai jamais pensé, écrit, laissé entendre, contrairement à Brigitte Brami et tant d’autres, militantes féministes ou simples personnes choquées, familles des victimes de Guy Georges ou autres – que j’estime de bonne foi – que Michel Dubec se soit livré à une apologie du viol. Laisser croire que seul le père d’une des victimes s’en soit ému, alors que des rescapées ou d’autres parents et familiers auraient compris les propos de cet expert, ne portant donc pas plainte contre lui, est fallacieux. Jean-Pierre Escarfail, président de l’Association pour la protection contre les agressions et les crimes sexuels ayant porté plainte contre Michel Dubec, il est fort envisageable que ces personnes s’en soient contentées. Le « qui ne dit mot, consent » est un argument, ici, à double tranchant.

J.-P. Escarfail était absent de l’audience. Ne lui faisons pas dire ce qu’il n’a pas déclaré, ni qui il pouvait représenter. Relevons qu’il a, non pas « subi », mais été l’objet de pressions (amicales) pour retirer sa plainte, ce qu’il n’a pas fait.

J’ai peu apprécié que Michel Dubec obtienne de la justice par deux fois, pour harcèlement, que Brigitte Brami, l’une de ses anciennes patientes qu’il avait éconduit sans trop d’explication, soit mise en prison et condamnée de nouveau en appel à de la détention. J’ai une lecture différente des faits. Moi aussi, je suis « harcelé » à l’occasion par Brigitte Brami. Elle est parfois véhémente, très spontanée. Elle peut téléphoner cinq à six fois dans la journée (quand quelque chose lui tient à cœur). Bizarre, alors que je ne suis ni psychiatre, ni psychanalyste, je « gère » très bien. C’est peut-être parce que je ne suis pas praticien, ou que Brigitte Brami a fortement évolué. Admettons-le, puisque dans son livre La Prison brûlée (éds Indigène), paru en février dernier, elle n’évoque pas une seule fois Michel Dubec, si ce n’est incidemment, furtivement, et non nommément. Je n’ai jamais éprouvé un agacement tel qu’il me serait venu la pulsion de la frapper. Alors, j’ai bien sûr une toute autre appréciation des faits qui ont été, je le pense, amplifiés pour obtenir deux condamnations. Brigitte Brami, que Michel Dubec « congédie » sans explication, en exige de lui. N’obtenant pas de réponse téléphonique ou écrite, elle se rend à son cabinet. Ils se retrouvent dans le hall de l’immeuble. Il la bouscule, la frappe (à quel point, je n’en sais rien, je ne suis pas témoin). S’avisant qu’un tel acte pourrait avoir des conséquences graves pour sa carrière, Michel Dubec, ancien boxeur amateur, joue l’agressé indigné, retourne la situation. Il est expert devant les tribunaux, dont la Cour de cassation. Brigitte Brami est de petite taille, il l’a surmonte d’une bonne tête ; il en impose, et avec lui, les juges parisiens ne sont guère dépaysés.

Ayant été près d’une décennie chroniqueur judiciaire, j’imagine – sans savoir, sans vraiment préjuger de l’attitude des juges parisiens que je ne connais pas – la suite. Et voilà que, sortie de prison pour bonne conduite, Brigitte Brami découvre le livre de Chantal de Rudder et Michel Dubec. Elle lance une pétition. Voyez la liste des pétitionnaires. Je n’en suis pas. J’ai lu le livre, deux fois, comme la présidente du tribunal arbitral d’appel. J’ai conversé avec Chantal de Rudder, mais je n’ai pas enquêté de manière approfondie (sauf en ce qui concerne d’autres expertises de Michel Dubec et la famille Joffo). Mais nul besoin de longues investigations. Avant de signer, des médecins, des responsables d’associations, des intellectuel·le·s ont pris la peine de lire ce livre, et je pense que le Seuil qui, selon Michel Dubec n’aurait vendu « que 500 exemplaires sur 2 000 tirés » (si le tribunal veut vérifier cette assertion, c’est très facile, mais je m’en dispense), fait décidément très mal son travail d’éditeur. Laisser croire que Brigitte Brami serait la seule cause du « scandale » provoqué par ce livre fait franchement sourire. La vérité est toute autre.
Pour des raisons juridiques, les conseils départemental et national de l’Ordre des médecins ont, non pas occulté, mais écarté ou omis de transmettre aux tribunaux arbitraux diverses plaintes, courriers, documents dont ils ont eu à connaître de la part de personnes mettant en cause les expertises de Michel Dubec. J’ai rencontré, ou échangé des propos ou courriels avec au moins quatre de ces personnes. Parmi les 25 autres plaintes évoquées furtivement lors de l’audience, dont certaines, aux dires de la présidente, ont été portées à sa connaissance après la première instance, combien de liées au livre, combien sans aucun rapport avec cette pétition ? Il devait en être question, les débats se sont achevés sans que personne parmi les présents dans la salle (pour la présidente et ses assesseurs, on ne sait) puissent en connaître. D’autres que Brigitte Brami, comme les universitaires Stephan Pascau ou Caroline Dumonteil, mais aussi des psychiatres, peuvent encore éclairer le tribunal s’il le désire. Il est totalement faux de soutenir, comme le fait Michel Dubec, que seul son livre et l’agit-prop de Brigitte Brami lui valent l’intérêt des instances de ses pairs. Mais l’argument de « déconsidération de la profession » n’a été avancé qu’en raison de ce qui est public, notoire, soit divers passages de ce livre.

Dans l’affaire Clearstream Banking contre Denis Robert, la Cour de cassation a voulu marquer que le journaliste avait pu faire des erreurs, mais qu’il n’était pas motivé par une volonté de nuire, et qu’il s’était livré à des investigations sérieuses. En ce qui se rapporte à la famille Joffo, je n’ai pu me livrer à des investigations sérieuses qui auraient consisté à retrouver des personnes supposément victimes de Maurice Joffo. Mais je l’ai rencontré ainsi que son frère, Joseph, auteur (ou plutôt coauteur) du fameux Un sac de billes. Par trois fois, le « coq » Dubec (ici, le cuisinier d’une légende) a répandu des propos injurieux à l’encontre de Maurice Joffo. Une première fois dans son livre, ce qui lui a valu une condamnation pénale définitive, par deux fois devant un tribunal arbitral. Il m’est intolérable d’entendre qu’on puisse assimiler un jeune adolescent à un profiteur de guerre spoliateur de la détresse de « coreligionnaires » (au fait, tant Michel Dubec que les Joffo, ont les a vus combien de fois dans des synagogues ?), encore plus de constater que Michel Dubec falsifie les faits. Oui, Maurice Joffo, après la Libération, a fait fortune, il le consigne dans son livre Pour quelques billes de plus. Si la présidente a lu ce livre, elle sait parfaitement ce qu’il en est. Michel Dubec, qui clame qu’il faut « lire » les phrases incriminées de son propre ouvrage en fonction du contexte a totalement détourné de sa chronologie l’extrait de ce Pour quelques billes… que par deux fois il a cité. En première instance, en appel. Ce n’est plus de l’affabulation, c’est franchement perfide. « Juif » (selon quels critères est-on juif ? ceux du maréchal Pétain ?) d’origine séfarade par sa mère, tout comme, par exemple, Violette Morris l’était de lignées maternelles, Michel Dubec a peut-être fantasmé ses ascendances ashkénazes : on les lui reconnaitra sincères au bénéfice du doute. Avec encore une fois très brièvement des trémolos vocaux et l’œil furtivement embué, Michel Dubec a évoqué « les Juifs polonais dont je fais partie » et sa grand-mère Hannah, « receleuse de bijoux » qu’il « insulte dans ce livre parce qu’elle a survécu en faisant du trafic et du recel. ». Maurice Joffo a été condamné pour recel de bijoux à la suite d’une enquête diligentée par Jean-Louis Debré, alors juge d’instruction, qui selon Maurice Joffo, mais aussi peut-être tout le greffe d’alors, qui rencontrait ce juge davantage dans les travées qu’en compagnie de sa greffière (ce que j’ai vérifié auprès d’un témoin), doit principalement à cette affaire d’être resté dans les annales de la magistrature. Joffo aurait été le bouc émissaire du ressentiment que Michel Dubec éprouverait pour cette parente. Même Colette, romancière traitant de Landru, n’aurait pas osé préfigurer Marguerite Duras évoquant Christine Villemin (affaire Grégory). Mais pourquoi pas Michel Dubec ? Pour ambiancer les faits encore mieux qu’un audiencier, il s’y entend parfaitement.

L’ennui, pour lui, c’est qu’il n’est pas un chroniqueur judiciaire d’occasion mais un médecin et un expert devant les tribunaux. Écrire que, sous le coup d’une bouffée d’émotion, Maurice Joffo lui fait songer au Juif Süss (leJud Süß est le titre d’un film de propagande nazie), est une chose. Soutenir par trois fois, par écrit et oralement, que Maurice Joffo aurait pu se comporter de la plus vile manière en pillant des réfugiés ou des pourchassés est non seulement une contre-vérité, jusqu’à preuve du contraire (qu’on attend encore… et pourtant, les Joffo étant des personnages en vue, connus au-delà du Tout-Paris, tant des communautés diverses ayant trait à la Résistance ou à la Shoah, ils ont forcément attiré l’attention et l’intérêt). Mais… on s’en tiendra à l’appréciation du tribunal pénal ayant déjà condamné Michel Dubec pour injures publiques, &c.
Anecdote amusante : on a entendu un « docteur Joffo » (au lieu de « docteur Dubec ») de la part, crois-je me souvenir, d’un assesseur. Maurice Joffo n’est pas docteur ès capilliculture, mais il a la main, c’est toujours un bon coiffeur. Michel Dubec, qui a soutenu sa thèse en 1978 sur sa pratique de thérapeute en détention, a de l’abattage : encore plus d’une vingtaine d’expertises pénales annuelles, « plus de 200 » au civil (Quotidien du médecin, 2007). Au moins deux par jour ouvré. Il faut croire qu’il les dicte ou les saisit au clavier plus vite que son ombre. Selon le Dr Ladislas Kiss, cela rapporte brut entre 230 et 770 euros par tranches de deux ou quatre heures, rédaction incluse. C’est quand même plus rentable que coiffeur ; Michel Dubec ne devrait pas s’exagérer le « magot » de Maurice Joffo…
Je ne connais pas Illich Ramirez Sanchez, dit Carlos, dont je considère peut-être à tort que Nicolas Sarkozy aurait gagné à le consulter au sujet de certains membres du Conseil intérimaire libyen plutôt que de prêter complaisamment l’oreille à Bernard-Henri Lévy. Michel Dubec, qui l’a rencontré une quinzaine de minutes en présence de deux gardiens et d’un brigadier, et s’est fait récuser en tant qu’expert par l’intéressé, considère qu’il en fait « le Dario Moreno du terrorisme, un grotesque, et c’est ce qu’il ne me pardonne pas. ». Effectivement, n’en déplaise à la mémoire du grassouillet chanteur de Si tu vas à Rio, Carlos est décrit de manière bouffonne dans Le Plaisir de tuer. Michel Dubec en rapporte des « on dit » recueillis, selon lui, « à la faveur de cet entretien et à partir de tous les textes et reportages. ». Me Vuillemin, pour le dit Carlos, a soutenu que Michel Dubec s’était exprimé « en sa qualité de médecin même si ses propos sont essentiellement fantasmés. ». Aussi que Carlos, qui l’avait récusé en tant qu’expert, avait « maintenu le lien avec le médecin. ». Il lui fut rétorqué que l’expert judiciaire n’agit pas en tant que médecin, dont acte. Mais, vous-mêmes, quand vous discutez avec un avocat, un médecin, un journaliste, amicalement ou en échangeant simplement des propos de comptoir, oubliez-vous le praticien ou confrère, selon le cas, totalement ? Moi pas. « Si un avocat commis d’office était récusé au bout de quelques minutes, il ne pourrait pas faire état de la teneur des quelques échanges antérieurs à la récusation, » a rappelé Me Vuillemin. Le Conseil de l’Ordre des avocats sanctionnerait. Quand, en sus, les propos sont « injurieux et diffamatoires », fondés sur des bruits de couloirs, cela fait beaucoup. Le pire étant que Chantal de Rudder, peut-être impressionnée par la réputation du médecin et de l’expert, a pris sa parole pour du bon pain. Eh oui, quelqu’un faisant autorité en son domaine, qu’il soit en service ou hors de sa pratique, se doit peut-être de ne pas en abuser.

Jamais, dans ce livre, Michel Dubec n’émet de véritable doute ; jamais, au cours de deux audiences, il n’a laissé vraiment entendre qu’il pouvait regretter ses propos sur tel ou tel, admettre qu’il aurait pu être induit en erreur. Au contraire, contre Joffo, il a travesti, tronqué des passages de Pour quelques billes afin d’enfoncer encore davantage son personnage, sa construction mentale hasardeuse. Ce que malheureusement Me Laure Crétin, suppléante de Me Anne-Archambault, qui s’était laissée surprendre par l’argument de Michel Dubec en première instance, n’a su prévoir, ni relever.

Elle a plaidé techniquement, de manière quelque peu redondante par rapport aux conseils départemental et national, en ajoutant que la peine de trois mois d’interdiction d’exercer assortie de sursis était inadéquate en regard de la gravité des faits. Je vous laisse consulter l’interprétation que fait l’Ordre de l’article 7 du Code de déontologie.
Certes, l’expert n’agit pas en tant que médecin. Mais le livre de Michel Dubec laisse transpirer qu’il écoutait surtout ce qui lui était rapporté (on se demande d’ailleurs parfois s’il n’a pu ou non consulter des dossiers d’instruction) avant d’entendre d’une oreille discrète – sauf sans doute Touvier et Guy Georges qui semblent l’avoir fasciné – des personnes qu’il avait préalablement « construites » selon des visées lui permettant l’équivalent d’effets de manche. La presse, qui en avait fait l’expert médiatique par excellence, car disert et commode, sachant tourner des phrases fournissant des titres, s’est sans doute laissée abuser. Pour les magistrats, allez savoir. Pour ceux des instances ordinales, le mode de déroulement des audiences laisse perplexe. Je ne sais s’il existe un code de procédure pénale ad hoc, mais écouter les parties, puis poser les questions au prévenu après qu’il se soit exprimé en dernier, présente quelques inconvénients. L’oralité des débats en souffre.

De manière fort insolite, c’est Me Isabelle Coutant-Peyre, pour I. Ramirez Sanchez, qui est intervenue la dernière avec une question fort (im)pertinente : « êtes-vous encore en état d’effectuer des expertises ? ». À très juste titre, la présidente a relevé que le prévenu n’avait pas à y répondre. Michel Dubec rétorqua par une réponse sibylline, de Normand. « Plus on est sûr de soi, plus on est dangereux. Je suis peut-être moins bon, donc moins dangereux, » admit-il en forme de semi-aveu. Moins bon quoi ? Expert ? Faiseur ? Médecin ? Auteur ? Allez deviner.

Auparavant Me Bertrand Burgot, tout en connivence avec un tribunal qu’il fréquente de longue date et dont il connaissait sans doute les membres, a fait sourire quelques rares sachants présents en évoquant une sorte de transfert érotique que Brigitte Brami aurait fait sur son ancien soignant. Lesbienne notoire de longue date, Brigitte Brami aurait donc agi par dépit amoureux ? Comme c’est touchant ! Surtout, crédible ! Elle, seule et unique instigatrice, aurait suscité « les 25 plaintes arrivées au conseil départemental de l’Ordre », qui seraient toutes « sur le même modèle ». Dommage, lors des questions, cette contre-vérité flagrante n’a pas été creusée. Il semblerait de même que certaines parties, et bien sûr le public, n’aient pas été au fait de la nature de ces plaintes intervenues avant l’audience de première instance et depuis l’été 2009. On ne sait ce que Me Burgot qualifie de plainte parmi les diverses interventions, interpellations, demandes adressées au conseil. Mais soit Me Burgot a été mal informé, et dans ce cas, devant toute cour ou tribunal ordinaire, il tiendrait là un magnifique incident entraînant annulation, recours en suspicion légitime, &c., soit il a opéré un tri assez obscur.

Je fais aussi un tri dans ses arguments dont l’un, celui selon lequel un expert, « adversaire autant qu’allié » de l’expertisé, n’examine jamais ses propres patients, est irréfutable. Plus faible : Guy Georges n’a pas porté plainte contre Michel Dubec. D’autres personnes citées dans le livre non plus. Me Burgot aurait pu ajouter que le juge Jean-Michel Lambert (affaire Grégory), pas très sympathiquement campé dans le livre, et qui l’a lu (entretien avec Le Parisien du 18 avr. 2008), ne s’est pas offusqué. Je vous en passe des techniques et des moindres pour insister sur un argument crucial : l’évolution souhaitable ou souhaitée du secret de l’expertise, voire du secret médical.
Quand Me Burgot a évoqué l’article 10 de la Convention européenne, les lois sur la presse et la liberté d’expression, je me suis demandé s’il n’allait pas nous sortir de sous sa robe la question prioritaire de constitutionalité !

Dès 1974, à propos de cas jugés, les instances ordinales s’étaient posé la question de savoir de la licité de s’exprimer sur les faits en citant des noms. Le débat reste en suspens, la pratique a considérablement évolué puisque, par exemple, une émission judi-policière telle que « Le Droit des savoir » (ou « Enquêtes et révélations »), n’est pas avare en experts, témoins, sachants, protagonistes citant des noms. Pour Michel Dubec, à ce sujet, « chacun fait qu’il veut », décidant de participer ou non.

Il fut beaucoup question d’un précédent, celui du livre du Dr Yves Roumajon, Ils ne sont pas nés délinquants, sous-titré, en réédition de 1981, « l’un des plus grands experts internationaux ouvre ses dossiers ». Paru chez Robert Laffon en 1977, ce pavé du fondateur du centre pour jeunes délinquants de Vauhallan n’a pas été brandi par Me Burgot. C’est déplorable, car il aurait sans doute pu, en s’aidant d’intercalaires entre les pages, énumérer les folios en énonçant les patronymes complets, les chefs d’inculpation, &c., de tous ces mineurs présentant parfois des troubles psychiques, non ? Eh non, il n’aurait pu. Alice Parizeau, dans Criminologie (vol. 11, nº 2, 1978, pp. 88-93), évoque cet essai et « cette abnégation, cet oubli de soi qu’implique toute forme d’enseignement et de traitement quel qu’il soit. ». Cet ouvrage serait le modèle du Plaisir de tuer. Ah bon ? On espère que Me Burgot a lu ce livre, que la présidente et ses assesseurs s’empresseront de le consulter ou relire pour procéder à d’utiles comparaisons. Yves Roumajon, pas plus que Bernadette Surig (Une psy à la prison de Fresnes, Demos, 2008), ne soutiennent vraiment la comparaison, en tant qu’auteurs, avec Michel Dubec, et c’est plutôt à leur honneur. Tant qu’à faire, Me Burgot aurait pu aussi évoquer l’affaire Elisabeth Fritzl (une Autrichienne victime d’inceste, séquestrée), commentée par Jacques-Alain Miller. Oui, là, tous les faits (enfin, presque) étaient déjà connus du public, mais, objection votre honneur, personne ne prête à l’intéressée de propos cités entre guillemets qu’elle serait censée avoir prononcés. De plus, les conseils départemental et national ont rappelé que « ce n’est pas parce que l’Ordre n’a pas poursuivi des médecins s’étant exprimés dans la presse qu’il approuve ».

Me Burgot craint à la fois que la décision ordinale fasse jurisprudence et souhaiterait, en cas de relaxe, qu’elle favorise l’évolution de la profession sur ces questions d’expression publique. Pitié pour les inculpés disculpés, les suspects bénéficiant d’un non-lieu et d’abandon de poursuites dont les noms, prénoms, et mêmes ceux de leur entourage, sont livrés, assortis d’épithètes accrocheurs intimidants, par la presse française contrairement à son homologue britannique !

Untel, qualifié de monstre, de pervers, d’on ne sait quoi, bientôt sauvagement psychanalysé par un expert psychiatre médiatique, avant même de comparaître ? En cours de mise en examen aussi, au prétexte que son nom est paru dans des journaux ? Me Burgot a entraîné l’instance ordinale sur un terrain bien glissant…
Je ne suis pas un spécialiste de l’historiographie de l’affaire Dreyfus ; je crois me souvenir qu’elle se déroula alors que les présupposés de Freud commençaient à être connus en France. Faut-il évoquer Vidal-Naquet et « l’ineffable Bertillon, l’expert en graphologie de l’accusation contre Dreyfus ? ». Clémenceau, médecin, avait été interne à Bicêtre (le pendant de Charenton). Plus près de nous, le cas de la Belge Régina Louf (affaire Dutroux), examinée par les docteurs Pyck, Hayez, Alcantara, Reisinger, ne valait-il pas d’être mentionné ? Auteure de Silence, on tue des enfants (Mols éd., 1998, préface de Léon Scharwetzenberg), on n’ignore pratiquement plus rien Régina Louf, depuis l’âge (huit ans) de ses premières règles jusqu’aux plus intimes détails. Elle a rappelé, devant la commission du droit des victimes de l’Onu, comment un magistrat s’était étendu dans la presse sur le « corps de femme adulte » qu’il pensait qu’elle devait présenter à douze ans. Il faut s’en targuer pour faire évoluer les pratiques ? J’avais, à propos de l’affaire Grégory, dont Michel Dubec a eu à connaître, publié un entretien avec Serge Leclaire, auteur d’On tue un enfant. Il n’était évidemment pas question de se prononcer sur la personnalité de Christine Villemin. En revanche, sur place, à Épinal, entre journalistes, experts, avocats, &c., que ne s’est-il pas dit – et son contraire – en privé ! Lisant Le Plaisir de tuer, j’ai retrouvé le niveau de ces propos de table que les plus conscients d’entre nous se gardaient bien d’exprimer publiquement, de transcrire.

Michel Dubec a estimé qu’il était « en fin de carrière, mais que sa carrière était en jeu. ». Pas en tant que psychanalyste tout de même ? Il a indiqué que, sur enquête de la Sécurité sociale, « tous mes patients ont été contrôlés. ». Il n’a jamais été jusqu’à présent interdit d’exercer mais, effectivement, une sanction ordinale peut remettre en cause sa nomination par des juges. Pour être expert, il ne faut pas avoir été condamné « pourdes faits contraires à l’honneur, à la probité, aux bonnes mœurs, » qu’il s’agisse de condamnations pénales ou disciplinaires (art. 2, loi du 27 juin 1971). Le conseil national, qui est allé dans ses demandes au-delà du conseil départemental, ne l’ignore sans doute pas. De même n’ignore-t-il pas non plus que la Cour européenne de Strasbourg se fait juge de l’impartialité des experts. On ne sait si l’argument de la partialité de Michel Dubec serait susceptible d’être soulevé du fait de tel ou tel élément particulier ou tout simplement de celui de sa précédente condamnation pénale (dans l’affaire Joffo).

Avec ce livre, « d’auto-analyse », dont il ne sait pas encore à présent s’il regrette ou non de l’avoir menée (« je ne le saurais que dans trois, cinq, dix ans, » a-t-il déclaré), il aurait voulu dire « non à toute cette carrière, à toute cette fréquentation des criminels. ». Le Plaisir de tuer est paru en février 2007. Il affirmait à peu près la même chose à Marion Van Renterghem, du Monde, début mai 2007. J’avais cru entendre à l’audience que ce livre avait eu une longue gestation, qu’il était le fruit de semaines, voire de mois d’entretiens avec Chantal de Rudder. Youssef Fofana (affaire d’Ilan Halimi, dite des « barbares ») a été incarcéré en France en mars 2006. Michel Dubec est-il déjà en « auto-analyse » ? Toujours est-il qu’il accepte la mission d’expertiser Fofana. Question qui ne fut pas posée : quand Michel Dubec accepte-t-il d’expertiser Michel Fourniret ? En 2006, en 2007 ? Quand a-t-il accepté la mission d’examiner son confrère, Daniel Cosculluela, acquitté en février 2010 pour des viols sur ses patientes, remis en examen en novembre de la même année ? Ou celle de Jacques Viguier (second procès en mars 2010) ?
Ce n’est pas si important puisqu’on ne sait trop si le Dr Dubec a ralenti de lui-même le rythme des missions pénales qu’il accepte, ou s’il, depuis ses comparutions postérieures à la parution de son livre, se voit confier moins d’expertises judiciaires à fort caractère médiatique.
De toute façon, il ne s’agissait pas de dire si Michel Dubec exerce mal ou bien ses activités d’expertise. Certains, en témoignent les autres tentatives de saisine du conseil de l’Ordre étrangères à la présumée « apologie du viol » (que je n’arrive pas à sonder, et au bénéfice du doute, j’en exempterai plutôt volontiers le prévenu), en pensent pis que pendre, certaines, qui ne sont pas parvenues à se faire entendre, aussi. Mais il est vrai aussi que le Dr Dubec a publié des articles que ne désavouent pas plus ses pairs que des spécialistes. Il est tout aussi avéré que, pour certaines affaires très célèbres, ses dépositions ont été confirmées par la suite des faits (notamment des levées d’écrou non suivies de récidive, par exemple). C’est pourquoi la, ou plutôt les carrières de Michel Dubec sont loin d’être achevées. Il peut écrire brillamment des études sérieuses, et pourquoi ne pas se tourner vers la fiction : il a fait preuve de talent en ce domaine.

Michel Dubec s’est surexposé. Il concluait qu’il ne saurait dire pourquoi il a pris tant de risques en publiant ce Plaisir de tuer tant controversé, si maladroit (enfin, après examen attentif ; car pour faire des ventes, c’est plutôt habile). Il a évoqué Actes de naissance – entretiens avec Stéphane Bou (Seuil, 2011) de la philosophe et essayiste Élisabeth de Fontenay. On n’a pas trop su l’entendre, ne sachant s’il tentait de prendre de la hauteur ou d’évoquer une judéité instrumentalisée pour susciter de la compassion, de l’indulgence, une autre approche de son dilemme intime.

Je ne retiens finalement qu’une chose : à propos des Joffo, il s’est fourvoyé, a fantasmé, ou pire, s’est inconsciemment attiré les faveurs du juge Jean-Louis Debré et d’autres pour favoriser sa carrière d’expert. Lui seul peut se prononcer ; il n’a pas voulu se déjuger, n’a pas eu la moindre expression de regret, de doute rétrospectif. Il se voit peut-être toujours « rossant » Carlos telle une petite frappe, puérilement. Faire non seulement incarcérer une première fois une ancienne patiente mais de plus tenter de la renvoyer plus longuement en détention (pour quels véritables motifs, au juste ?) en appel – c’est raté – ne lui a pas fait scrupule. Le juge Gilbert Thiel, des confrères experts, d’autres personnes encore, lui conservent estime et amitié. J’ai été chroniqueur d’assises, je suis très heureux de n’avoir jamais été juré, et là, de n’avoir pas d’intime conviction bien établie à l’égard ou l’encontre de la personne de Michel Dubec. Dans ce genre de procès, il n’y a pas d’expert venant déposer. Mais la confusion des genres, avec ce livre présenté en mettant en avant sa qualité d’expert, de psychiatre, de pédopsychiatre, qui confine à l’affabulation, me semble flagrante. Si la lecture du Plaisir de tuer n’était pas divertissante, j’aurais envie de dire : remboursez !
Michel Dubec a comparu en appel le 30 mars 2011. Un prononcé en délibéré est attendu avant le vendredi soir 29 avril au plus tard…

P.-S. – Dommage que Maurice Joffo, fort âgé, n’a pu être présent. Dans son livre, p. 58, Michel Dubec assure avec un parfait aplomb : « il parlait très bien le yiddish ». Maurice Joffo ne se souvient absolument plus d’avoir, en 1984 ou antérieurement, jamais pratiqué couramment le yiddish. Il m’avait, lors d’un entretien, souligné qu’effectivement Michel Dubec l’avait brièvement apostrophé en un yiddish dont lui-même raconte : « je n’en comprenais même pas le tiers ou le quart… on ne devait pas avoir entendu le même dans notre enfance… ». C’est regrettable pour les traducteurs de yiddish vers le français qui ne trouvent pas si facilement à s’employer : la confrontation aurait été cocasse.