Grands dieux merci, les religions « admises » pour l’admission dans les universités roumaines ne sont pas listées. Ce pays, multiconfessionnel s’il en est – les uniates ou grecs-orthodoxes côtoient les catholiques romains, les protestants luthériens, et les orthodoxes roumains autocéphales ou les ukrainiens, mais aussi les multiples évangélistes et mormons qui se sont littéralement abattus sur le pays, et tant d’autres… –, compte tant d’obédiences que la litanie serait onéreuse en encre et papier. Et jusqu’à nouvel ordre, personne n’ayant porté la mention « agnostique » ou « athée » ne s’est vu refuser l’accès aux études supérieures. De toute façon, en Roumanie, depuis quelques années, le « sans religion » ne peut plus éviter l’omniprésence des prêtres. Ils viennent bénir les appartements des immeubles collectifs chaque année (pour plus de sûreté, une bénédiction semestrielle ne vous donne pas encore droit à une ristourne sur vos assurances, mais cela devrait pouvoir se négocier). On les a même vus parcourir les étages des résidences universitaires.
Pendant l’ère communiste, les pionniers, filles et garçons, étaient soumis au « travail patriotique » (souvent de l’entretien des lieux publics, ou le recensement des animaux domestiques dans les immeubles), tout comme la plupart des adultes. Y compris lors des Pâques orthodoxes ou catholiques. Mais désormais, comme dans de nombreuses universités, les évêques viennent bénir les salles de cours et deviennent docteurs honoris causa, tels une Elena Ceauçescu, docteure-ingénieure-académicienne. Non, non, il ne s’agit pas de celles des universitati crestine (universités chrétiennes), mais bien des universités « laïques ». Les universités chrétiennes Dimitrie Cantemir – « universités d’élite pour l’élite des étudiants » – sont implantées dans la capitale et à Brasov, Cluj, Sibiu, Constanta, Timisoara. Pour le moment, elles ne sont pas touchées par le scandale des diplômes marchandés à la tête du client contre des espèces (euros de préférence). Toute ressemblance avec la France, où les diplômes des universités catholiques romaines sont désormais reconnus par l’Instruction « publique » et où fleurissent les écoles de commerce serait bien entendu fortuite, et le fruit du hasard. Et on comprend mieux tout à coup pourquoi tant de pays européens sont opposés à l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne : la laïcité kémaliste bouleverserait trop d’intérêts particuliers.
Si le précédent régime totalitaire n’était pas loin de faire rimer « déraison » avec « religion », l’actuel, plus cauteleux, n’a pas encore décrété que l’irréligieux ou l’agnosticisme était synonyme de dérèglement mental. L’agnostique n’est pas encore un éclopé cérébral, juste un suspect de l’être, un aliéné en puissance. Et c’est pour détecter ces aliéné·e·s, tant à l’entrée de l’université qu’à chaque passage dans un cycle ultérieur ou lors d’un changement d’orientation, qu’un examen psychiatrique est requis. Il en coûte quinze lei, soit près de quatre euros, soit la moitié du salaire quotidien d’un jeune fonctionnaire. Certains étudiants boursiers étrangers se les verront rembourser, ou pas.
À défaut d’assister à un tel examen, j’ai eu le désavantage de poireauter dans la salle d’attente d’une psychiatre qui allait examiner diverses étudiantes à rythme accéléré. On doit se présenter de 15 à 18 heures et on passe en fonction de l’antériorité de sa présence. La psy, souveraine et désinvolte, arrive peu après 16 heures. D’autres patients avaient prévu qu’il convenait de venir, munis de boissons, de revues, de jeux, dès 14 heures. C’est donc peu avant 17 heures et demi que les premières étudiantes franchissent la porte du cabinet d’où s’échappent les conversations des personnes parlant un peu fort. La psychiatre ne veut leur consacrer qu’une heure, et par conséquent les entretiens s’expédient en quatre à six minutes. Pour mon sujet d’étude, ce fut 4,37 et quelques dixièmes. Les questions ?
« Avez-vous eu des antécédents psychiatriques, m’a-t-elle demandé après l’interrogatoire d’état civil, et il y en a-t-il dans votre famille ? ». Il a été ensuite demandé au sujet si, au cours des deux ou trois dernières années (puisqu’il s’agissait d’un passage d’un cycle à un autre), un autre examen similaire avait été pratiqué. On vous demande si conjoint ou amant il y a, et pourquoi, s’il en est, la vie maritale est préférée au mariage. La bonne réponse est : « nous attendrons d’avoir obtenu nos diplômes ». D’autres sont recevables mais celle-ci vous vaut généralement satisfecit. Mais, en fonction de l’heure, si tardive, on peut encore sans trop de risque se déclarer rétif ou rétive au mariage, à condition de l’argumenter de manière à ne pas paraître opposé·e·s aux institutions. Jusqu’à quand ? Vous convoquera-t-on pour un examen plus approfondi (et donc plus onéreux) ? Seriez-vous signalés au prêtre qui vous semoncera avant de vous tendre une sébile ? Ou, tout comme les suspects de ne pas vouloir se conformer aux idéaux du régime précédent se voyaient barrer l’entrée à l’université, vous refusera-t-on l’inscription ? En France, désormais, les épreuves écrites ou orales du baccalauréat peuvent se dérouler dans des établissements privés sous l’égide de multiples crucifix, et cela sans que les rectorats n’y trouvent à y redire. Toute comparaison entre la Roumanie et la France sont, par ailleurs, bien évidemment, le fruit du hasard. Mais nous n’avons rien inventé.
En régimes totalitaires (européens et autres), l’absurde est souvent le seing du bon sens
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L'Europe vue de Roumanie : au bureau notarial…