Le réconfort avant l’effort. J’ai sillonné et je sillonne encore un copieux Dulaurens ressurgi de l’ombre des Lumières et voici que je traite d’abord d’un Guy aussi quercinois que narquois, ce qui les rassemble, d’un Kermit se gaussant, grivois au gré du vent, des coassements des faiseurs d’air du temps, ce qui les relie tout autant, poussant jusqu’à faire un « bœuf » d’un unique placet quand le Henri-Joseph charrie et varie tout une œuvre pesante. Souffrez qu’avec cette Lettre aux politiciens, aux juges, au citoyen, de Guy de Quercy, aux éditions BTF Concept, je place un pertinent illustre inconnu avant l’impertinent renommé « Diderot des pauvres diables, Mozart de la Gueuserie des Lettres ».


J’ai encore sur la planche un Daniel Neveu, et son Le Mort n’a pas le profil d’un assassin, aux éditions Anabet, qui a déjà poussé jusqu’au Café Crimes de Jacques Pradel, une Lara Mate pour un Half the Sky, 21st Century China Girls, production de La Chienne éditrice, et bien sûr le Stéphan Pascau, Écrire et s’enfuir dans l’ombre des Lumières, Henri-Joseph Dulaurens, dans la collection des Gueux littéraires des éditions Les Points sur les i. Excusez du peu, et je vous en passerai plus tard quelques autres, et non des moindres, encore en souffrance.

 

Ne reculant jamais face à la facilité, c’est donc le savoureux soufflet de Guy de Quercy que je vous invite à savourer d’urgence. De l’auteur, trop peu connaissent son Politicum cupides, un parasite de Vulgum Pecus, paru en 2006 chez Bénévent. Entendait-il déjà, le pauvre diable d’électeur, « les petits pas nerveux du Megalomaniac Progagandis » qui piétine à présent, en tacolonnes assourdissants,  tout ce qui résiste aux gloutonneries de la Ploutocratie ? Cette Lettre ne le consolera pas de sa surdité d’hier mais est propice à lui renvoyer son reflet de berné qui ne sait s’il vaut mieux à présent diluer ses bouchons de cérumen ou les renforcer d’étoupe pour échapper au tintamarre omniprésent.

Naguère, dans Le Canard enchaîné, Roland Bacri, dit le Petit Poète, qui tenait son Journal d’un râleur, et clamait son Refus d’obtempérer, mais d’autres aussi, maniaient l’alexandrin. C’était parfois leste, comme les contrepets de Patrick Dessi, et Guy de Quercy est gaillard (mais parfois aussi profond qu’un Jean-Baptiste Botul, alias Jacques Gaillard et d’autres, dans sa Métaphysique du Mou chez Mille et une nuits éditeur). Le genre gagne a être remis au goût du jour, et s’il n’est pas sûr que nos rimailleurs des périphéries puisent l’inspiration dans La Princesse de Clèves, ils peuvent s’en remettre à Guy de Quercy pour retrouver des mots faisant flèches, piques et  carreaux (d’arbalète, traits semblables à ce qu’évoquait Corneille, l’autre, celui du « allons fouler aux pieds ce foudre ridicule / dont arme un bois pourri ce peuple trop crédule »), et darder et larder ceux qui de notre trèfle, font leurs recettes et les ressources de leurs pas si menus plaisirs. De Quercy ne les tient pas pour si vulgaires et insignifiants…

Des doigts nous menaçant d’outrecuidants rappeurs

Distilleraient ces vers aux tympans attentifs

Des racailles grimpant sur nos générateurs

Lors qu’on flatte leur flanc d’un bâton curatif.

 

Le Kärcher® cingleur qui fait plier l’émeute, les « pistolets de fureurs électriques », rime avec le Taser™ émoustillant le scribomaniaque qu’est de Quercy. Mais il emploie plutôt des vocables mieux choisis pour appeler de ses vœux la chute du ludion malfaisant.

Que n’éradiquons-nous cet irrévérencieux

Ce fol olibrius qui vertement se moque

Met notre école au ban, notre ennemi aux cieux

Et nos réputations, apertement en loques…

 

Charles Duchêne, de BTF Concept, vingt-sixième éditeur pressenti, n’a pas été rebuté par les notes en bas de page explicitant un usage désuet, un syntagme acéré telle la sarisse des phalanges mais qu’un affût des dictionnaires actuels ne débusque plus, une épithète aussi précieuse et vibrionnante qu’obsolète mais dont l’imprécateur saronide fait mouche (aussi, polissoir de culasse, de canardière).

 

L’intérêt de ce court (une centaine de pages) recueil est que l’on s’amuse et qu’à l’occasion, y folâtrant, on trouvera matière à bien des envois adressés aux fâcheux, aux grippeminauds et aux forbans rhéteurs qui nous régissent. Pour évoquer l’actualité, un quatrain « du » Quercy, bien décoché, vaut bien un dessin, une image… Ainsi de la crise financière…

Ceux qui ont aujourd’hui un faciès dépité

Et qui tordent l’État pour éponger la dette

Hier ne trouvaient pas un sou pour éviter

Que meurent nos emplois, même pas une miette

 

Admettons le, si les rimes sont riches, la césure bien campée entre deux hémistiches, l’ « aristarque acerbe » trouvera, ça et là, quelque ampoulé artifice suppléant une euphonie limite. Mais le genre le supporte. Et puis, pour fustiger le contempteur des écoles publiques qui, dans la moindre des ses allocutions, massacre l’élocution, pluriélise les désaccords du plurier, il est loisible de s’accorder quelques licences, et on sera  en droit, eu égard à ce petit maître aux parchemins suspects, de décocher quelques assonantes flatulences…

Pour la scolarité, tu lâches allégrement

Des vents perchés plus haut que tous tes orifices

Empestant et fétides, ces prétentieux serments

De la perfection prétendent faire office

Autant pour le protochanoine (d’Embrun, ébreneur de Phynances), et de ses séides qui font la chattemite auprès des mitrés…

À confesses serviles, adeptes d’ablution

Égrenant chapelets en colonnes gourmandes

Parcimonieux ils portent leur contribution

Pressant saint Hypocrite d’en alléger l’amende

Ces vautours en habit, « Par la majorité ! »

N’ont rien à émeutier de la sainte intinction

L’agape n’est pour eux qu’une fourbe addiction 

 

La trop prévisible déroute des marchés, qu’experts et plumitifs laudateurs de la bancassurance feignirent d’appréhender au dépourvu, inspire à de Quercy  une saine défiance du trop faible émétique administré aux uns, aux effets sitôt compensés de la lancette subie par tous les autres.

Et au lieu d’imposer que toute action acquise

Soit sans délais payée et sa vente interdite

Avant qu’un mois n’échoie, pour endiguer la crise

Vous maintenez les rets que jadis vous ourdîtes

Oui, quand l’Autorité des marchés financiers

Se penche sur la bourse, afin d’y remédier

C’est le trou de son cul qu’elle observe à la loupe

Et pour stopper la crise, elle y fourre une étoupe

 

Les sans emplois bientôt en fins de droits et non allocataires, les précaires, les mal logés et les délogés ne sont pas évoqués d’une plume légère… en regard des libéralités dont se dotent les prébendiers.

Emplois déqualifiés, sous-emplois déguisés

Revenus temporaires, que tes lois sont marrantes

Pour donner aux contrats, à tes fins maîtrisés

Des airs de privilèges, que d’astuces navrantes !

Baissant les employés au rang de demandeurs

Et ces derniers à ceux de radiés menteurs

Tu effaces chômeurs ou formes optionnelles

Et votes en fin d’année la prime exceptionnelle !

(…)

Courageux, noble et beau, tu parviens même à faire

Condamner par un pitre en habit de justice

Ceux qui souillent ta vue en défendant les hères

Qui campent dans la rue où ta chienne pisse

 

Mais l’ire croît et s’amplifie lorsque sont abordés les détournements du langage, les faux-semblants, le verbe mystificateur, le galimatias abusif des porte-voix, députés, sénateurs, conseillers, auditeurs, ministres, communicants vaseux et spin docteurs ès niaiseries, nègres assermentés hantant les cabinets.

Grégaires, vous inventâtes une assemblée bavarde

Prenant du poulailler l’exemple « poulaillant »

Haute-cour, basse-cour, de vos idées blafardes

Péniblement l’idiome se fait vicariant

(…)

En fichu de soubrette, est-il un journaliste

Celui qui complaisant fait le lit du tyran ?

Et son patron signant ces contrats publicistes

N’est-il pas collabo, abject et transpirant ?

 

L’insurgé métromane est peut-être quelque peu angélique lorsqu’il croit pouvoir rallier « femmes et hommes de loi, espoir des démocrates ». Certes, la magistrature se rebiffe et l’appel du (procureur) Marin n’est peut-être qu’une brume qui, dissipée, dévoilerait bien d’autres turpitudes et au coup de sifflet en fera triller d’autres. L’État français avait certes limogé 209 magistrats, n’en réintégrant que 41, mais seul un magistrat refusera de prêter serment à Pétain. La magistrature française ne s’est jamais rebiffée qu’une seule et unique fois : lorsqu’il s’agissait d’appliquer les décrets républicains contre les congrégations religieuses. Les convictions ne l’emporteront sur les perspectives d’avancement immédiat que sous la IIIe République. Ce n’est qu’à partir de novembre-décembre 1943 que les plus hardis, sentant le vent tourner, modéreront leur zèle (ou transigeront, épargnant  l’exécution à un résistant qui pouvait s’en souvenir, condamnant à mort trois droits communs,  dont deux Portugais, histoire de donner des gages). Les mêmes sauront faire preuve de mansuétude pour les collaborateurs jugés recyclables par les gaullistes et se monter aussi impitoyables pour les autres que pour des communistes étrangers ou « juifs ».
 
Guy de Quercy, quinquagénaire, est un peu trop jeune pour être un auxiliaire de justice admis au bénéfice de la retraite. Un Guy de Quercy, vers 1500, marchand à Cahors, avait acquis en Corrèze des moulins, dont on ne sait trop s’ils étaient à vent. Notre contemporain, caparaçonné d’ardeur citoyenne, aura au moins brisé quelques lances contre les brasseurs de vent. Il fournit matière à citations.
Dulaurens empruntait parfois à Cervantès ou à Cyrano des images, voire de courtes descriptions. Guy de Quercy, qui emprunte peu, pourrait y ajouter Marat, l’Ami du Peuple, qui considérait de la liberté naît de la sédition et d’une saine violence, et il se fait lui aussi anathème, ou encore Eugène Vermersch. Certes, la Chanson du Père Duchesne ne trouverait sans doute guère une ouïe complice chez de Quercy mais, comme Hugo, il a perçu « la réclamation des gueules de l’abîme » sans peut-être déceler l’alliance de « la robe, la mitre et la finance ».
Mais il pourrait sans doute reprendre à son compte ces appréciations du médecin-journaliste sur les manipulations de l’opinion : «  Persuadés d’ailleurs combien il est commode de régner sur un peuple abruti, ils s’efforcent de le rendre tel. Que d’obstacles n’opposent-ils pas au progrès des lumières ? (…) d’autres empêchent le peuple de réfléchir, en l’amusant continuellement par des parades, des spectacles, des fêtes, ou en le livrant aux fureurs du jeu. » (Les Chaînes de l’Esclavage). En tout cas, s’il y avait encore un mastroquet du Rat Mort (le Café Pigalle, qui faisait face à La Nouvelle Athènes), ses vers de chansonnier y seraient sans doute lestement déclamés. Je ne sais d’ailleurs à quoi peut vraiment ressembler Guy de Quercy (une photo avec postiches peut être trouvée en ligne), mais pour l’évoquer en préservant son anonymat, j’aurais bien vu, en première de couverture, une autocaricature d’un André Gill. Tant l’éditeur que l’auteur jugeront de l’opportunité si nouvelle édition se devait…