J’ai lu avec attention votre livre que vous avez eu la gentillesse de m’offrir. En voici mes premières observations :

 

Votre  Approche communautaire des toxicomanies trouve son intérêt dans le vide qu’elle comble, dans la mesure où toutes les institutions thérapeutiques spécialisées dans la prise en charge des toxicomanes y sont pour la première fois à ma connaissance recensées de façon exhaustive et y sont analysées en profondeur. C’est pour cette raison que ce que vous avez écrit peut légitimement être considéré comme un ouvrage majeur de référence en la matière, c’est-à-dire à vocation encyclopédique. Il a vocation à devenir un classique. Je le classe comme un travail de documentation fidèle à la tradition universitaire qui décrit l’historique d’un champ de connaissances ainsi que les pratiques actuelles qui y sont liées.

 

Vous n’avez pas écrit un essai apportant une lumière différente sur un sujet traité. D’une rigueur impeccable, l’état des lieux que vous dressez qui ressemble à un constat et a parfois allure d’un procès verbal peut apparaître comme riche d’une neutralité digne d’une grande objectivité ; il souffre parfois justement de l’absence de vos réflexions et de votre engagement personnels. Ces derniers m’ont manqué, car : << Seul le néant est neutre >>. Mais ce n’était ni la finalité ni le genre de votre ouvrage. Cependant, je vous retrouve quand, par exemple, vous portez un jugement subtilement laudatif à l’égard de communautés d’obédience religieuse à l’instar de la communauté Rencontre (Incontro). On sent alors que vos propos sont habités.

  << La dépendance ne concerne pas tant l’objet (le produit) mais le sujet (…)

On est passé d’une conception où c’est la <<drogue qui fait le toxicomane  à une approche où c’est le toxicomane qui fait la drogue  >>(…) La relation de dépendance tient plus au sujet qu’au produit >> (p.p. 10 et 50) : Une fois que le choix de cette mise en lumière est fait, votre vision panoramique, complétée par des gros plans, sur la population en question peut tranquillement commencer.

 

Ici et là, on trouve ce que je pourrai appeler méchamment des tartes à la crème ; ces espèces de truismes dogmatiques, scories psychanalytiques de ces temps révolus où l’on décrétait que l’absence de loi paternelle est délétère et qu’elle entraîne toutes sortes de maux effrayants chez la progéniture, et parmi ces maux : la non intégration de la loi tout court. (p. p. 41-43).

Je n’insisterai pas là-dessus, car vous savez ce que j’en pense.

 

Les réponses institutionnelles apportées aux usagers de produits illicites ne me paraissent pas être dénuées de danger. L’enfermement physique, et souvent volontaire, de ces pharmacodépendants renforce et fige ces derniers dans leur statut de toxicomane. Il les infantilise par une police des conduites (cf Foucauld) inhérente à toute vie en commun. L’affaiblissement de leur personnalité, dû au nivellement des contacts permanents qu’ils entretiennent avec leurs pairs et l’équipe soignante, les affaiblit encore davantage. Comme vous l’écrivez, citant Morel, Hervé, Fontaine : <<  L’ensemble de la dynamique institutionnelle s’articule autour d’un paradoxe : proposer de la dépendance  pour accéder à l’autonomie. Cela suppose qu’à la chaleur sécurisante de l’institution (aussi bien affective que matérielle) se substitue peu à peu l’indépendance relative qui se forge dans l’interaction aux autres et par la responsabilisation>> (p.75)  Le risque, c’est justement l’engrenage dans le cercle vicieux que créent ces établissements thérapeutiques. La toxicomanie n’apparaît plus alors comme une conduite à risque ou un comportement addictif, elle est vécue par ceux qui la subissent comme un destin. Ce n’est peut-être pas tant la pratique qui fait de l’usager un toxicomane à part entière mais l’enchaînement de ses séjours curatifs qui possèdent une valeur performative et le nomment comme tel, entérinant leur statut au lieu de les en libérer. La réponse à la pathologie susdite comporte en elle-même le risque de la nuisibilité de ses propres effets. Le remède provoque la maladie (cf Pharmakon de Derrida).

 

Je me sens beaucoup plus proche d’un  << mouvement antipsychiatrique qui va donc contester particulièrement les institutions, les <<spécialistes >> en toxicomanie pour qui <<La société est considérée comme pervertie et avilissante, non seulement elle conduit le sujet à des dépendances diverses, mais crée aussi des lieux spécialisées pour toxicomanes afin de les récupérer et de les neutraliser. >> (p. 60.61). La violence institutionnelle s’ajoute alors à celle de la molécule. Comme dirait Kant : << La société a les malades qu’elle mérite >> ! Et quand cette dernière fait mine de soigner ceux dont elle a elle-même aggravé l’état, elle ne sait que compter les stocks, les gérer comme des objets, les infantiliser et pour finir les sadiser avec ses blessantes fausses douceurs. La SPA ne protége pas les animaux, elle comptabilise les chiens abandonnés et veillent à ce qu’aucun animal errant ne perturbe la quiétude des humains. On dirait que les communautés thérapeutiques ont en vérité été créées pour le bien-être des non toxicomanes.   

 

Je trouve en revanche très pertinent votre avis quand vous soulignez qu’il est curieux que le courant antipsychiatrique ait impulsé la création des familles d’accueil en vue d’aider les toxicomanes alors qu’il s’est toujours montré très critique à l’égard de toute famille en générale qui est celui lui source de folie et d’aliénation. Même si ces familles recréées échapperaient aux normes familiales habituelles. Je partage votre scepticisme et reste comme vous très dubitative là dessus. Est-ce pour autant qu’il faille rechercher la collaboration effective de la << vraie >> famille dans le travail de désintoxication ?

  

Votre originalité a consisté à ouvrir la boite de Pandore des investigations théoriques dans le domaine des thérapeutiques communautaires. Votre étude fouillée et précise m’a appris beaucoup de choses. Vous avez fait montre dans votre travail de l’honnêteté sans faille du chercheur idéal.