Après ceux de la rentrée, le livre de la sortie, soit L’Étrange questionnaire d’Éric Poindron… ou le livre qu’il vous faudra en partie écrire ou destiner (non, dessiner). Par où, la sortie ? À vous de la trouver.

Je me suis livré par ailleurs (où ? Peut-être dans les limbes, peut-être un jour sur le site Blasting News, ou jamais) à un singulier exercice d’atelier d’écriture. Soit chroniquer un livre sans en donner le titre complet, ni le moindre contenu, encore moins la plus infime citation. Ce n’est pas si incongru car le projet de ce livre est bien de vous en faire trouver la sortie (en librairie depuis le 12 nov. dernier, en vente en ligne sur le site des éditions Les Venterniers). Sortie en votre for intérieur puisqu’il s’agit, sous des questions insolites, voire dérangeantes, de meubler le blanc de la page de vos réponses calligraphiées, griffonnées, ou ce que vous voudrez, comme le titre l’indique.

En son Cabinet de curiosités, samedi soir, Éric Poindron nous expliqua que l’idée lui était venue d’animer l’un de ses ateliers d’écriture à l’université de Reims en proposant un questionnaire. J’avais participé à un tel atelier à l’institut Charles V (univ. Paris-Diderot), sous l’égide d’une coach étasunienne de divers écrivains et poètes, circa 1994, je crois. C’était coton. Non point d’avoir à écrire en anglais, mais de creuser un thème donné, à respecter plus ou moins. Et puis le niveau égalait celui de la fameuse Iowa Writer’s Workshop (enfin, pas le mien, celui de la plupart des autres) dont est issu le prolixe Tom Coraghessan Boyle (dit T. C. Boyle), qui enseigne à présent à l’université de Los Angeles. Tout ce que produit Éric Poindron interpelle. En 60 questions, augmentées parfois de notes de bas de page, parfois en irréalité augmentée, il vous le prouve à nouveau. Pour qui se destine à la littérature, sa mise en jambes en vaut vraiment d’autres, françaises ou étrangères. Qui ne tend qu’à l’effleurer en tirera aussi profit.

Venterniers et coquillards

Venterniers et coquillards ne sont pas quasi-synonymes, mais figurent peut-être à proximité dans un dictionnaire analogique. En son Cabinet de curiosités (vous trouverez en ligne sa projection virtuelle), il nous fut expliqué, par l’artiste Bmz Sorcier Coloriste, qu’au temps de François Villon, les coquillards se déguisaient en pèlerins de Compostelle pour vendre des coquilles à la sauvette. Quant aux venterniers, ils risquaient souvent les assises pour avoir commis effraction en réunion et par escalade. Un gag de journaleux consistait à recueillir auprès de chacune des consœurs et chacun des confrères des mots qu’on qualifie aujourd’hui d’improbables à placer dans un article, si possible d’actualité (pour moi, ce fut la conférence d’un semi-escroc de la finance qui se lançait en politique – non, en 1980, Emmanuel Macron était trop jeune pour l’envisager, la confusion s’exclue d’elle-même). Des mots genre ornithorynque, pour n’en mentionner qu’un trop aisé à caser. Théoriquement, le projet d’Éric Poindron est de vous faire réagir à ses questions en une minute, sans le moindre chronométrage. Cela n’a aucune importance (prenez au besoin tout votre temps). Mais vous pouvez en faire un jeu de société, aussi exquis qu’ectoplasmique, en vous mettant à plusieurs pour dénicher des mots dont vous imposerez l’emploi à qui se retrouvera devant le blanc de la page.

De courts textes à lire d’abord

Avant de vous lancer à faire de votre imagination la pierre de touche de vos questionnements (sur par exemple le désir de posséder un animal empaillé, l’une des propositions de Poindron), je vous engage à lire préface, postface, collophon, et la présentation de l’ouvrage par Edward Gauvin, auteur, animateur de la Weird Fiction Review, soit la Non-Denominational Source for the Weird, ainsi que les nota bene ou post-scriptum qui émaillent les pieds de diverses pages. Car l’ouvrage est aussi un livre, un essai, et, au-delà du roman, la littérature, enfin, la bonne, l’authentique, est truchement pour se remémorer et recomposer le passé afin de se projeter vers le futur. J’incite même à préserver cet Étrange questionnaire d’Éric Poindron en l’état et de reporter ses réponses sur le devenu ancien (et rare) Nota bene pour une année des éditions Presses Pocket (qui n’est autre qu’un livre blanc peu maçonnique, en fait un carnet type Moleskine doté d’un titre et d’un texte tronqué en couverture). Les plus ambitieuses et les plus téméraires tenteront de combiner leurs réponses en un roman ou un récit que, peut-être, les éditions Les Venterniers publieront.

Bel ouvrage

Par ailleurs, cet opuscule est un keepsake abordable (14 euros), que tout amateur, toute férue de littérature prendra plaisir à recevoir. La couverture, d’Isla Louise, est à déployer, la mise en pages et le gris typographique sont plaisants, et le format (10,5×21 mm) autorise à laisser dépasser de sa poche, en gage d’un éventuel engagement de conversations. Ce sera peut-être aussi, pour les bibliophiles, un précieux ou pépère investissement (ce sera selon le ou les retirages). Très certainement aussi une invite à lire les autres livres, romans ou essais d’Éric Poindron. En prière d’inséré est suggéré « emportez-le dans vos cercles d’amis, il deviendra vite l’invité raffiné de toutes les réceptions » (et perceptions insolites, ajouterai-je), ce qui vous vaudra de distinguées salutations. En périphérie de la sphère de couverture, notez cette esperluette italique ornée séparant Wunderkammer & confessionnal. De quoi vous porter à (re)visiter en ligne les divers wunderkammern (cabinets de curiosités), soit les kunstkammern (arts), schatzkammern (trésors, exceptions), rüstkammern (objets historiques), &c. Il s’agit parfois d’un « simple » meuble (de bonne taille et souvent à complications, tiroirs à double fond, niches subreptices, glissières et coulisses dissimulées…), comme celui de Mark Dion, à la Tate Modern (Londres), souvent de pièces, salles, si ce n’est enfilades ou labyrinthes de locaux. Celui d’Éric Poindron est aussi gouvernemental, mode kitchen (privé, officieux, voire occulte), mais c’est une toute autre histoire. L’Étrange Questionnaire vous en offre une clef, celle d’un royaume onirique liant sial, sima et firmament, déliant votre imagination (merci à Bmz Sorcier coloriste et à Natacha Giafferi-Dombre, spécialiste du vodou haïtien, de m’en avoir fait entrevoir la cachette). Car l’ouvrage a portée initiatique, valeur de jeu de piste. Lancez-vous, élancez-vous… Allez, je file vers un autre François, en me remémorant Aragon (« Et nous dirions Vilon comme tout le monde, si François Villon ne s’était prémuni contre notre ignorance en faisant rimer son nom avec couillon »).