Il y a le marronnier de printemps (la floraison des marronniers d’Inde), d’automne (la chute des marrons), d’hiver (Noël-Noël, réveillons, gueule de bois), et bien sûr d’été (perdre des kilos avant la plage, dernières places en colonies de vacances…). Soit le sujet bateau, rebattu, récurrent. Dans la catégorie estivale, chaque année, l’espadrille basque réinventée… J’ai voulu vérifier. L’innovation m’a surtout paru consister à se départir de la forme et des matériaux traditionnels pour présenter des chaussures estivales très semblables à d’autres. Mais faut-il s’en plaindre ?

Déjà ? Quand j’ai vu, dans Le Vif (.be), ce titre rabâché « Le Pays Basque réinvente son espadrille », je me suis demandé si l’actualité belge en était déjà aux étiages aoûtiens les plus bas…
En quelques décennies, je me suis rendu compte que l’espadrille se réinventait sans cesse mais j’avais fini par sauter ce type de titres, me dispensant de lire, à de rares exceptions près (par ex., des articles économiques sur la production, l’emploi…).
Car la mode, si vous me retrouvez régulièrement sur Come4News, ce n’est guère mon dada.

 

Vaguement désœuvré (ce qui est consubstantiel au journalisme, car on attend une réponse, qu’un communiqué tombe, qu’une réunion se termine… toutes pauses à rattraper parfois jusqu’à point d’heure), j’ai parcouru les quelques paragraphes, très mal illustrés d’une photo valant contresens : les espadrilles présentées, hormis leur couleur rouge un peu pétante (les bleues ou noires furent longtemps seules disponibles), étant toutes pareilles à celles que je chaussais voici… une cinquantaine d’années.

Ah, les espadrilles ! Pratiques, car légères, à glisser dans les bardas des jeunes colons… peu encombrantes. L’ennui, c’est que, au départ, le gamin va les porter pieds nus et ressentir comme une gêne (la corde de la semelle lui rentre dans la voûte plantaire), avant de suer copieusement des pieds, de sauter dans des flaques, &c. Certes, elles se lavent. Mais qu’elles pouvaient puer, et finir par être, de l’intérieur, glissantes de crasse ou boue, ou vase accumulée.

Cela étant, je suis bien évidemment pour les productions des terroirs ou traditionnelles des diverses régions européennes, ne boudant même pas à l’occasion l’andouille de Vire (mais restant très chauvin et attaché à celle de Guémené). Va donc pour l’espadrille réinventée…

Le Vif, où l’on avait dû ne recevoir que deux dossiers de presse, car je pense finalement, vu le reste de l’actualité, cet article découle plus d’une campagne de com’ que de trous à boucher dans une rubrique, ne mentionnait que deux marques.

Je suis donc allé en trouver une troisième, Espasoule (« l’authentique espadrille du Pays Basque »). Authentiques, les Espasoule ? Certes, il en reste. À l’ancienne. Mais toutes les autres m’évoquent davantage des mocassins ou des chaussures de sport (lacées), ou des sandales de péplums (avec l’anachronisme des semelles à talons compensés). Cela étant, ce n’est pas déplaisant, et les ajourées pour dames, les plus chères (40 €), sont assez seyantes. Les premiers prix sont inférieurs à 7 € et j’avoue ne pas comprendre que le modèle genre tong soit quasiment un tiers plus cher… Mais surtout, comme chez la concurrence, les toiles rayées, genre parasols de naguère, semblent tenir le haut de la pente pyrénéenne…

Chez Art of Soule, qui privilégie la mention « made in France », stupeur. La semelle est en eva (un synthétique éthyle-vynyle d’acétate), et une « première amovible » en cuir permet de ne pas déraper dans le chausson, aux stries pimpantes. Comptez dans les 45 € pour retrouver, ainsi déclinée, « toute l’authenticité du Pays Basque ». La gamme des classiques est à moins de 20 € et j’imagine que l’ajout d’une étiquette apparente « justifie » ce triplement du prix d’un modèle basique.

Chez Prodiso, nouvelle surprise. La semelle est restée traditionnelle, mais le chausson est en cuir, style mocassin ou lacé. Cela étant, pour moins de 30 € (modèle masculin), cela semble bien chaussant. Là aussi, la traditionnelle subsiste à petit prix (moins de 8 €). Côté femmes, nombreux modèles à talons et brides en toile. Avec broderies faites mains sur divers modèles.

Chez Pare-Gabia, on ne prétend même plus fabriquer des espadrilles, mais une recherche Google sur ce nom générique vous conduit nonobstant à ce site basque…

Il n’est point d’espadrille que basque puisque des catalanes, aux couleurs occitanes, ou des vigitanes (déclinaison voisine) sont proposées sur divers sites. La vigitane à talon élastique (caoutchouc), de Création catalane, connaît assurément un succès certain puisque certains modèles sont en rupture de stock.

Lu quelque part aussi que l’espadrille serait la « it-shoe » de cet été. Sauf que, là encore, on mêle un peu toutes les matières, toutes les formes, et que, hormis une vague évocation de cordage, je ne vois plus trop la filiation ainsi revendiquée.

Bref, d’accord, la réinvention est bien là, au rendez-vous des fabricants authentiques (et des importateurs, ou des quasi « usurpateurs », comme Les Tropéziennes).

Bah, il n’y a pas de mauvaise publicité tant que le nom reste bien orthographié, disait Barnum… On trouvera donc peut-être bientôt des spadrilles, des cpadryes ou je ne sais quoi… Au final, un seul conseil : pour les plus chères, attendez peut-être les soldes.