Un  réalisateur qui révolutionne les clichés et abolit les les images de marque .

 

LES YEUX DE SA MÈRE de  Thierry  Klifa…

Enfin un réalisateur qui déploie à la fois agressivité et affectivité vis à vis des images qu’il met en place. J’ai investi sur ce film et, lors de la première, dès les premières images, je me maudissais croyant être tombé dans une représentation voisine des Petits Mouchoirs de Guillaume Canet, ce film dont la stupidité le dispute à l’angélisme —voir mon article à ce sujet.

 

 

Une présentatrice du journal télévisé, un écrivain et une danseuse étoile incarnés par Catherine Deneuve, Nicolas Duvauchelle et Géraldine Pailhas, telles sont les icônes que propose le réalisateur dès le début, ces modèles de la petite bourgeoisie que Thierry Klifa travaille au corps, fissure et détruit avec maestria dans un exercice de déconstruction filmique jubilatoire.

Thierry Klifa s’est fait représenter dans cette intrigue sous les traits de Nicolas Duvauchelle qui allie à la beauté du diable une énigme sans cesse différée. Les questions posées par le réalisateur sont d’importance : de quel droit s’infiltrer dans l’intimité des êtres ? Par quelles manœuvres, dissimulations, manipulations est-il possible de révéler ce qui sous-tend la constitution —souvent fallacieuse— de l’image de marque ? La représentation sociale stéréotypée de l’écrivain, voire du réalisateur, souvent idéalisée, en prend un coup dans la mesure où les motivations ont trait à la révélation de secrets familiaux, à l’argent lié à cette délation et à l’anonymat du délateur. Ces connotations morales ne sont présentes que pour légitimer apparemment la déconstruction.

Le rôle tenu par Nicolas Duvauchelle tient de la méprise et de l’énigme. Il n’est jamais révélé à son entourage par son activité délictueuse, excepté pour le spectateur, d’où l’ambivalence du personnage que celui-ci perçoit de celui-là. Cette ambivalence, l’acteur la crée magistralement, il en joue doublement avec tous les protagonistes du film provoquant chez le spectateur le désir indissociable du rejet. Le réalisateur le filme nu, la peau tatouée de signes divers, découvrant ainsi une écriture incompréhensible qui leste le personnage d’une énigme liée au corps même.

Cette absence dans la présence, Nicolas Duvauchelle en joue admirablement jusqu’à ces évanouissements qui n’ont pas pu ne pas m’évoquer les chutes dans le sommeil du héros de My Own Private Idaho de Gus Van Sant. Ainsi ce modèle d’écrivain, cette icône, échoue dans sa quête, s’écroule sous nos yeux, se refermant sur son énigme qui n’est en fait que le vide qu’il recèle et que lui révèle de façon lapidaire, le fils de Maria —Jean-Baptiste Lafarge—, amoureux de lui.

De la même façon, Catherine Deneuve, dans le rôle de la présentatrice du journal télévisé est dépouillée peu à peu de son aura. On lui substitue une nouvelle icône, plus jeune. Elle est comme expulsée de son image, renvoyée à l’oubli et à la vieillesse. Il en est de même pour la danseuse étoile, Maria —Géraldine Pailhas—, sa fille, accidentée violemment sous les yeux de sa mère. Il y a donc chez Thierry Klifa un exercice de déconstruction des icônes qui rend son film passionnant.

On a parlé à son propos des références filmiques de Pedro Almodovar, Claude Sautet, Douglas Sirk, Gus Van Sant. Je les signale pour mieux dire qu’il n’en est rien, ces considérations sont très pédestres. Je crois que la visibilité de ces références représente une convention qui n’a rien à voir avec la réalisation de Thierry Klifa. Le titre du roman de Mathieu-Duvauchelle ne s’intitule-t-il pas Palimpseste ?  A savoir qu’un palimpseste est à l’image de la pellicule, il s’agit d’un parchemin dont on a effacé l’écriture première afin d’écrire un nouveau texte.

Il y a un triptyque séquentiel dans le film où Thierry Klifa montre son savoir-faire, en quelque sorte le morceau de bravoure du film. En effet, la chute de la présentatrice est montée en alternance avec la chorégraphie — admirables moments de grâce— de sa fille Maria, et avec le combat de boxe de son petit-fils —Jean-Baptiste Lafarge—dans une modeste ville bretonne. Triple séquence qui n’est pas sans m’évoquer celles célèbres de Michaël Cimino.

Après avoir démonté pièce à pièce les éléments filmiques, après les avoir subvertis, après avoir démantelé les images de marque, après avoir fait rupture dans le tissu relationnel et isolé les protagonistes les uns des autres, à la fin, Thierry Klifa les ressoudent à l’intérieur d’une voiture, reconstituant un groupe au destin aléatoire mais dépouillé de toutes les prétentions socioculturelles sous les yeux de l’écrivain réalisateur.