Ce texte fait suite à l’article écrit le 6 avril 2012, par Eelisavaleroy, et intitulé "Une nouvelle force industrielle", ainsi qu’aux commentaires y relatifs
(cf. http://www.come4news.com/une-nouvelle-force-industrielle-682781#pc_229875).
Il se divise en deux volets, le premier étant consacré à l’examen lui-même des rapports entre le monde politique et celui des affaires, et le second à la situation des fonctionnaires.
A) Examen des rapports entre le pouvoir politique et le monde des affaires
Si nous regardons la France depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, quels furent – je pose la question – les gouvernements les plus corrompus sous les présidents suivants : Auriol, Coty, De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterand, Chirac et Sarkozy.
Quant à moi je l’ignore, mais je pense que l’occupation des postes importants, aux plus hauts échelons de l’Etat et de l’économie, a dépendu, durant les cinquante dernières années, non seulement de l’appartenance à une famille politique (voire même à une secte, songeons aux Francs-Maçons) – chose qui existe depuis longtemps – mais également d’une formation spécifique (comme énarque, notamment).
S’ajoute à cela le fait que le rapport à l’argent a changé de fond en comble, depuis la mondialisation, dès les années 1980, des rapports de production et d’échange. Et ce pour deux raisons : d’abord en raison de la privatisation des entreprises publiques et la délocalisation subséquente des unités de production des nouvelles unités privatisées dans les pays à bas salaires; et ensuite parce que les gens d’aujourd’hui veulent s’enrichir au maximum dans un temps très bref, chose qui ne peut se faire qu’à travers la spéculation boursière; ou, comme ce fut le cas au moment de l’introduction du néolibéralisme, grâce à la privatisation des entreprises publiques par des gouvernements dont les membres se sont enrichis à cette occasion.
Si donc il existe, depuis très longtemps, en France, une oligarchie où s’entremêle le monde de la politique et celui des affaires, celle-ci est de plus en plus orientée vers la spéculation. J’entends par là que si le capitaliste-épargnant-investisseur se rémunérait, autrefois, sur l’intérêt de son épargne ou sur le profit de son investissement, il obtient, aujourd’hui, l’essentiel de ses gains sur la différence des cours boursiers (à la hausse comme à la baisse, ce qui explique qu’un dirigeant peut encaisser des bonus faramineux y compris quand sa propre entreprise fait des pertes, puisqu’il joue sur cette baisse, précisément, au moment de spéculer – et ce même si une telle action est illégale puisqu’elle relève du délit d’initiés).
Or tout cela est possible car le Big Boss se paie une partie de ses bonus avec des stocks options. On dira peut-être que le personnel de l’entreprise en bénéficie lui aussi, parfois, ce qui le pousse à être le plus performant possible.
Et cependant, il est une chose que les gens extérieurs à l’entreprise ignorent la plupart du temps : à savoir que les seules personnes qui, au sein de l’entreprise, connaissent véritablement sa situation réelle, sont les membres de la direction : tous les autres (personnel, actionnaires, et, si l’on regarde à l’extérieur de l’entreprise, ses autorités de tutelle s’il s’agit de l’Etat, ou les journalistes) ignorent la situation réelle d’une entreprise. Et parce que les directeurs de l’entreprise peuvent être des escrocs (voir, par exemple, à cet égard, la faillite de la société Enron aux Etats-Unis) ,la direction de l’entreprise va inviter son personnel à être payé en titres de l’entreprise, tout en sachant que leur cours va s’effondrer dans quelques semaines.
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Pour en revenir à la France, il est bien clair que les imbrications, en France, entre le monde de la finance et celui de la politique ne datent pas d’aujourd’hui, puisque déjà au XIXe siècle, la Haute Banque (représentée par les Rotschild, Perier, etc) était de connivence avec les hautes autorités de l’Etat, et notamment au moment de financer ses grands projets d’investissement.
Même chose, après la Seconde Guerre Mondiale, puisque durant cette période l’Etat joua un rôle actif à la fois dans la production et la distribution des richesses, et ce dans un environnement marqué par l’intégration de la France, non seulement dans une Europe en train de se faire, mais dans un monde de plus en plus dérégulé sur le plan économique.
Quant au gouvernement français lui-même, si une distanciation me paraît avoir toujours existé, entre le Président de la République et ses administrés (et qui n’a jamais été aussi grande que sous Charles de Gaulle), ce qui différencie, à mon avis, le gouvernement Sarkozy des autres, c’est cette tentative de rapprochement (ou de pseudo-rapprochement), de la part du Président d’une part, et, d’autre part, cette modernité, ce kitsch ou ce glingling que l’on ne trouve nullement chez ses prédécesseurs (à telle enseigne que certains de ses membres sont, de mon point de vue, des parvenus sans scrupule, et qui n’ont, si ce sont de jolies nanas avec leur joli minois, que leur joli petit cul et leur opportunisme intéressé à faire valoir pour se gonfler personnellement les poches et celle de leur famille – qui est ici une famille personnelle et non la famille politique à laquelle tout ce joli monde appartient).
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Maintenant, si l’on regarde les choses avec un peu plus de recul, on peut constater :
1) que le rêve d’une gauche au pouvoir et travaillant pour le peuple n’a duré que durant les deux premières années du premier septennat de François Mitterand, et que, grâce à lui, tout une gauche caviard a pu truster les bons postes et s’empiffrer grâce à son accès à tous les postes à responsabilité – en quoi elle a démontré, en pareille circonstance, ne pas être meilleure que la droite;
2) que les deux grands partis de France que sont, aujourd’hui, l’UMP et le Parti Socialiste : a) se font arroser, avant, pendant, et après les élections, par les patrons, ou les entreprises, ou tel groupement patronal, sur des caisses noires situées dans les paradis fiscaux (lesquels, pour cette raison même, ont encore de beaux jours devant eux); b) se servent, toutes les fois qu’ils sont au pouvoir, des marchés publics pour faire leur pelote grâce à de fausses factures ou à des adjudications illégales (toutes choses qui, pour être contraires à la loi, n’en existent pas moins – ce qui prouve que la détention du pouvoir corrompt les gens, et notamment quand ceux-ci sont des parvenus);
3) que les PDG des grands groupes privés étant du même bord, ou du même monde, que les dirigeants politiques, tout ce beau monde contrôle les leviers de pouvoir aussi bien dans la politique que dans l’économie, ce qui leur permet de s’assurer une jolie rente de situation (les uns en tant que PDG des grandes entreprises, et les autres comme ministres ou grands commis de l’Etat);
4) s’ajoute cela une spéculation mondiale qui permet, si les affaires dans ce secteur d’activité sont bien menées par les dirigeants des grands groupes d’affaires, à ces mêmes dirigeants d’accumuler de véritables fortunes; des dirigeants qui d’ailleurs se paient des bonus même si – ainsi qu’on l’a vu tout à l’heure – la situation de l’entreprise dirigée par eux se porte mal (ce qui présuppose qu’eux memes spéculent en bourse contre leur propre entreprise); tout en sachant que l’Etat viendra sauver l’entreprise en raison du risque systémique qu’elle représente, vu son importance, pour le reste de l’économie.
Et si l’Etat ne sauve pas les grandes banques ou les grandes entreprises industrielles en difficulté, faute d’argent pour le faire, ce sont des capitaux étrangers qui s’en chargeront. Avec ce résultat que des pans entiers de l’économie française passeront en mains étrangères.
5) Pour le reste, si, comme dans le cas de Total, les grands groupes financiers ou industriels français ont une vocation internationale (dans le pétrole, le gaz, etc), une partie de l’argent encaissé par eux le sera sur des caisses situées, à l’étranger, dans les paradis fiscaux, lesquelles pemettront le financement occulte des partis politiques et des campagnes menées par eux.
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A part cela, il existe aussi, en France, une ancienne noblesse et une ancienne bourgeoise qui vit sur la rente de son patrimoine (terres, actions, obligations, biens immobiliers, ect.) et qui participe elle aussi, en échange de bas taux d’imposition sur les gros revenus ou la fortune, au financement des campagnes des partis politiques.
En résumé,on peut considérer que la France a, à sa tête, aujourd’hui, deux sortes de riches : les anciens riches (dont l’exemple le plus frappant, est, aujourd’hui, Mme Bettencourt, héritière de l’Oréal reprise par Nestlé) et les nouveaux riches.
Or ces nouveaux riches, en France, ne font pas fortune de la même façon, par exemple, qu’aux Etats-Unis puisque là les Bill Gates, Steve Jobs, et Cie y créent des business dans l’informatique, ou dans d’autres secteurs industriels grâce à un fort esprit d’entreprise; alors qu’en France, par comparaison, l’esprit d’entreprise consiste principalement, pour les dirigeants des grands groupes : a) à délocaliser les unités de production dans les pays à bas salaire toutes les fois que les possibilités le permettent; b) à serrer au maximum les salaires du personnel et à augmenter très fortement les cadences de travail avec un volume restreint de main d’oeuvre; c) à puiser dans la caisse de l’entreprise, voire à endetter celle-ci au maximum si les opérations financières menées (notamment dans le domaine de la spéculation) sont en train de tourner court.
B) Situation des fonctionnaires
En règle générale, la question est de savoir si les fonctionnaires sont plus compétents et mieux payés (comme enseignants, infirmiers, médecins, ingénieurs, cheminots, etc . – puisque tout employé d’une collectivité publique est, d’une certaine façon, un fonctionnaire) lorsqu’ils travaillaient dans le secteur privé plutôt que dans le secteur public.
A cette question, certains répondront que la privatisation des services concernés ne peut qu’améliorer leur efficience, et donc aussi le revenu des prestataires de service. Mais quant à moi, je ne suis pas de cet avis, à condition que le gouvernement d’un pays ne vide pas l’Etat de sa substance en privatisant tous les services d’un côté et en allégeant les impôts des riches de l’autre.
Je vais vous donner un exemple qui fait sourire les gens à chaque fois que j’en parle : J’ai vécu en Suisse à une époque où étudier dans une école publique était plus difficile qu’étudier dans des écoles privées, au motif que les diplômes du secteur public étaient d’un niveau si élevé (je pense ici au baccalauréat), que les enfants des riches qui ne parvenaient pas à suivre les cours dans les écoles publiques, étaient envoyés par leurs parents dans des écoles privées afin qu’ils puissent compenser leur retard moyennant finances.
Cela prouve donc que l’enseignement public était d’un très bon niveau (aujourd’hui je n’en sais rien), et que donc les enseignants dispensant cet enseignement l’étaient aussi.
Mais si vous videz les caisses de l’Etat, il est évident que les enseignants, ou bien iront dans le privé, afin de mieux gagner leur vie s’ils en ont la possibilité; ou bien seront précarisés s’ils ne peuvent pas le faire et si l’Etat n’a plus d’argent pour les payer convenablement.
Et moins l’Etat aura d’argent dans ses caisses, plus, en corollaire, il existera, en son sein – si les autorités désirent que l’Etat se gère comme une entreprise privée – des garde chiourmes chargés de contrôler que les gens de terrain soient performants, et qui les licencieront s’ils ne le sont pas.
Ce qui parfois n’a rien à voir avec la qualification professionnelle de l’enseignant, puisque c’est là un moyen – déguisé – pour l’Etat, de dégraisser ses effectifs.
Et ce qui vaut pour l’enseignant vaut également pour le médecin, l’infirmier, le technicien ou l’ingénieur de France Télécom. Etc. etc.
Or ce garde-chiourme, quand bien même il serait une parfaite nullité dans le secteur qu’il est chargé de contrôler, n’en est pas moins payé par l’Etat en raison de l’économie qu’il lui fait faire de cette façon.
ET le système de devenir totalement vicieux quand ceux qui veulent monter dans la hiérarchie liciencient un maximum de subordonnés – quitte, pour cela, à réorganiser les unités qu’ils dirigent – et en faisant travailler plus ceux qui continuent à oeuvrer au sein de l’unité concernée.
J’ajoute que la réorganisation des unités ne sert, le plus souvent, qu’à cela, et pas du tout à améliorer les compétences de chacun.
Quant au pantouflage de ceux qui se ramassent de jolis salaires à ne rien faire, s’il est bel et bien une réalité – comme le soulignent certains intervenants dans les articles publiés sur C4N -, force est néanmoins de constater qu’il est en diminution. De même, d’ailleurs, que le doublement ou le triplement des mêmes activités au sein d’une meme entreprise ou d’une même adiministration.
On précisera qu’un tel phénomène ne peut valoir que parmi des groupes publics ou privés suffisamment élargis pour permettre aux directeurs de tel ou tel département, ou de telle ou telle unité (police, gendarmerie, sécurité du territoire au sens large, etc.) de "se tirer dans les pattes" en marchant sur les plate-bande du voisin, puisque chaque responsable désire avoir sa part du gateau, ainsi qu’une notoriété qui dépendra forcément de la largeur du champ de compétences qui lui a été attribué.
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Ceci étant, les temps me paraissent avoir changé à propos de la manière dont les entreprises ou les banques ayant pignon sur rue engagent leurs cadres supérieurs.
A cet égard je voudrais rappeler ici qu’à une certaine époque, en Suisse, un cadre de haut niveau, pour être engagé dans une grande banque ou une grande entreprise, devait : a) grader à l’armée (qui, en Suisse, est, mis à part quelques services très spécialisés, une armée de milice), et b) être du bon parti politique (qui était à cette époque le parti radical).
Or les entreprises ou les banques se sont rendu compte, une fois plongées dans une concurrence opérant désormais à l’échelle mondiale, que le temps perdu par ces cadres, durant les nombreuses semaines passées à l’armée (et bien qu’elles fussent payées par des assurances spécifiques plutôt que par l’entreprise elle-même) représentait une charge pour elles puisque ceux-ci ne généraient aucun revenu, durant tout ce temps, pour le compte de l’entreprise.
Tant est si bien qu’avec le temps, les dirigeants de ces entreprises en sont venues à engager, comme cadres supérieurs, des gens au bénéfice de diplômes spécifiques (notamment en gestion d’entreprise).
Et pareillement des administrations publiques, puisqu’elles aussi sont gérées, depuis récemment, selon les mêmes normes que les entreprises privées.
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Pour autant – et je me permets d’insister sur ce point – il n’existe pas que des effets positifs associés aux nouvelles méthodes de gestion, que ce soient dans les entreprises privées ou publiques – ou, sur un autre plan, que soit dans l’industrie, la banque-assurance, ou l’administration.
Prenons l’exemple d’un postier : chaque postier, aujourd’hui, doit faire sa tournée, le matin, en y consacrant tant de minutes, lesquelles ont été chronométrées sur la base d’un système stakhanoviste.
Mais le problème est que certains postiers étant aujourd’hui des intérimaires qui ne cessent de permuter, d’un jour sur l’autre, durant les tournées qu’ils ont à effectuer, ils ne connaissent, au départ, ni les personnes à qui ils doivent livrer lettres, recommandés, argent, ou paquets, ni les lieux (rue, immeuble, étage de l’immeuble, appartement de l’étage) où ces personnes résident.
Or à l’époque, quand la Poste était un servire public et que le postier était un employé à vie, il connaissait toutes les personnes et leur lieu de résidence, ce qui lui faisait gagner du temps au moment de la distribution du courrier ou des paquets.
Voilà un exemple qui montre que le nouveau management ne tient nullement compte des effets positifs associé à un ancien système qui avait, certes, ses aspects négatifs.
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Nous, notre postier, qui était un employé à vie et connaissait tout le monde, on l’avait baptisé pastis ! 😀
Post d’Hasta siempre.
Claude bel effort !
immarcescible élan… arraisonné sans fin, voire éperonné, ou sabordé, par notre réaction tutélaire: conservation substancielle de l’être (lire en substance lessivé au lavoir de l’avoir) qui, par être submergé, (se) plonge en son paraître, et se circonscrit, en apnée, dans le formol de son existence bocalisée – anaérobie patente !
Considérons : Misère du présent, richesse du possible. A Gorz. Ed Grasset
ô plaisir
∂e l’insoutenable légèreté de l’être … ô ludion en suspension , apesenteur latente !
sourire en superficielle profondeur
…
dis-moi, GADLU :
ma parole ,
tu viens du triangle des Bermudes !
Post pour le moins circonstancié (sans euphémisme) d’Hasta siempre.
Le compas dans l’œil… l’acuité des borgnes dépasserait-elle celle des non-voyants ! Non-voyants qui, m’appert-il, portant à eux seuls l’horizon indifférencié de notre humanité, sont seuls visionnaires de notre née_cécité.
A l’équerre du plan d’eau la voilure Yves, avant perte de flottabilité, et/ou trou d’air.
De plus, préciserais-je : toute triangulation te donne la zone respectable au sein de laquelle, si tu restes cils en cieux, te subsumant ainsi à l’art de l’ignorance mystifiant à lui seul ta propre sollicitude, tu peux considérer toute immersion factuelle comme non appréciée, ou non prise ou déterminé, à l’insu de ton plein gré !
Mais dites euh… Perdons-nous toute latitude si l’horizon devient à la fois le zénith, le nadir, le levant et le couchant… ou sombrons-nous à corps perdu enlacé dans les interstices de l’instant à la recherche d‘un espace-temps imaginé, sondant là, quelles que soient les mers : des sargasses à la mer rouge, de la mer rouge à la mer noire, de la mer noire à la mer morte, de la mer morte… ah là : médite ! terra née (non) haine : abysse de toute conscience, l’insoutenable légèreté de l’être encor bardé de tout le poids du temps, et de ses obsessions.
sourire
…
[i] IMAGINONS un Français que la vie n’a pas trop chahuté. Au réveil, il domine. Une femme de ménage a récuré l’émail de sa douche et repassé ses cravates. L’odeur du café que son épouse a acheté, préparé et servi vient lui chatouiller les narines. Il inhale et sourit… Quelques heures plus tard, sur son lieu de travail, les choses changent. Au moment d’entrer dans l’ascenseur, il cède le passage à son directeur. Intérieurement, il se chapitre : la conversation qu’il estime devoir engager avec lui s’essouffle. Retrouvant l’intimité de son bureau, il ignore le jeune stagiaire qui vient de le saluer.
Au restaurant, dans les salles de sport ou lors des repas de famille, il se sent tout-puissant. Lorsqu’un policier l’arrête, que le chômage menace ou qu’il s’endort au théâtre, le voici redevenu fragile. Dominés un instant, dominants le suivant, comme ce monsieur, nous incarnons et subissons tour à tour un pouvoir diffus, qui émane moins de nos qualités propres que de la nature des espaces sociaux que nous parcourons. A la cuisine comme à l’usine, à l’école ou au tribunal, une même logique : des environnements distribuant leurs hiérarchies internes aux individus qui les traversent. Des lieux de pouvoir dotant brièvement certains du pouvoir des lieux.
Mais ce constat n’en invalide pas un autre. Des ministères à l’espace conjugal, des salons particuliers aux rédactions des grands journaux, certains hommes (et, dans une moindre mesure, certaines femmes) dominent plus souvent que les autres. Cette propriété émanerait-elle de facultés particulières ? Il leur arrive de le croire : « Les privilégiés répugnent à penser qu’ils sont seulement des privilégiés, écrivait le sociologue américain Charles Wright Mills. Ils en viennent vite à se définir comme intrinsèquement dignes de ce qu’ils possèdent ; ils en viennent à se considérer comme une élite “naturelle”, et même, en fait, à voir leurs biens et leurs privilèges comme des extensions naturelles de leur moi supérieur (1). »
Soixante ans plus tard, une crise financière ravage les sociétés occidentales. Chômage, régression sociale, pauvreté… Cette catastrophe ne fauche pas les vies, elle les brise. La question de Mills n’en demeure pas moins d’actualité. Mais sa réponse ? [/i]
[i]En 1998, le sociologue Manuel Castells proclamait que la mondialisation avait changé la donne. « Il n’existe pas, ni sociologiquement ni économiquement », de classe dominante, expliquaitil, suggérant que, dorénavant, « un capitaliste collectif, sans visage, composé de flux financiers gérés par des réseaux électroniques (2) » présiderait au destin du monde. Bref, qu’une domination transnationale et numérique avait remplacé celle d’hier. « Pluriel », le pouvoir serait ainsi devenu « pluraliste » puisque nul ne rêverait de faire converger des intérêts aussi distincts que ceux portés par les milliards de « flux » que décrit Castells. Et pourtant…
DEPUIS des années, une banque fournit à l’administration américaine ses plus influents fonctionnaires, chargés – notamment – de la libéralisation des marchés financiers. Elle conseille les gouvernements endettés (comme la Grèce, qu’elle a aidée à maquiller ses comptes), mais également leurs créanciers. Ses dirigeants ont précipité la crise des subprime en abreuvant les investisseurs de titres « pourris », puis se sont assuré de plantureux profits en pariant sur leur baisse. Cette banque a un nom, Goldman Sachs, et une adresse : 200 West Street à New York.
En Europe, une institution dont les membres ne sont pas élus vient d’être dotée du pouvoir de modifier les budgets de pays souverains, dans l’optique de leur imposer le respect de règles qu’elle a elle-même préalablement édictées. Cette institution a un nom, Commission européenne, et une adresse : 200, rue de la Loi à Bruxelles.
Mais les mythes visent moins à décrire la réalité qu’à l’adapter à certaines croyances. Ce n’est pas la nature, mais leur naissance, leurs réseaux et leur patrimoine qui ont placé ces personnes aux postes les plus éminents des institutions qui structurent nos sociétés. On parlait hier de « bourgeois », désormais plus volontiers de « décideurs ». Ont-ils pour autant changé ?
En 1956, Mills souligne la responsabilité politique de ce groupe. Alors que le monde panse les plaies de la seconde guerre mondiale, l’intellectuel interroge : que s’est-il passé ? Faudrait-il lire l’histoire comme une « dérive sans gouvernail » et réduire le conflit à un simple « accident » ? Non, aff irme Mills, il existe des responsabilités. Le cours des événements découle en effet de « décisions humaines », prises par ceux qui « peuvent réaliser leur volonté même si d’autres s’y opposent » – une « élite au pouvoir ».
En France, une école a formé un quart des membres du gouvernement actuel, le président de la République, la plupart des sondeurs et analystes médiatiques. Cette école a un nom, Sciences Po, et une adresse : 27, rue Saint-Guillaume à Paris
Mais il arrive qu’un autre pouvoir se dresse, distinct des précédents et susceptible de les renverser. Lui aussi porte un nom, le peuple, quand il prend la Bastille ou la place Tahrir. Il n’a alors qu’une seule adresse : partout. [/i]
sourire…
Un nom et une adresse
Par Benoît Bréville et Renaud Lambert
« Comprenons que l’économie, c’est la vie. Il y a des décisions qui s’imposent tous les jours. Et qui doivent être prises en fonction de l’intérêt général… de l’entreprise. » Dominique de Villepin, alors premier ministre (sur Inter, 8 décembre 2005).
Centre d’appels, cabinet d’experts-comptables, manufacture et Industrie… Sur les lieux de production, le rapport de domination s’exprime simplement : certains commandent, d’autres obéissent. Peu d’individus iraient, naturellement, se poster sur une chaîne de montage pour répéter les mêmes gestes, respecter les mêmes cadences et produire des richesses qui profiteront à autrui. Mais la quête de profits, pour les uns, et la nécessité de « gagner sa vie », pour les autres, semblent fournir – du moins, pour l’heure – une justification suffisante à ce mode d’organisation. Un modèle managérial si satisfaisant qu’on l’applique désormais au pilotage de la société.
« Comprenons que l’économie, c’est la vie. »
A condition que l’économie soit au service des hommes pour assurer le partage et l’échange. Or telle qu’elle apparait dans ce portrait réaliste, elle est rouillée et verrouillée, elle ne sert que 25 % des français, les riches et ceux vivant confortablement, et à une échelle mondiale, peut-être moins de 5 %. Cette économie a fait de l’argent une monnaie de récompense (selon des critères imposés) de privilège et de profit, elle a favorisé l’inégalité et l’injustice, pour moi comme pour beaucoup, l’économie est à refaire!
En 1719, l’écrivain britannique Daniel Defoe donne naissance au personnage de Robinson Crusoé. Voyageur anglais, celui-ci fait naufrage sur une île située à l’embouchure de l’Orénoque, au Venezuela. Pour l’économiste Stephen Hymer, la vie qu’il se compose alors – chasse, agriculture et soumission de l’autochtone Vendredi – constitue une parfaite allégorie du mécanisme qui fonde le mode de production capitaliste : l’accumulation primitive.
Stephen Hymer. Economiste (1934-1974).
(Ce texte est une version abrégée d’un article publié par la Monthly Review en 1971)
Sourions… et indignons-nous de nous-même avant tout!
(Sur une île, au large du Venezuela)
LE PERSONNAGE solitaire de Robinson Crusoé a souvent inspiré les économistes : par ses qualités de robustesse, d’efficacité, d’intelligence et de frugalité, il incarnerait la capacité de l’espèce humaine à maîtriser la nature. L’épopée que raconte Daniel Defoe est pourtant également une histoire de conquête, d’esclavage, de prédation, de meurtre. Bref, de loi du plus fort. Que cet aspect-là du roman soit généralement occulté ne devrait pas nous surprendre puisque, comme l’observait Karl Marx, « dans les manuels béats de l’économie politique, c’est l’idylle (…) qui a de tout temps régné (1) ». Entre le Robinson Crusoé chéri par les économistes et celui du livre, il y a un gouffre aussi large qu’entre le libre-échange tel que l’enjolivent les manuels d’économie et sa réalité factuelle.
La théorie libérale du libre-échange repose sur le modèle du chasseur et du pêcheur qui s’échangent mutuellement les fruits de leur labeur, dans un lien spontané d’égalité, de réciprocité et de liberté. Or le commerce international – ou interrégional – s’exerce le plus souvent dans un rapport de subordination, et dans des conditions qui sont tout sauf pacifiques. C’est le commerce entre la métropole et l’arrière-pays, le colonisateur et le colonisé, le maître et le domestique. De même que le capital a besoin du travail pour prospérer, le commerce repose sur une répartition bien ordonnée des tâches : aux uns la conception, la planification, l’organisation, le profit ; aux autres, le travail. C’est parce qu’il est intrinsèquement inégalitaire dans sa structure et dans la répartition de ses bénéfices qu’il s’instaure et se maintient par la violence, qu’elle soit sociale (la pauvreté), symbolique (la socialisation contrainte) ou physique (la guerre).
Le processus d’accumulation capitaliste s’enclenche à partir de la rencontre de deux catégories de personnes : d’un côté, les détenteurs d’argent, désireux d’accroître leur capital en achetant à autrui sa force de travail ; de l’autre, ceux qui n’ont que leur force de travail. Une fois en marche, le capitalisme maintient cette séparation et la reproduit à une échelle toujours plus vaste. Mais, avant qu’il se dresse sur ses jambes, il doit d’abord prendre forme et donc en passer par une période d’accumulation primitive.
Dans la dernière partie du premier volume du Capital, Marx analyse le processus historique qui a conduit à la concentration des moyens de production dans les mains du capital et à son emprise sur les travailleurs. Il montre comment le travail salarié s’est propagé progressivement, par l’expropriation des populations agricoles, et explique en partie la genèse du capitalisme
sourire
…
« Sourions… et indignons-nous de nous-même avant tout! »
Après tout ne sont attachés à ce système qu’un petit nombre, du balais au carcher comment nous en défaire? L’Europe solidaire (« les indignés ») en guerre contre l’austérité est en bon terrain, quel pays pourrait se libérer le premier de la « zone euro »?