Les « Quatre de Forcalquier » vus par Yves Perrousseaux

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Le titre est un peu survendeur. Des « Quatre de Forcalquier », soit de Samuel Autexier et de sa sœur, Helena, et de François Bouchardeau et de sa compagne, Yves Perrousseaux ne connait vraiment que les premiers. Qu'ils soient des soutiens de Julien Coupat ne l'étonne absolument pas. Qu'ils se soient livrés à des menées subversives le surprend, qu'il s'agisse de menées terroristes le plonge dans un doute profond. Tout comme le maire de Forcalquier, tout comme de nombreux habitants, des voisines, des commerçantes et connaissances.

Tout d'abord, d'après ce que j'ai pu lire ici et là, ce mardi soir 19 mai 2009, il semblerait que la garde à vue de trois personnes interpellées lundi à l'aube près de Rouen soit prolongée. Elle peut durer jusqu'à 96 heures en matière de terrorisme, pour Tessa Polak, elle en avait duré 72. D'autre part, il semblerait aussi que de la ficelle ayant appartenu à Julien Coupat aurait été retrouvée au Canada. Cette histoire de bouts (de quelle longueur ?) de ficelle me remémore fortement celle qu'on avait retrouvé en perquisitionnant je ne sais lieu lié aux parents du petit Grégory, Jean-Marie et Christine Villemin, retrouvé mort dans le lit de la Vologne, rivière vosgienne. Comme l'avaient écrit divers titres de presse, cette ficelle « accablait la mère » et comme l'écrivait feue Marguerite Duras dans Libération, Christine Villemin était « coupable, forcément coupable ». Le doute doit profiter aux accusés, tel est mon point de vue pour situer d'où j'écris.
 
Il se trouve que j'ai serré la main à François Bouchardeau, le priant de transmettre mon bon souvenir à sa mère, Huguette, connue ou plutôt cotoyée dans des séminaires sur les droits des femmes, du temps du Parti socialiste unifié, et avec laquelle j'avais vaguement discuté du temps de son secrétariat d'État, puis une autre fois au téléphone au sujet de sa maison, HB éditions, et des femmes dans les métiers du Livre. Pour François Bouchardeau, avoir conversé avec lui au salon L'Autre Livre à Paris ne fait pas – encore ou déjà, comme on voudra – un suspect de complaisance envers des menées terroristes. Même si, pourtant, sur l'amicale pression d'amis de milieux littéraires, oui, j'ai pensé, écrit que Battesti était mieux à écrire des polars et romans noirs en France que détenu en Italie.
En revanche, je ne connais pas (mais bientôt on sortira peut-être des photos de moi en sa compagnie, peut-être aux Rencontres de Lure à Lurs, allez savoir…) Samuel Autexier ou sa sœur, Héléna. Peut-être, avec un tel prénom, est-elle suspecte d'avoir des accointances avec la Tessalonique (Macédoine grecque) où, dit-on, des gens interpellés à Rouen auraient rencontré Julien Coupat et des agitateurs autonomes allemands. Les journalistes, elles et eux aussi, vont à l'étranger, et se parlent aux bars de leurs hôtels respectifs. Il leur arrive de converser avec des Battesti (chez d'anciens condisciples d'école, passés au Monde ou ailleurs), soit des Italiens anciens de groupes gauchistes italiens, avec des gendarmes, des policiers, des juges, et même d'anciens officiers tortionnaires argentins, avec des Palestiniens, des Israéliens, &c. La fratrie Autexier a-t-elle fait autre chose que s'informer ? Les époux Bouchardeau ont-ils fait autre chose que de diffuser des tracts ? Oui, certainement, oui, cent fois oui, ils ont fait des livres, des revues, voire imprimé des tracts. Pour le reste, j'ignore totalement.
Tout comme Yves Perrousseaux.

Yves Perrousseaux ou l'érudit tranquille…

La photo date un peu. Depuis, Yves se remet d'un cancer (l'âge…), poursuit son histoire des caractères d'imprimerie (« je vais sans doute sortir, fin d'année ou début 2010, le second volume, et j'en réserve un troisième à Adverbum… c'est ma meilleure thérapie. » Directeur de collection aux éditions Adverbum, c'est un ancien éditeur, de manuels de composition et de mise en pages en particulier, et un auteur spécialisé en typographie. D'où sa présence aux Rencontres de Lure, car s'il est des Lursiens, c'en est un, et des plus éminents. Voyez son site : Atelier Perrousseaux éditeur .
Il résidait à Forcalquier, il réside toujours dans les environs.
Je ne connais pas ses opinions politiques, je le considère soit de centre-droit, soit de centre-gauche, mais surtout j'estime que c'est un homme pondéré, que la politique laisse plutôt froid. Je peux me tromper. Tout comme il peut se tromper au sujet de Samuel et Helena Autexier. Il le concède bien volontiers.

Voisins à Forcalquier

« De François Bouchardeau, je ne connais pas bien le cursus professionnel, mais il a produit quelques livres de bonne qualité, sur des sujets divers. Mais je connais très bien les Autexier, dont le père est mort voici quelques années. Nos maisons étaient distantes de 300 m au plus, nos enfants se fréquentaient. Samuel et Héléna ont à peu près le même âge que mes gosses. Donc, je les voyais très souvent. Samuel, pour moi, est resté un doux rêveur, qui a fini par se caser professionnellement tant bien que mal. Les mises en pages de ses revues, Marginales, ou des ouvrages sur lesquels il a travaillé, tiennent la route. Ce sont des anars un peu égocentriques et persuadés que leurs convictions sont les meilleures, voire qu'ils détiennent la vérité. Ce ne sont pas les seuls dans ce genre… Ils ont traduit des auteurs suédois et ils se gargarisent de thèses, dont certaines sont d'ailleurs valables, sur des sujets qui ne me passionnent pas. »
Tout comme le maire (PS) de Forcalquier, Christophe Castaner, qui confie à La ProvenceQuatre de Forcalquier » (une appellation qui vaut cele d'Al-Quaïda, désormais), Yves (on se tutoie) ne croit pas à la base terroriste arrière de Forcalquier, mais alors, pas du tout. Tout comme Christophe Casterner ou les habitants de Tarnac, voire de la périphérie de Rouen, il peut se tromper. ses opinions sur les «
« Ah bon, tu me l'apprends ! »
Ce qui précède est un quasi verbatim (je note vite, mais je n'ai pas enregistré). À 19 heures environ, mardi soir, j'apprends donc à Yves, après ce début de conversation supra, que les époux Bouchardeau et la fratrie Autexier a été arrêtée le lundi, la veille, vers six heures du matin. C'est vous dire si Yves est à l'affût des nouvelles sur « le gars qui est en prison ». Je l'informe que je prends des notes et lui rémémore qu'il se nomme Julien Coupat. Voici la suite de la transcription de mes notes.
« Je ne savais pas qu'ils… ». Pause. On parle de La Provence, des déclarations de Christophe Castaner, et j'imagine qu'Yves est à présent face à un écran, à les lire en ligne.
« De temps en temps, je recevais des courriels d'eux, pour soutenir, donc, Julien Coupat. Cela ne m'étonne pas d'eux, le gars est toujours en taule depuis des mois et comme ils défendent la veuve et l'orphelin, c'est évident qu'il allait les intéresser. Je ne les vois pas du tout mettre une bombe ou je ne sais quoi. Ni Samuel, ni Héléna. Sans connaître Bouchardeau, je sais qu'il a eu une adolescence agitée mais il était rentré dans le rang et il a fait des choses très bien, de bons bouquins. Oui, ils ont fait des tracts… » Pause. J'imagine qu'Yves lit cela sur l'écran. « Et alors ? ».
Longo Maï, une « communauté gaucho »
Je parle à Yves de la communauté Longo Maï, à laquelle François Bouchardeau a appartenu. Elle faisait jaser dans l'entourage d'Huguette (je l'appellais Huguette, et on se tutoyait les rares fois où nous conversions) et ses amies, ses copains et camarades, la plaignaient. La communauté était plus ou moins dirigée par une sorte de gourou dans un état d'esprit autogestionnaire. J'en ai connues d'autres, de telles communautés, du côté de La Robertsau par exemple. L'un des piliers de cette communauté siège à présent au Conseil régional d'Alsace, pour les autres, j'imagine que, s'ils sont passés par la case prison, c'était peut-être à l'occasion de la grande rafle des militants P.S.U. à propos des quelques rares comités de soldats qui tentaient de regrouper quelques rares appelés ça et là. François Bouchardeau n'était pas le seul. Dans les comités de soldats, il y avait aussi le fils d'un général, commandant de la Garde Républicaine. Il s'est rangé, et en tant qu'agitateur, comme extrémiste, il faisait plutôt sourire. Mais c'est vrai qu'il aurait pu scander avec un air de conviction non feint : « Soldat, sous l'uniforme, tu restes un travailleur ! ». Mais reprenons notre amical entretien…
« Ah, oui, Longo Maï. Ils vivent à côté des Autexier. Eux aussi ont mis beaucoup d'eau dans leur vin. Ils vivent d'artisanat, de produits bio ou de je ne sais quoi. ». Et revenons à leurs voisins, les Autexier.
« Héléna est beaucoup plus intellectuelle que Samuel. Samuel, c'est un don Quichotte ! ». Entendez, pour Yves, un personnage de Cervantès, don Quijote de la Mancha. Mais il ne peut exclure que Samuel soit proche des thèses du mouvement Droit au logement ou d'autres à propos des sans-logis.
« Ce serait bien son genre. Mais il doit avoir atteint la jeune quarantaine et si je le vois encore comme cela, en doux idéaliste, il a pu changer, mais je ne le vois absolument pas en train de poser des bombes. Lui, c'est plutôt esbrouffe et idéalisme. On se voit maintenant très peu, mais… je ne pense pas qu'il se soit… Je peux me tromper, mais pour moi, ce n'est pas le genre. ».
Moi aussi, je peux me tromper, les policiers aussi…
Si les policiers de l'anti-terrorisme ont interrogé les gendarmes, fait la banale enquete de voisinage, il est fort possible qu'ils aient pu être abusés. Il suffirait de deux ou trois voisins mal intentionnés, d'une querelle à propos d'un vélo trop souvent posé contre une façade, pour que… et pour acquérir des propriétés… on a parfois dénoncé des Juifs pour des services de table et un peu d'argenterie. Je ne sais plus quel auteur, invité chez d'anciens voisins, de retour des camps, avait reconnu l'argenterie familiale et s'était tu. C'est la France, n'est-il pas, Forcalquier…
 
Oui, mais, à l'anti-terrorisme, on n'est pas Minute ou je ne sais quel titre d'extrême-droite qui sensationnalise la moindre déclaration inamicale quand il s'agit de gens de gauche, ou de la gauche de la gauche. J'imagine qu'on est recruté pour ses opinions mesurées, son sens de l'analyse. Pas parce que papa avait sa carte au Service d'Action civique, pas parce qu'on sort de prison après des bracages et avoir donné ses complices pour obtenir des remises de peine, quitte à dénoncer n'importe qui pour gonfler le dossier.
Je veux donc croire que les policiers ont fait une enquête de voisinage convenable. Ne pas sonder Yves Perrousseaux se comprend. Ce n'est plus un voisin. C'est un ancien voisin qui n'a connu les Autexier qu'une vingtaine ou une trentaine d'années. Il en est d'autres, des voisines et des voisins. Il y a le maire. Il y a des conseillers municipaux qui ont voté contre ou pour les subventions accordées aux divers éditeurs des maisons de Forcalquier ou des alentours. Il y a aussi des parents, des amis. Des gens accoudés au comptoir des quelques bistrots de la ville, des chauffeurs de taxi, des boulangers, des charcutières. Bref, la routine, quoi.
Alors, il y a deux solutions.
Soit, comme pour Tessa Polak, « la femme de 36 ans » des journaux (c'est beaucoup plus inquiétant quand on ne donne pas un nom parfaitement connu, d'une personne parfaitement d'accord pour témoigner), on n'a rien pu trouver. Soit on va trouver. C'est sûr, tout comme on avait « l'homme au couteau », puis « l'homme au marteau », ;là, prêt à craquer, à tout avouer sur les femmes agressées, et puis « au dernier moment, le voilà qui se reprend ». Je cite de mémoire un policier qui avait procédé à l'interrogatoire d'un homme qui a ensuite bénéficié d'un non-lieu, faute de la moindre preuve, sa garde à vue et son maintien en détention (pour « éviter de troubler l'ordre public », dixit le procureur) s'étant achevées par une libération sans la moindre condition. Plus tard, le commissaire (Tanière ? Oublié le nom), confiait : « ces affaires ne sont peut-être pas liées ».
Et si les affaires de Rouen, Forcalquier, Tarnac, non seulement n'étaient pas liées, mais n'étaient pas des affaires ?

Pas des affaires, ou « une affaire » ?

Il y a quand même un lien. Il y a bien sûr un lien entre Rouen, Forcalquier, Tarnac. Je ne partage absolument pas les opinions ultra-libérales de l'auteure du Bouffon du roi (chez Michalon éditeur). Pour elle, on monte l'influence d'Olivier Besancenot afin que le PS soit minoritaire, avec ou sans Bayrou en allié, en 2012.
Créer une ultra-gauche, c'est rendre respectable, convenable, l'ex-extrême-gauche. José Bové est un paisible propriétaire terrien qui vit dans une très belle maison écologique et gaie. Selon Rachida Dati, l'ex « Juif allemand », Dany le Rouge, est un homme du passé, un tocard qui tente de faire encore parler de lui. Tandis qu'Olivier Besancenot, ancien « bolchévique au couteau entre les dents », est à présent tout juste un soutien distant des grévistes de l'administration pénitenciaire. On peut donc voter pour lui.
D'autant qu'on a su lui créer un repoussoir le rendant respectable, et sinon éligible, du moins susceptible de recueillir les voix qu'il fallait au Front national pour figurer au second tour d'une élection présidentielle.
 
Ce ne sont pas les mêmes ? Si, partiellement. Et pour les politologues, peu importe si la fin doit justifier les moyens, une voix de moins pour telle ou telle coalition, tel ou tel parti, c'est l'essentiel.
Tout comme le redécoupage électoral, l'orientation de l'opinion dominante confine à l'art. Pour les enquêtes policières, ce n'est que de l'artisanat, mais bien utile quand même parfois.
On a toujours besoin d'un plus petit, d'un moins puissant que soi, n'est-il pas ?
Je ne sais si Besancenot est le bouffon du prince, j'en viens seulement à penser que Julien Coupat est le masque de fer, l'otage de la raison… de quoi ? D'État ? De la déraison d'un seul ? De la manigance d'un bonimenteur ? Je n'en sais rien.
Comme Yves Perrousseaux, je doute de tout.
Je ne sais pas, par exemple, si détruire des tracts périmés (s'ils appelaient à une manifestation) est ou non une « destruction de preuves ». On l'a dit, écrit à propos d'un certain Raphaël, de Chambéry. Il est peut-être encore en garde à vue, ou en détention, allez savoir ? (je ne vais pas chercher, sur l'instant, à vérifier).
 
Je sais que faire des tracts et se faire voir en train de les distribuer, pour une armée de l'ombre, pour des clandestines, des terroristes tapis dans les fourrés autour des centrales nucléaires, ce n'est pas très fin. Bah, si ce n'est toi, c'est donc ton frère… 
La raison du plus fort…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !