C’est mon opinion, et je m’en félicite (comme le font dire les « Guignols de l’info » à je ne sais plus qui…), mais alors, là, chapeau, et même bicorne de la Royale, et tricorne de la maréchaussée anté-impériale ! Les Pénélopes (leur blogue-notes ne mentionnant pas leurs patronymes, cet alias est de mon cru) sont parties une semaine à bord de la fourgonnette Ulysse (Their Majesties’ Van Ulysse), cinglant vers toutes « Autres directions » et « Toutes directions » de la signalétique routière. Si cela ne leur vaut pas un prix Albert Londres de journalisme, voire le Pulitzer, je me le mange, mille sabords !
Lors de ma revue de presse nationale de ce vendredi 4 juin 2010, je dérive, via le site de Libération, vers un insolite blogue-notes. C’est celui de deux étudiantes en journalisme à l’École des Sciences Politiques (section de création récente, mais la valeur n’attend pas…) dont la quête est de « ne suivre que les panneaux “Autres directions” et “Toutes directions” ( …) convaincues que suivre les routes que personne ne suit fait partie de notre futur métier. ». Ô combien ! « Nous vérifierons au passage si tous les chemins mènent à Rome, » indiquent-elles crânement (sans doute de mouvements rotatifs du menton et giratoires de la tête). Le blogues-notes s’intitule « Autres directions » et il vous suffit de suivre ce lien pour vous y rendre et commenter, narrer vos anecdotes, vos naufrages, vos désillusions.
Ô combien de journaleux, combien de rubricards, partis confiants pour des missions pas si lointaines, oncques ne vîmes parvenus au port, ayant erré bien plus de trois mille miles du fait de l’incertain renfort d’une odieuse signalisation ! (d’après Hugo, Corneille et autres bailleurs de citations). Y remédier devrait être une grande cause nationale et l’essentiel de ce qui subsiste du Grand Emprunt devrait y être consacré en toute priorité.
Nos Pénélopes, se doutant de l’issue de l’aventure (peut-être devoir suivre depuis l’asphalte un hélicoptère de la Sécurité civile pour rejoindre la civilisation), ont armé l’Ulysse (une dame, comme dans la Navy) de manière propre à assurer leur survie. Incidemment, comme l’a démontré la pénurie de papier hygiénique dans les centres de détention pour femmes, que rapportait Le Canard enchaîné, je crains qu’elles n’aient fait preuve d’un trop fort optimisme : c’est plutôt de 24 rouleaux que de six qu’elles auraient dû charger leur « cale ». On croit toujours que les toilettes du relais autoroutier, de l’estaminet café-charbon-épicerie-bureau de poste-bientôt annexe de la Trésorerie générale et de l’Aide à l’enfance réunies, seront approvisionnées comme il se devrait. Graves déceptions en perspective. Hormis dans celles dont l’octroi vaut désormais cinquante centimes d’euro (près de 3,50 FF), voire le double, l’avitaillement en PQ est souvent sarkozyé à la limite du risque de scorbutisme mictionnaire (réduit, nanifié, à ce que la bienséance m’oblige à qualifier d’un néologisme osé). Au long des caps incertains sur lesquels elles viennent de s’élancer, il est moins de lieux d’aisances que de ronds-points indiquant « Toutes directions », qui sont autant de malaisés points de rupture de l’erre : on s’arrête, doublement médusées, en rade sur le talus tribord, on suppute, on se consulte, on se dispute, la mutinerie finit par gronder. La croisière hauturière envisagée tourne vite au piteux cabotage quand on s’extrait enfin du fameux triangle Chauny-Tergniers-La Fère (via Fargniers) ou des Sargasses de Trifouillis-les-Oies, du pot au noir de Bécon-les-Granites.
Maintes fois j’ai envisagé de monter à l’assaut du sujet, autant j’ai reculé devant l’obstacle d’exposer – avec des exemples iconographiques – les absurdités de la signalisation routière, de la signalétique de zones industrielles, des panneaux indicateurs du métropolitain parisien. Dès que j’ai pris connaissance du blogue-notes des Pénélopes intrépides, je me suis empressé de les féliciter et de leur livrer quelques observations. Les voici en vrac (l’émotion, la hâte, la véhémence, m’ont fait par trop négliger tant la forme orthotypographique que le style), redites incluses…
Bravo pour votre initiative et surtout, voyez qui décide de quoi, pourquoi, comment… »
Et parvenues à Rome, n’espérez pas y trouver le panneau indiquant Champignac. »
Consultez les autres commentaires, la polémique enfle déjà. Et j’en profite pour dire son fait au prénommé François qui considère que c’est « une idée totalement bidon de bobo oisive… (…) on arrive toujours à un autre carrefour où les routes se partagent vers des directions précises. ». Jadis, un mien cousin, Serge Craciun, accompagné d’un autre quartier-maître, ayant décliné d’embarquer sur la jonque de Tabarly, choisit de regagner en scooter Paris depuis Saigon (évacuée après Dien-Bien-Phu, qu’il survolait en bombardier de l’Aéronavale). Quelques lustres plus tard, je ralliais Qom (Iran) en « pouce » et même le fameux panneau « au chameau » de Tan-Tan (Sud Marocain) indiquant la quarantaine de jours de méharée la distançant de Tamanrasset. La piste Bobo-Dioulasso vers Bouaké, en fin de saison des pluies (plus de « goudron », et des ornières et cratères dissimulés par l’eau stagnante aux reflets de carburant), ne m’est pas non plus inconnue. Je vous en passe, et des pires, dans les Balkans, en ex-Union Soviétique, en auto-stop, en convoi humanitaire. Avec Serge, qui avait comme moi sillonné aussi la France, nous étions d’accord : routes coupées, zones de conflits, c’est pur divertissement, ris et calembredaines, par rapport à la localisation de… nommez-le ou la vous-même… près de chez vous, en suivant les panneaux indicateurs.
J’ai beau entretenir une très haute opinion de moi-même et ma cuistrerie n’a d’égale que la science de Bouvard et Pécuchet (voir le petit montage qui illustre ce furtif billet). Mais là, c’est très humblement que je m’incline devant ce courage qui confine à la témérité. J’espère qu’on ne dira jamais des Pénélopes, comme on l’a osé à propos de nos confrères retenus en otages en Afghanistan, qu’elles ont pris des risques inconsidérés, que se porter vraiment à leur rescousse serait trop onéreux. Comparaison déraisonnable ? Allez savoir… Certes, elles n’ont pas l’expérience de leurs estimés confrères et j’abonde à la remarque du blogueur Ouam qui commente : « une seule semaine, c’est très court… ». Qui sait ? Elles poursuivront peut-être de ménopauses en ménopauses (pauses mensuelles pour faire le point avec les sympas routiers de Max Meynier, histoire de réviser les sextants). Très bientôt, l’étoile du Berger deviendra leur seule guide. Un surnommé Trip Advisor les chipote sur leur blogue-notes. Mais, diantre, énoncer « trop de journalistes manquent de cette rigueur qui leur permettrait de briller dans ce grand art qu’est le journalisme d’investigation, » à l’égard de deux étudiantes, c’est un peu fort, mille sabords ! Les mânes de Joseph Kessel, de Blaise Cendrars, qui furent quelque peu, à l’instar d’un Hemingway, parfois limite picaresques, enjoliveurs et approximatifs, en doivent soulever leurs cendres !
Il faut, à regret, conclure cette trop succincte évocation d’une telle fantastique épopée auprès de laquelle The Quest of Arthure Kuninge et les récits de Conrad font pâle figure. Je confie ce soin à J.-L. Parise perdu antan qui consigne : « Voici 30 ans environ, pauvre provincial perdu en voiture dans une banlieue grise et anonyme, quelque part autour de Paris, j’étais tombé sur un carrefour où l’on voyait deux panneaux : Paris / province… ». Parise égaré, Parise prisonnier, et par Paris éberlué ! Je compatis, car mille fois j’ai vu aussi double de Landerneau à Clochemerle via Pétaouchnok, croisant et recroisant les mêmes panneaux indiquant la même destination en deux directions totalement opposées, après de longs détours me ramenant au même croisement et me laissant pantois, bras tétanisés, me triturant les doigts et sanglotant, le front sur le volant, à maudire et vitupérer les directions départementales de l’Équipement, les Gustave Labarbe (édile de Champignac), les cantonniers de la route de Louviers… sans le moindre boucher Sanzot ou Séraphin Lampion compatissant pour me rasséréner dès potron-minet. C’est bien connu : qui voit Groix voit sa croix, qui voit Ouessant voit son sang, qui croise la Queue-en-Brie s’échoue en débris… Capdevielle chante « Quand t’es dans le désert, depuis trop longtemps… ». Ce sera sans doute leur mélopée de nage et de guindeau, telles des Fanny de Laninon (paroles de Pierre Mac Orlan). Permettez-moi de réitérer ici, aux Pénélopes, mes plus vigoureuses, tarazimboumantes et confraternelles félicitations. Kénavo !
Épilogue postérieur :
Le périple de nos journalistes stagiaires a pris fin, et leur dernier billet donne enfin quelques précisions techniques qui laissent sur sa faim. « Il ne peut pas avoir plus de six directions sur la même branche, selon Daniel Lemoine, spécialiste signalisation du Centre d’Etudes des routes et tunnels (CERTU). C’est vrai qu’on imagine mal un rond-point avec plusieurs dizaines de directions indiquées. C’est donc là que le panneau Autres Directions entre en scène.
Son cousin le Toutes Directions est quant à lui "un genre de pis-aller", toujours selon le CERTU, pour indiquer la route principale, par exemple celle qui permet de traverser une ville le plus rapidement possible. 90 % du trafic emprunte les panneaux Toutes Directions.
Au cours de notre voyage, nous avons rencontré des panneaux Autres et Toutes directions côte à côte mais indiquant des sens contraires: il s’agit là d’une erreur de signalisation. Car la gestion des panneaux n’est pas si simple. La tâche est divisée entre trois acteurs : l’État, les départements et les communes. L’État gère les panneaux directionnels verts. Les départements prennent en compte les panneaux verts et ajoutent les leurs en respectant des critères de distance (vous ne pouvez pas mettre un panneau indiquant un village à plus d’un certain nombre de kilomètres, etc. ) Les communes font de même.
Pour notre part, c’en est fini des Toutes et Autres directions. Nous reprenons la route de la maison. ».
C’est un peu court, jeunes filles… L’État, en l’occurrence, c’est qui au juste ? Le préfet en personne ? Le dir’ dép’ soi-même ? Comment cela se passe au conseil général, au conseil municipal ? N’hésitez pas, Pénélopes, à, sur le métier, remettre votre ouvrage…
Je trouve très sympatique à vous d’encourager vos confrères journalistes,leur démarche est assez originale,elles sont courageuses et avec elles la fougue de la jeunesse , vous êtes
plaisant à lire,il faut que je jette un coup d’oeil à votre profil ,je comprends que vous soyez un pote d’ Anne Larue !
Est ce parce que vous êtes un grand « Manitou « que personne n’ose venir commenter vos articles de peur d’être de faire des fautes d’orthographe ,de paraître ridicule ?
En tous les cas pour moi c’est déjà trop tard …donc je continuerais si vos articles m’interpelle à vous commenter !
Pour Mecarryce. Je ne suis manitou de rien, et je n’ai jamais relevé les fautes d’ortho ou autres des autres (et d’ailleurs, j’en fais de plus en plus moi-même et néglige trop de me relire avant de poster, comme d’autres…).
Je crois aussi que c’est parce que je commente peu les articles des autres. Ou que je ne réponds pas systématiquement aux commentaires.
En fait, le mode de communication qui s’est instauré avec les blogues-notes (en revanche, je suis un peu « précieux », voire cuistre, aussi par dérision, et j’estime que si on a « bogue » en français, on aurait pu avoir « blogue », en dépit des recommandations du comité machin…), mériterait un attention plus soutenue, des analyses moins superficielles. Bien sûr, on sait quel type d’articles suscite des commentaires. Enfin, à peu près. En revanche, on commence à savoir quel style en suscite le plus. Mais cela évolue. Je surveille d’assez près Le Post (.fr) et le « style maison » de sa rédaction. Il me semble significatif. Le truc : après des années de journalisme raplapla (pas toujours), je me lâche et en quelque sorte, me rebiffe. Bon, cela s’écarte du sujet.
Cela étant, si la démarche des deux stagiaires de Sc. Po n’est suivie d’aucune enquête sur le pourquoi du comment de la signalisation, ce sera aussi – peut-être – significatif d’un type de presse, totalement tourné vers ce qui « accroche », en gommant tout ce qui barbe, tout ce qui fait que la « participation » du lecteur est superficielle. La véritable participation, c’est quand un article déclenche une action collective, des initiatives.
Là, évidemment, c’est une considération sommaire, à l’emporte-pièce, critiquable et qui demanderait d’être détaillée. Mais je vous réponds comme je saisis (avec les dix doigts, car j’ai été compositeur de presse, et il vaut mieux parfois saisir moins vite).
Merci de votre attention.
Vu sur le blogue des deux consœurs, signé par une certaine Pascale :
« [i]Ce n’est pas une idée originale mais celle de Pascal Jardin dont c’était une manie chronique ![/i] ».
Dans le genre « road story », je leur ai aussi signalé un bouquin de Julio Cortazar dont j’ai oublié le titre (illustré par une photographe, crois-je me souvenir), qui avait visité plein de relais autoroutiers.
Jef,
Je comprends que vous vous défendiez d’être un Manitou,vous avez raison parce que les étiquettes ça reste !
Je suis complètement ignorante du métier de journaliste ,juste qu’il m’a semblé à tort ou
à raison que certains commentateurs pouvaient être intimidés par votre professionalisme.
Il m’arrive d’avoir des idées préconcues et de faire des conclusions hatives.
Aussi par respect pour votre métier je vais essayer de faire des efforts ,car les facettes méritantes du métier sont souvent occultés.
Il me semble que les Français ont rarement l’occasion d’échanger avec des journalites,surtout en Province,et là c’est l’occasion sur C4N.
Merci Jef également pour votre attention.