« Les Misérables » de Tom Hooper. Est-ce vraiment du Victor Hugo ?

 Le 25 décembre 2012, cent-cinquante ans la publication du roman « Les Misérables », que Victor Hugo appelle lui-même « le sommet de son œuvre », le réalisateur britannique Tom Hooper nous en offre une adaptation cinématographique, largement encensée par les critiques et submergée par les récompenses hollywoodiennes. Huit nominations aux Oscars pour cette comédie musicale, alors que la critique (surtout en France) est assez négative, cela peut paraître exagéré. Que penser réellement du film, lorsqu’on connaît l’œuvre qui l’a inspiré ?

 Ils sont bien rares, ceux qui tournent la dernière page du roman de Victor Hugo et n’en sont pas époustouflés. Outre la plume extraordinaire de l’auteur qui nous transporte au début du XIXème siècle en l’espace de quelques pages, la quantité de personnages fascinants, dépeints avec tant de précision et de naturel, permet à chacun d’entre nous d’y retrouver un peu de soi-même. Et quelle fresque historique colossale ! En effet, l’action du roman se déroule entre 1815 et 1833, de la libération de Jean Valjean à sa mort, en passant par des descriptions titanesques de Paris, le récit gigantesque de Waterloo et -bien sûr- l’insurrection de 1832, qui permet d’offrir au lecteur une ouverture sur l’avenir des plus jeunes personnages.

Et malgré le tableau d’un Paris et d’une France en guerre, rien n’est exagéré, rien n’est sale ni écœurant, rien n’est vulgaire ni répugnant. Victor Hugo nous laisse dans ce vivant réalisme qui permet à chaque lecteur de chaque époque de s’identifier facilement à la grandeur de Valjean, à la candeur de Cosette, à la cruauté rapace des Thénardier et aux erreurs de Javert.

 

La question légitime que l’on se pose en visionnant le film en ce début d’année est tout simplement : Tom Hooper a-t-il vraiment lu Victor Hugo ? Il paraîtrait que non. On dit que le film n’est pas une adaptation de l’œuvre originale, mais d’une comédie musicale, écrite en 1987 par Alain Boublil. On a beau aimer les comédies musicales, on est en droit de se poser la question : « Une adaption d’une adaptation ? Qu’est-ce que ça vaut ? » On peut comprendre, si la première comédie de 1987 dépasse le livre en lui-même, mais qui aurait la prétention de dépasser le « sommet de l’œuvre » d’un des plus grands romanciers de l’Histoire de France ? Non, non, le film de Tom Hooper a quelques lacunes…

Jean Valjean (Hugh Jackman) est sans doute le personnage que les scénaristes ont le moins éloigné de son modèle de roman. L’acteur est admirable dans ce rôle et montre parfaitement toute la complexité de l’esprit qu’il doit interpréter. Il est superbe de le voir si tourmenté dans la fameuse scène du début, pendant laquelle il vole l’argenterie de l’évêque Myriel. Mais pour le reste, il est un peu mis en retrait. Trop en tout cas pour qui a dévoré le roman de 1862.

Et puis quel dommage de voir Fantine (Anne Hathaway) se changer en prostituée pour gagner sa vie, alors que Victor Hugo l’avait fait simplement travailler dans une usine pour pouvoir subvenir aux besoins de sa fille Cosette (Amanda Seyfried).

Que dire alors de Javert? Un mot. Creux. Russel Crowe a été vu dans Gladiator et Un Homme d’Exception. Quel dépit de la voir à l’écran dans un second rôle si plat, malgré son beau costume.

Et les Thénardier… Vulgaires. Grossiers. Répugnants. Lubriques. Vicelard. Bref, de petits escrocs, alors que Victor Hugo les avait décrit comme cruels certes, mais malins quand même.

 

Et ne parlons de la Musique. Quand on veut faire une comédie musicale à succès, on a la décence de composer de la belle musique, qui touche directement l’auditeur, surtout quand ce dernier doit passer 2h30 devant l’écran. Car ce n’est pas tout. Le film entier est chanté. Les quelques mots parlés ressemblent de près à des pauses publicitaires placées entre deux clips de chansons bas de gamme excessivement dramatiques.

Bien sûr, en étant honnête, on reconnaît qu’il y a deux ou trois passages très appréciables, mais il est difficile de goûter à ces quelques instants de musique au milieu de 2h30 de chant ininterrompu, tout comme il serait difficile d’apprécier du caviar ou du foie gras à sa juste valeur s’il l’on en mangeait tout le temps.

 

Mais le film se rachète sur d’autres points, les costumes sont époustouflants. Un historien français n’aurait rien à redire. Et les décors sont magnifiques, d’autant plus que le réalisateur a l’art de la profondeur, des plans larges sur des paysages à pertes de vue. La reconstitution de l’insurrection semble très réaliste et le vieux Paris nous charme.

On retient deux scènes surtout. Les amers regrets et les pleurs sincères de Jean Valjean, lorsqu’il réalise qu’avoir volé l’évêque Myriel était injuste et mal. La scène est dans une superbe petite Eglise plein de charme dans les montagnes et les mouvements de caméras tournoyants et virevoltants sont saisissants.

Et puis bien sûr, on retient la fameuse chanson d’Anne Hathaway qui pousse des soupirs juste après avoir rempli son devoir de prostituée, dans « I dreamed a dream » (disponible en écoute libre sur Youtube deux ou trois mois avant la sortie du film).

 

Bref, quelques instants de répits au milieu d’un amas de mauvaises surprises, de pleurs incessants, de musique assourdissante et de drame exagéré.

Quoiqu’il en soit, on est bien loin de l’œuvre de Victor Hugo, et on regrette les vieilles adaptations françaises avec Jean Gabin, Lino Ventura ou Belmondo.


Pourtant toutes les stars sont là, Hugh Jackman,Russell Crowe,Anne Hathaway, Helena Bonham Carter, Sacha Baron Cohen… Il semblerait que tous les ingrédients de l’excellence de l’art avaient été réunis.

Les défauts que l’on peut voir alors dans cette adaptation viendraient-ils de l’homme qui aurait dû subtilement agencer tous ces ingrédients-là ?

Soyons cléments, oublions Victor Hugo qui doit se morfondre dans son caveau, et laissons à ce Britannique encore un peu de temps. Après tout, Tom Hooper n’en est qu’à son troisième film.

9 réflexions sur « « Les Misérables » de Tom Hooper. Est-ce vraiment du Victor Hugo ? »

  1. Egalement dans le Figaro :

    Egalement dans le Figaro, Hooper parle de Hugo.

    LE FIGARO – Aviez-vous lu le roman de Victor Hugo?

    TOM HOOPER – Non, pas avant de songer à faire le film. J’étais d’abord allé voir la comédie musicale il y a deux ans et demi. Comme la plupart des gamins qui ont grandi à Londres, j’ai été élevé avec Dickens. Charles Dickens est notre Victor Hugo. La lecture des Misérables m’a enflammé l’esprit. C’est un roman extraordinaire. Pour moi, Victor Hugo est un vrai cinéaste. Il écrit d’une façon très visuelle et il est obsédé par les détails. Quand, par exemple, il parle des étudiants sur les barricades, il décrit la géographie exacte de la rue, où se situe précisément le café, comment sont les maisons. Dès la lecture du roman, j’avais le film en tête, du début à la fin.

    De tous les thèmes hugoliens, lequel vous inspire le plus?

    L’amour. «Aimer ou avoir aimé cela suffit», dit Jean Valjean à la fin. La seule manière de naviguer à travers la vie c’est d’avoir expérimenté l’amour. Le roman comme la comédie musicale parlent des sacrifices que l’on fait par amour. L’histoire aussi de ces deux épiphanies, de cette double transformation de Valjean me touche particulièrement. Avec l’évêque de Digne, il découvre la foi, la vertu et la compassion. Et dès sa rencontre avec la petite Cosette, il est métamorphosé par l’amour.

    Très différents du roman, vos Thénardier sont des personnages grotesques, proches de la farce. Pourquoi?

    En deux heures et demie de spectacle, il y a tant d’émotions, de larmes, de morts que Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil, les auteurs-compositeurs de la comédie musicale dont le film s’inspire, avaient compris dès le début le besoin d’aérer le drame avec de l’humour. C’est dans la grande tradition de Shakespeare. Dans Hamlet, le tragique est traversé d’éléments comiques. J’ai pris exemple sur la construction de cette pièce.

    À quel moment avez-vous décidé que vos acteurs chanteraient en direct?

    Il me fallait imaginer un monde qui serait pareil au nôtre mais où l’on communiquerait uniquement en chansons. Je n’avais pas envie de filmer des poupées en train de chanter en play-back. Je trouve le procédé artificiel et les acteurs n’ont aucune liberté de mouvement. Munis d’écouteurs, ils ont pu entendre la musique interprétée par un pianiste sur le plateau. Et ce sont eux qui contrôlaient le tempo de la musique. C’est révolutionnaire.

    Pensez-vous que le film aura du succès en France?

    Je suis conscient que Victor Hugo et ses Misérables sont un trésor national. J’espère avoir transmis ma passion. J’étais heureux de rencontrer l’arrière-arrière-arrière-arrière-petite-fille de Victor Hugo lors de l’avant-première parisienne. Elle m’a dit combien, elle et les siens avaient aimé mon film. J’en ai presque pleuré de joie

  2. Encore un article où Hooper démontre sa connaissance de Hugo

    http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Les-Miserables-Tom-Hooper-connait-la-chanson-3667636

    Sur votre article je tiens quand même à réagir sur les autres adaptations. Vous évoquez Hossein. Sachez que celui ci pour faire son film s’est fortement inspiré de la comédie musicale les Misérables puisque 1 ou 2 ans avant il mettait en scene Les Misérables au Palais des Sports.

    Sur Le film de Belmondo, il est drôle que vous critiquiez le film de Hooper comme ne respectant pas assez le film alors que celui de Lelouch c’etait du grand n’importe quoi sur ce plan. Ne perdez pas de vue que Les Misérables 2013 c’est une comédie musicale avec ses règles, ses codes.

    Je reviens sur Hossein, il avait été très critiqué à l’epoque pour son film en raison de l’omniprésence de Dieu dans le film.

    Selon moi un film doit se juger en tant que film et non en raison de sa fidélité ou non à un roman encore plus quand il s’agit d’une comédie musicale et donc avec forcement quelques libertés.

  3. Je termine (désolé mon message etait trop long pour partir en une fois sur votre site) pour dire qu’il est impossible de dire ce que Hugo aurait penser de la comédie musicale. Une seule chose est certaine : depuis son succés mondial depuis 28 ans elle a bien entebdu inciter des gens qui n’avait jalaius ouvert ce livre à le lire. Sachez qu’en ce moment en Corée du sud c’est de la pure folie : les étudiants du pays entier se ruent sur le livre grâce au succés de la comédie musicale. La comédie musicale a fortement contrinué à populariser le livre (aux etats unis il etudié à l’école). Je n’aime pas parler à la place d’un mort mais je suis persuadé qu’Hugo voulait que son oeuvre soit connu par le plus grand monde. Il serait bien que Les Misérables redevienne cet ouvrage populaire. A trop vouloir le disséquer on en perd le coté affectif qu’on pourrait avoir avec cette oeuvre.

  4. @Christophe : Vos remarques sont pertinentes, merci pour vos remarques. Mais ne croyez pas que mon but était de réaliser une critique complète du film ou de l’enfoncer vers le royaume banni des films médiocres.
    Non, il y a différentes facettes dans une œuvre d’art, et de multiples façons de l’aborder ; de mon côté, plus modestement qu’une critique générale, je voulais simplement étudier la différence (regrettable à mon sens) d’atmosphère entre le roman et le film (car comme le fait remarquer Tom Hooper dans le lien que avez posté, Victor Hugo crée une ambiance, un réalisme pictural, à l’aide du poids de ses descriptions détaillées). Que Tom Hooper connaisse le livre ou pas, cela n’importe peu –d’ailleurs la question était plus provocatrice qu’autre chose, car au fond je me doutais bien qu’il avait lu le livre avant de s’attaquer à son d’adaptation. Une personne sortant des Highgate et Westminster Schools et passé à Oxford connaît Victor Hugo c’est évident. Non, mon reproche en quelque sorte est que de nos jours il est une idée qui flotte dans les esprits comme quoi populariser (ou réactualiser) un livre du passé impliquerait forcément un changement de style, d’atmosphère et parfois une réécriture même. (
    (Par exemple je pense que les dialogues du film [i]Les Trois Mousquetaires[/i] -celui de 2011- ne sont pas à la hauteur d’Alexandre Dumas: changement de style, pour faire « plus moderne » peut-être, mais l’histoire se passe au XVIIe siècle ! En revanche pour rester avec A. Dumas, je pense que le style de l’auteur a été respecté dans la version de 2002 du [i]Compte de Monte-Cristo[/i] avec James Caviezel. C’est peut-être tout simplement une question de mesure et de juste milieu entre l’adaptation de son temps et l’œuvre du passé.

  5. @Christophe: Je sais bien que le scénario est de Boublil et Schonberg, mais faire une comédie musicale, avec ses règles et codes selon moi n’excuse pas tout. La question n’est pas là, je coupe court au débat, en disant tout de même que j’adore les comédies musicales (leurs règles et leurs codes) et même les opéras (dont les règles et codes sont encore plus strictes !)

    Evidemment, vous faites mouche en affirmant qu’un film se juge en tant film et non pas en tant qu’adaptation cinématographique d’un roman. Et j’affirme (ce n’est pas dans l’article, car là n’était pas vraiment la question) que j’ai apprécié ce film pour sa qualité plus qu’excellente, au niveau de l’image, de la profondeur, des décors, du montage, etc. Mon seul regret (en tant que musicien professionnel) est la musique qui n’est pas à la hauteur de la mise en scène. Mais il est ici question d’opinion, et je dis cela à titre personnel.

    En ce qui concerne la version de Lelouch, j’ai été très bref, mais encore une fois, même si je n’aime pas la modernisation de l’œuvre, je considère l’atmosphère plus appréciable, sans doute parce que Belmondo a le potentiel d’un Valjean.
    Rien à voir, c’est sûr, avec les versions Gabin et Ventura. On est d’accord.

    Petit N.B. 😉
    Quand on lit Victor Hugo, le concept de Dieu est omniprésent de toute façon. A travers non seulement les réflexions de l’auteur, mais dans les personnages (par exemple l’évêque Myriel qui donne à Jean Valjean un nouveau départ dans les premiers chapitres ou encore l’archidiacre Frollo dans Notre-Dame de Paris, etc).

  6. [b]Manuel Valls et ses conseilleurs informateurs[/b] devraient relire ce texte :

    [url]http://www.temoignages.re/c-est-la-reconnaissance-de-la-justesse-du-combat-de-temoignages-et-de-paul-verges-condamne-a-de-la-prison-ferme-pour-avoir-denonce-le-massacre-du-17-octobre-1961,59951.html[/url]

    L’anticipation des émeutes est possible pour qui change d’informateurs auto proclamés spécialistes de criminologie…
    Les conneries, ça suffit en France et ailleurs; Si ceux qui se sont entrainés à la guerrilla urbaine veulent en découdre, il y a de la place dans les désert pour un « kholanta »
    [b]
    Contribuables, réveillez-vous[/b], on use de nos impôts contre nos fils et nos frères , contre nos soeurs et nos cousines, les MISERABLES sont attaqués au lieu d’être défendus
    quelle honte que cette france-là

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