Aux éditions Eyrolles, Les Mères qui blessent, d’Anne-Laure Buffet, est un ouvrage qui gagne à être lu au-delà du lectorat auquel il se destine en priorité.
Anne-Laure Buffet, qui se situe désormais vers la quarantaine, a sans doute dû, comme (presque) tout adulte, mettre sa mère « à distance ». Ce fut – ou c’est – assurément la fille d’une mère « marquante », car il s’agit là d’une tautologie (soit d’un truisme ; ne lacanisons pas, ce savoir se vivre mère ou ex-jeune scion ne serait pas du tout dans le ton des Mères qui blessent). Valant lieu commun, sauf mère absente ou « inconnue » (comme dans « de mère inconnue », ou méconnue comme dans le film La Vie est un long fleuve tranquille), et encore, l’exception reste simplificatrice. La mère « qui blesse » n’est pas, ou fort peu souvent, à l’image de la Folcoche d’Hervé Bazin (Vipère au poing). Elle est communément plus banale. Et en préambule, précision : Anne-Laure Buffet n’est pas de l’espèce de ces thérapeutes qui font surgir d’illusoires souvenirs faisant rétrospectivement d’un parent, aux qualités et défauts somme toute fort courants, un monstre, un abusif forcément abusif, coupable. Elle est thérapeute spécialisée en accompagnement des victimes de violences psychologiques, mais s’adresse aux adultes, tant aux mères qu’à leur progéniture (un peu davantage, peut-être, dans sa pratique, aux filles qu’aux fils, quoique cette déduction tient davantage à la fréquence des consultantes chez les thérapeutes qu’à la lecture du livre). Nul projet de victimisation et qui ne pourrait que louer sa mère peut tout aussi bien gagner à consulter ce Les Mères qui blessent que celles et ceux s’en faisant une opinion fortement ou légèrement mitigée. Sa lecture est bien évidemment davantage recommandée à qui se culpabilise ou se ressent encore peu ou prou victime. Soit aux mères se reprochant d’avoir été négligentes, ou quelque peu toxiques, « maltraitantes » à des degrés divers, et à leur descendance. Donc aux personnes « en souffrance ». Recommandée aussi aux consœurs et confrères qui connaissent ou non Anne-Laure Buffet et l’association qu’elle a fondée, Contre la violence psychologique. Laquelle accompagne les personnes fragilisées mais collabore aussi avec les professionnels et organise à leur intention des séminaires et conférences.
Les pères aussi
L’ouvrage se fonde sur des études de cas, qui n’excluent pas ceux des mères victimes de conjoints violents (à l’image du Patrice de Virginie Despentes dans Vernon Subutex). Il peut être regretté que les cas de pères-mères ou mères-pères, soit de parents très tôt dits isolés (veuves et veufs, « filles-mères », selon l’appellation antérieure, pères sans présence féminine à leur côté…), soient fort peu abordés. Elles ou ils se reconnaîtront cependant. Le huis clos familial du couple avec enfant(s) domine.
La table des matières pourrait suffire à cadrer ce qui est abordé en trois parties : de la perfection à la maltraitance ; origines de la violence ; de l’enfant ignoré à l’adulte vivant. Les intitulés de quelques chapitres et parties, traitant de l’instinct (quatre parties dont « l’absence de désir d’enfant »), du « coût des injonctions », de « l’enfant trop adulte », et de « l’adulte interdit », donneraient un aperçu suffisant s’ils étaient tous mentionnés (15 chapitres, de deux à six parties…). Il tombe sous le sens qu’un tel livre ne se résume pas. « La liste des adjectifs est longue », remarque l’auteure en introduction, pour qualifier une mère suscitant la souffrance de l’enfant devenu adulte. Longue mais toujours incomplète, ce qu’une citation – en conclusion – de Sàndor Ferenczi (L’Enfant dans l’adulte) éclaire.
Les cas de Louise, Marine, Anne, Stéphane, Marc, Julia, Sylvie, etc., sont réellement contrastés, même si parfois des similitudes, ou le plus souvent des rapprochements, transparaissent. Des références à des romans, ou films, ou (bien moins – il ne s’agit pas de doublonner la bibliographie, de se poser entre pairs) d’essais ou ouvrages spécialisés, invitent à prolonger la lecture. Nul cas ayant défrayé la chronique judiciaire ou des faits divers de premier plan n’entre ici : certains l’auraient pu mais l’auteure se préserve d’émuler Pierre Bellemare, ses Dossiers extraordinaires ou Histoires vraies. A.-L. Buffet n’écrit pas au fil de la Vologne (affaire Grégory). Lisant en orphelin d’une mère parfois absente, peu abusive, mais aussi attentionnée, ayant fait du mieux qu’elle pouvait (la plupart du temps, se surpassant souvent), « dépassée » à l’occasion mais sachant se (me) reprendre, dont je ne magnifie pas davantage que je ne flétris la mémoire, mais qui reste légendaire, car ô combien originale, et de ce fait chéri de ses petits-enfants, j’imagine que Les mères qui blessent l’aurait rassurée. Elle s’en posait des questions, à son et mon sujet, et il lui arrivait de s’angoisser, en se gardant de trop le communiquer. Comme tant et tant d’autres mères, à peine plus, à peine moins.
Le sous-titre, « se libérer de leur emprise pour renaître
», est réducteur en ce sens qu’il semble ne destiner le propos qu’à « l’adulte victime de sa mère ». Le livre s’inscrit dans la collection Comprendre & agir (fonds Eyrolles Psycho). Même s’il serait superflu d’agir, il contribue, pour toutes et tous, à mieux comprendre. Se comprendre, saisir aussi ce qui, dans son entourage, peut s’être produit, se produire. Livre très abordable (l’écriture est limpide), et valant d’être largement abordé…
Afin de poursuive :
https://cvpcontrelaviolencepsychologique.com/4167-2/ (présentation du précédent ouvrage d’A.-L. Buffet, Victimes de violences psychologiques) ;
https://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782212569827/ces-meres-qui-blessent (quatrième de couverture et sommaire).
Les Mères qui blessent, Buffet, Anne-Laure, éds Eyrolles, Paris, juin 2018, 164 p., 18 €.