Sans attendre le bilan financier des Jeux olympiques de Londres l’an prochain, Tokyo s’est porté candidate pour accueillir ceux de 2020. Le Japon prévoit de 90 à 110 milliards d’euros de dépenses sur cinq ans pour compenser les conséquences du tsunami et de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Mais qu’à cela ne tienne, les JO feraient oublier tout cela. Parmi les autres candidats, Madrid et Rome… L’Italie vient d’adopter un plan d’austérité, Madrid en applique un de facto qui ne rassure pas trop les marchés. Bah, l’important est de faire participer… tout le monde.

Tout cela pour ça : d’anciens athlètes et sportifs qui finissent par décrocher un maroquin ministériel, tel David Douillet, secrétaire d’État chargé de faire voter UMP les Français de l’étranger. Non, la méritocratie n’est pas grippée, les ascenseurs sociaux ne sont pas en panne, la preuve… Les Jeux laissent aussi en héritage des stades qu’il faut sans cesse rénover et moderniser, des patinoires et des piscines qu’il faut entretenir au profit d’enfants d’écoles qui finissent parfois par fermer.

Éva Joly, qui se raccroche à présent aux branches en suggérant que les victoires alliées contre le voisin allemand seraient mieux indiquées pour organiser des défilés militaires, a suscité un tollé en suggérant de transformer celui du 14 juillet en manifestation du type des lendits de la Fédération des œuvres laïques ou du mouvement Léo Lagrange. Place aux jeunes gymnastes et aux gamins agitant des cerceaux, aux gamines en uniformes de majorettes. Peut-être liée à la famille béarnaise des Bernadotte dont l’un de ses anciens sergents devint roi de Suède et de Norvège sous le nom de Charles XIV, Eva Joly ne nourrit sans doute pas sa fibre martiale mais les valeurs de l’olympisme ne lui sont pas tout à fait étrangères. Cela vient de susciter une polémique futile alors que la suppression de la garden party de l’Élysée par Nicolas Sarkozy, manifestation associant la société civile à ses armées n’avait guère soulevé d’objections. Native de Norvège, Éva Joly n’aurait guère été handicapée par ses origines pour briguer de juteuses fonctions au sein du Comité international olympique. Mais ancienne magistrate réputée intègre, sa présence dans un tel cénacle aurait sans doute été malvenue. Du moins si l’on se réfère aux scandales financiers, aux accusations de concussion qui ont agité le CIO par un passé loin d’être si lointain.

Dès qu’il est question de sport professionnel ou de sportifs de haut niveau, c’est quasiment l’union sacrée. Celles et ceux qui l’ouvrent sont rarissimes et même le café du Commerce est divisé. Faute d’informations sur les enjeux ? On peut prendre les paris. Pour situer, rappelons que la France aurait déjà consacré fin juin ou début juillet plus de 160 millions d’euros à la guerre de Nicolas Sarkozy en Libye. Rappelons que c’est exactement la même somme qu’aurait mobilisé le stade de football de La Meinau à Strasbourg, ce qui a conduit la municipalité à rejeter tant la facture de rénovation que la candidature de la capitale alsacienne à l’accueil de rencontres de l’Euro 2016 de football. La ville espérait une aide de l’État pour rendre le stade conforme aux exigences de l’UEFA : le contribuable hexagonal favorisera d’autres localités, Strasbourg s’abstiendra car elle n’aurait obtenu que les contributions du conseil général et de la communauté urbaine. Le coût global de l’Euro 2016 s’élèverait à 1,7 milliard d’euros pour la France, avec à la clef 4 000 emplois durables « pour assurer le fonctionnement futur des stades. ». Retour des investissements de ces emplois pour le tourisme et la réduction du déficit du commerce extérieur à échéance incertaine : peut-être 2032 et une nouvelle candidature entraînant de nouveaux efforts financiers…

C’est sans fin : le tissu industriel se détériore, l’Europe toute entière est au bord de la faillite, mais pendant la crise, les festivités sportives continuent. Madrid, si sa candidature était retenue pour les JO 2020, n’aurait aucun mal à loger des sportifs venus du monde entier : la capitale espagnole est entourée de lotissements inoccupés car les Madrilènes n’ont plus les moyens d’y emménager. Pour économiser 48 milliards d’euros, l’Italie va lancer des privatisations, geler les salaires, réduire le nombre des fonctionnaires, le montant des retraites, &c. Air connu. Mais Rome et Madrid recevront somptueusement les membres du CIO dans l’espoir de lever de nouveaux impôts ou trouver encore d’autres ressources pour financer des Jeux olympiques.

Le National Audit Office britannique a estimé en février dernier que le coût des Jeux de Londres était « encore incertain ». Le budget estimé à 600 millions de livres est passé à 757 millions, mais les coûts induits ultérieurs restent flous. Ce qui a conduit le « bénéficiaire » principal, Sir Robin Wales, maire du comté de Newham, à commenter que les Jeux sont un « bûcher des vanités ».

C’est idiot, mais il y a aussi des coûts auxquels on ne pense guère. Les assureurs se frottent les mains mais, par exemple, les fédérations nationales de basket se demandent si elles pourront payer les primes couvrant leurs meilleurs joueurs devant les représenter à Londres. Déjà, la fédération espagnole de basket ne sait plus où trouver 5,6 millions de dollars pour envoyer ses joueurs au Royaume-Uni. Déjà, le financement des contrats d’assurance des meilleurs joueurs pour l’Eurobasket 2011 (en Lituanie, en août prochain) pose quelques soucis à diverses fédérations. Tony Parker, qui devrait jouer pour la France, est confiant : « je suis sûr que la fédération française trouvera une solution. ». Comprenez qu’elle trouvera une oreille attentive lorsqu’elle tendra la sébile.

Bizarrement, les Japonais qui campent encore dans des écoles ou des bâtiments publics ne voient pas trop pourquoi le Japon devrait consacrer jusqu’à 150 millions de dollars rien que pour soutenir une candidature à l’issue incertaine (la malheureuse candidature d’Annecy au JO d’hiver 2018 n’a coûté « que » 30 millions d’euros ; attendez-vous à savoir que le prix des produits Samsung, société ayant fortement contribué au succès de PyeongChang vont grimper…).

Les niais : il leur suffira d’attendre que les sportifs aient évacué le Japon fin 2020 pour se retrouver décemment relogés. Enfin, eux ou d’autres Japonais, plus argentés.

À Londres, une agence immobilière incite les plus riches propriétaires à passer leurs vacances 2012 à l’étranger afin de profiter des loyers que consentira une clientèle aisée venue assister aux JO. En revanche, les petits commerces, les petits restaurants, et même les logeurs pas trop huppés craignent de voir Londres désertée par des touristes ordinaires effrayés par les surcoûts prévisibles. L’association des « tours operators » européens (ETOA) déplore une prévisible désaffection et même John Penrose, le ministre britannique du Tourisme, redoute des effets pervers.

C’est évidemment disputé. Au contraire, le groupement Visa (qui se rémunère sur les transactions et les retraits par cartes bancaires), se félicite. Visa parraine les Jeux Olympiques. Même les Jeux paralympiques lui seront profitables. Le niveau de dépenses des visiteurs sera d’autant plus élevé que Londres est une ville chère. Les visiteurs dépenseront deux fois plus à Londres par rapport à Athènes. On se demandait encore pourquoi les Athéniens sont atteints par un plan d’austérité… C’est qu’ils n’ont pas su faire assez rétribuer Visa par les touristes de leurs Jeux olympiques.

Les magasins John Lewis (souvenirs, paraphernalia ou fourbi frappé du sceau de la couronne d’Angleterre, plans de ville, &c.) mettront en vente des épinglettes à quatre livres pièce (4,6 euros) et des paquets de cartes à jouer en acier inoxydable à 685 euros (édition limitée). Les mascottes Wenlock et Mandeville (Mandeville étant la mascotte des Jeux paralympiques) devraient bien sûr s’arracher en versions acier, résine, gonflable, &c. Le logotype des JO londoniens, qui a coûté 400 000 livres, associé à ces Teletubbies sportifs, en justifieront le prix : douze livres pour deux porte-clefs assortis à des anneaux de poignet en caoutchouc teinté. Premier prix pour un stylo : dans les cinq livres. Les écoles seront mises à contribution : pour une petite visite d’acteurs revêtus de leurs tenues de mascottes, comptez £ 850 (dont un petit dixième ira aux assureurs). Vous retrouverez ces mascottes sur des étiquettes de cheddar, de sablés, de confiture, &c., d’une multitude de produits aux prix majorés.

Le Comité national olympique et sportif français a renoncé à une candidature pour les JO 2020 mais ne désespère pas de voir la France l’emporter ultérieurement. Eh, c’est que les Françaises et les Français brillent en slopestyle, peut-être en snowboard en slalom parallèle, ou en relais par équipe en luge, les nouvelles disciplines olympiques des JO 2014. Pour ce faire, le CNOSF demande un relèvement du plafond du prélèvement prévu sur les recettes de la Française des Jeux afin de le porter de 24 à 26 millions d’euros jusqu’en 2015. Les jeux financent les Jeux. Mais pas que les jeux.

Les parrainages se répercutent aussi sur les prix à la consommation.

Les sociétaires des Banques populaires et des Caisses d’Épargne sont bien sûr associés aux décisions de la direction du groupe BPCE (Natixis, Crédit foncier, Banque Palatine…) qui reconduit régulièrement son parrainage du CNOSF. Le groupe BPCE n’a finalement que 2,8 milliards d’euros d’exposition en Italie : de quoi encourager une candidature de Rome aux prochains JO 2020 après avoir soutenu la candidature d’Annecy.

Tout le monde est mis à contribution, mais personne ne « moufte » : nous avons plus intéressant à débattre, ainsi du défilé militaire du 14 juillet sur les Champs Élysées. Un débat « enflammé » comme le titre Libération. Les militaires – la Grande muette – n’aboient pas, mais les flammes olympiques passent. Un tsunami peut éteindre (elle brûle pourtant encore…) une centrale nucléaire, pas l’espoir olympique de se remplir les poches. Pour l’eau de refroidissement des centrales japonaises touchées, le principe des vases communicants s’applique, et les mers sont polluées. Cela fonctionne dans les deux sens (les produits de la mer pollués finiront dans les assiettes). Pour la manne olympique, c’est aussi censé fonctionner dans les deux sens. On peut y croire, en tout cas.

Bizarrement, les Coréens du Nord, qui souffrent de la famine, non pas manifesté bruyamment leur déception de ne pas être coorganisateurs des JO de Pyeongchang : seuls leurs dirigeants ont protesté. Étonnamment, l’Asahi Shimbun (quotidien japonais) relève que le Comité olympique japonais « ne jouit pas d’un fort soutien de la part des citoyens japonais » et que rien ne garantit « que les résidents de Tokyo, ou du Japon dans son ensemble, supporteront la candidature de Tokyo. ».

Au grand dam de Jacques Rogge (pdt du CIO), qui aurait aimé faire monter les enchères, l’Afrique du Sud a préféré investir dans des infrastructures de base (électrification du pays, desserte en eau) plutôt que de se porter candidate pour les JO de 2020. Comme l’avait dit Nicolas Sarkozy, l’homme africain rechigne à « entrer dans l’histoire », dirait-on. Funeste humilité : l’homme, africain ou autre, ne se nourrit pas que de pain. La Rome des jeux (et paris en ligne) est moins timorée.

Il est vrai que Rome engagerait moins de frais que d’autres pour se doter d’une mascotte : Ruby (Karima Keyek, l’escorte de Silvio Berlusconi) pourrait prêter sa silhouette. Mais est-il bien certain que les Romaines seraient si bien disposées à soutenir le bunga-bunga olympique ?

La roue de l’austérité commence cependant à peser sur les finances du CIO et la BBC renâcle à consentir à présent un nouveau relèvement de ses droits de retransmission des événements olympiques tandis que Sky News ne semble pas trop ardente à surenchérir. Les télévisions allemandes, italiennes, espagnoles et françaises seront donc plus activement sollicitées. France Télévisions a déjà acquis les droits des Jeux de Londres, de ceux d’été de 2016 et 2020 et d’hiver 2014 et 2018. Ceux de vente à l’étranger d’une manifestation citoyenne préconisée par Éva Joly le 14 juillet auraient bien du mal à compenser, même en invitant des majorettes nord-coréennes à y participer. Mais sait-on jamais ? La Française des Jeux nourrit  peut-être des perspectives de paris sur le twirling bâton.

Heureusement, beaucoup moins que pour les activités sportives, les banques et les assurances sont moins intéressées par les défilés militaires. La rentabilité pour elles d’un défilé comme celui du 14 juillet reste sans doute très faible. Pour les JO de Tokyo, Rome ou Madrid, elles décideront : endetter un pays est parfois risqué, surtout s’il doit déjà faire face à de forts engagements, mais cela peut être juteux. Les Japonais, Italiens ou Espagnols entérineront leurs décisions : le sport, c’est comme les parades militaires, sacré, et les intérêts moraux dépassent de loin les soucis immédiats des populations…