Longtemps considérés comme des organes à caractère essentiellement social, les CE sont aujourd’hui de plus en plus audibles au sein et au dehors de l’entreprise. Le contexte social et économique, l’augmentation des compétences de leurs membres et leur volonté de peser laissent apparaitre l’émergence d’un organe de contre-pouvoir interne.

Le plan social de Viveo a été annulé : la cour d’appel de Paris a estimé en mai dernier que « la procédure de licenciement collectif engagée par la société Viveo France le 10 février 2010 n’est pas fondée sur un motif économique ». Un camouflet pour l’éditeur de logiciels bancaires, une victoire pour son comité d’entreprise qui avait engagé une procédure judiciaire contre la direction de Viveo France, suite à ce plan social déclenché quelques semaines après le rachat de l’entreprise par le suisse Tenemos fin 2009. Le cas n’est pas exceptionnel, et illustre le nouveau droit de regard qu’entendent mobiliser les salariés sur la vie de l’entreprise. Dans un contexte social tendu de crainte pour l’emploi et de méfiance à l’égard des directions, de telles décisions pourraient continuer de fleurir.

Pourtant, le fameux « CE » a longtemps été considéré au mieux comme un sympathique distributeur de chèques cadeaux et de programmes à destination des enfants d’employés, au pire comme un dangereux frein à la croissance de PME s’auto-stabilisant à 49 employés pour ne pas dépasser la barre fatidique au-delà de laquelle le CE devient obligatoire. Le CE joue pourtant dans le vie de l’entreprise un rôle unique et de plus en plus nécessaire : assurer la représentation des salariés auprès de leur employeur, et garantir un droit de regard de ceux-ci sur les décisions économiques du chef d’entreprises. C’est dans le cadre de cette procédure de consultation que les salariés peuvent transmettre leurs demandes, notamment dans le cadre de la politique d’achat de l’entreprise, ou de la mise en place de démarches citoyennes et éco-responsables.  Depuis 1982, et le vote des lois Auroux, les CE disposent d’un outil de pression et de défense puissant : le droit d’alerte.

Le droit d’alerte permet aux membres d’un CE d’exercer un contrôle sur la santé d’une entreprise, en exigeant des explications à l’employeur tenu d’y répondre ; en demandant une expertise auprès des tribunaux, voire en récusant le commissaire aux comptes de l’entreprise. Enfin, en cas de recours jugé abusif aux contrats de travail temporaire, le CE peut demander l’expertise d’un inspecteur du travail. Le contexte social tendu pousse les CE à recourir de plus en plus à cet outil, permettant de soumettre à la justice une décision du patron.

Outre le cas Viveo, le CE de Rfi est parvenu à faire examiner un plan social par la cour d’appel de Paris également : la décision mettait fin à une grève de plus de six mois entre les salariés et la direction de Radio France internationale. Mais le poids du CE ne s’arrête à ses prérogatives légales : l’opération de rachat-vente des Echos et de la Tribune, lancée par Bernard Arnault, patron de LVMH en 2007, n’était pas passée inaperçue. Les comités d’entreprise des deux titres de la presse économique avaient structuré en interne un mouvement de grève, du jamais dans des rédactions réputées pour leur retenue, le CE des Echos portant plainte pour délit d’entrave contre le groupe Pearson, alors propriétaire du titre. Si les avis juridiques leur ont été défavorables, la capacité de mobilisation et de communication extérieure par des personnels spécialisés (les journalistes) avaient éclairé la transaction sous un mauvais jour pour le président de LVMH.

Plus récemment encore, le CE de Speedy a été saisi de la perspective de revente de l’entreprise par le japonais Itochu. Face aux différents prétendants, le CE a fait entendure sa voix, et cherche à peser pour une décision favorisant la continuité de l’exploitation, notamment en conservant sa confiance à l’équipe dirigeante et en rejetant les offres purement financières.

Ces cas illustrent les deux registres mobilisables par les salariés par le CE en cas de conflit : l’outil juridique du droit d’alerte, et l’outil symbolique de la représentation de l’entreprise au sein de l’espace médiatique. Dans des bras-de-fers opposant dirigeants aux employés, le CE apparaît comme l’acteur le plus légitime pour « incarner » l’esprit et le bien-être de l’institution face à la logique purement financère.