Une bible moralisée, dénommée parfois bible des pauvres (d’esprit, pauperes spiritu), est une interprétation graphique d’une bible (souvent d’une des versions du Nouveau testament) qui se caractérise selon divers critères. Je viens de recevoir de l’éditeur Moleiro une brochure relative au fac-similé de la Bible moralisée de Naples. Comptez entre 4 000 et 7 000 euros l’exemplaire… C’est un peu plus cher que Les Écritures : les aventures de Dieu (ou du Petit Jésus) par Cavanna (préférez l’édition Livre de Poche), mais c’est parfois aussi rigolo.
Parmi les bibles historiées (illustrées), dont l’ouvrage Manuscrits de luxe exécutés pour des princes et des grands seigneurs françaisdu comte Paul Durieu nous donne deux définitions (bibles ornées d’images ou bibles en images), il en est d’allégorisées en langues vernaculaires, que l’on dénomme « moralisées » ou « des pauvres ». Les deux appellations peuvent se concevoir synonymes puisque leurs commanditaires étaient souvent des suzerains ou des princes qui n’étaient pas, hormis le bon roi René d’Anjou et quelques autres, notamment Matthias Corvin le Juste de Hongrie, de « grands clercs ». Par « moralisation » on entendra « commentaire », qu’il soit graphique ou textuel. Leurs dispositifs sont fort divers, tout comme leurs empagements, et elles peuvent comporter des variantes au fil des pages, lesquelles seront ou non assorties de quelques phrases censées rendre plus limpide le message des illustrations reproduites. Je n’ai pas trop compris pourquoi les quatre auteurs de la page francophone de Wikipedia ont voulu absolument laisser penser qu’une biblia pauperum serait « une forme simplifiée de la Bible (sic pour la capitale) moralisée des siècles précédents ». Cette page de l’encyclopédie en ligne, qui tend à laisser croire que de telles bibles comporteraient « au centre de chaque page (…) un dessin », ce qui est une contre-vérité très approximative, et auraient été utilisée « pour l’instruction religieuse des illettrés », est un ramassis d’à peu près. Cela étant, participant à Wikipédia et ayant collaboré à une autre encyclopédie (d’où le franc mépris à mon égard de certains quasi-permanents de Wikipedia qui sont d’autant plus snobs qu’ils restent des amateurs), je mesure la difficulté de la tâche. Mais je salue la prudence des auteurs de la version hispanophone qui emploient le commode « generalmente » pour évoquer la structure (ou dispositif) de tels ouvrages.
En général, les pauvres n’avaient que les vitraux pour s’instruire de la religion catholique romaine, mais, effectivement, progressivement, on peut estimer que certaines techniques d’impression (gravure sur bois puis typographie) aient pu mettre certains exemplaires à la portée de bourgeois et d’ecclésiastiques de moindre rang qu’un évêque, une abbesse ou un prieur. Je doute un peu que ces bibles aient fini par être rendues accessibles aux curés des paroisses (ce qui sera le cas des divers specula humanæ salvationis – non, ce n’est pas le pluriel de speculoo – dits « livres des laïques » ou autres miroirs de l’âme), mais je ne l’exclurais pas tout à fait : je n’y étais pas, faute d’être né, et peut-être pour d’autres raisons encore (aurais-je fréquenté les curés ? Allez savoir…).
De même, j’ai des soupçons sur la morale des commanditaires de telles splendeurs : lancer une édition était peut-être seulement ou surtout un moyen de faire de l’épate et proclamer la solidité de son capital (cela pouvait valoir une notation AAA, comme, plus tard, pour les andouillettes) ou encore une façon de se concilier un influent évêque ou abbé. Possiblement, le grand âge ou la maladie venue, cela saurait valoir des indulgences en cédant au chantage d’un religieux soucieux de donner de l’ouvrage à tel ou tel atelier ou scriptorium.
Cela étant, qu’il existât de pieuses reines et princesses, des suzerains pas trop féroces et sensibles à l’humanisme chrétien, n’est pas totalement à exclure : la chrétienté n’a pas eu que des conséquences néfastes et sa prétention à un rôle civilisateur n’est pas toujours outrancière, du moins systématiquement hypocrite ou fallacieuse.
Ce qu’il y a de cocasse avec ces ouvrages, c’est qu’ils étaient parfois réalisés par des analphabètes ou des ouvriers et artistes bien peu congrus ou férus d’historiographie religieuse. Ce serait le cas, selon Mario Schiff, auteur de La Bibliothèque du marquis de Santillane, d’un compagnon espagnol qui aurait « ajouté au modèle les prologues de saint Jérôme, afin de compléter un peu l’aspect du livre, dont le sens véritable lui échappait » (à propos du manuscrit de Madrid, dit Berger, qualifié de « bible moralisée, mais sans images (…) remplacées par une description si exacte, (sic pour la virgule) qu’on ne pourrait désirer mieux. ».
Les artistes ou copistes chargés de ces ouvrages étaient plus ou moins bien supervisés, et certaines illustrations ne manquent pas de sel. Ainsi de ce « Sémiramis dans les jardins suspendus de Babylone », issu d’un des specula (sing. speculum) réalisés par un certain frère Nycolaus. Sémiramis devait se rendre dans ses jardins en montgolfière, parachute ou peut-être par une échelle qu’on retirait le temps de son séjour (pas vu de pinceau, même subliminal, dans l’image). Le même copiste ou enlumineur, ou l’un de ses aides, voire une moniale d’un couvent voisin, utilisait des phylactères un peu trop étroits pour le texte auquel ils étaient destinés (ainsi pour un festin de Balthazar).
Mais revenons-en à cette Bible de Naples dont plus de vingt images se trouvent sur le site de l’éditeur (http://www.moleiro.com/fr/livres-bibliques/bible-moralisee-de-naples/images.php). Déjà, ne pas la confondre avec la Bible de Naples de la bibliothèque nationale autrichienne. Il s’agit de l’exemplaire de la BNF que j’ai renoncé à retrouver sur Gallica (.fr). Ce serait une copie de l’original commandé, vers 1420 selon Moleiro d’une main – de papier –, par Robert d’Anjou, dit Le Sage. Il existe plusieurs bibles angevines de Naples et divers Robert d’Anjou. Ce qui m’étonne, c’est que Wikipedia anglophone attribue la cote ms. fr. 9561 à une autre bible napolitano-angevine, celle de Yolande d’Aragon, veuve de Louis II d’Anjou, qui aurait été, toujours selon Wikipedia, réalisée à Bologne. Or, l’un des volumes de la Bibliothèque de l’École des Chartes attribue cette cote à une Bible en images « dont Jean Porcher, après Émile Mâle, a démontré qu’elle avait été utilisée par le maitre de Rohan dans l’illustration des Grandes Heures du même nom… ».
En fait, tout s’explique… bizarrement. La brochure de Moleiro s’accompagne d’une A4 recto-verso qui stipule : « La Bible (…) est la seule copie italienne (…). Réalisée à Paris vers 1420… ». Tandis que la brochure elle-même indique : « La Bible (…), commandée par Robert le Sage a la fin de son règne et achevée au début des années 1350 sous celui de sa petite fille Jeanne… ». Il y a quelque chose qui cloche là-dedans, je me préserve d’y retourner immédiatement car j’estime que j’ai mieux à faire.
Ce qui précède n’était pas tout à fait exempt de publicité. L’ancien représentant pour la France de Moleiro était d’une parfaite courtoisie à mon égard, le nouveau m’a relancé pour que je fasse état des productions de sa maison, et je lui ai, j’imagine aimablement, répondu que, franchement, je n’avais plus les moyens ni d’en assurer la réclame, ni bien évidemment d’en être acquéreur. Toutefois, histoire de, peut-être, continuer à en recevoir les très belles brochures, je me fends de ce qui précède. C’est vénal ? J’assume !
Au haut (hiatus) de ce billet, cela aurait été discourtois de l’indiquer aussi clairement. Faire état de ce hiatus (au sens dérivé de décalage, voire lacune, et non d’orifice anatomique) est quelque peu impertinent, mais si Moleiro ne me le pardonne pas, vous serez, vous, sans doute plus indulgents.
Je n’ai pas trop compris non plus pourquoi la tranche de ce « presqu’original » (tournure de mon cru qu’on peut considérer fautive) s’orne de logotypes primo-napoléoniens (à moins que ce ne soient ceux d’un aiglon ou d’un prince impérial, mais je ne crois pas cela) et de la mention « Bible en figures avec explications ». Cela découle sans doute du fait que, à l’époque de l’acquisition (ou du vol en Italie) de l’ouvrage, la Bib. nat. se dénommait la Bibliothèque impériale. Ce serait en tout cas une « bible illustrée et toute figurée à ymages ».
L’intérieur est assez poilant, comme pourrait l’écrire Luc Décygnes, duCanard enchaîné, qui a récemment distingué « du poil aux pattes » à la cantatrice Anna Stéphany (interprète de Rosina dans le Figaro, Il Barbiere di Siviglia, de Rossini). Fallait l’oser. Ces cathos d’antan crachaient le morceau en campant des moines avides de livres tournois, de catins et de bonne chère. En d’autres livres d’heures, on voit des scènes saphiques, de sodomie, &c., et là, carrément une condamnation de toute œuvre de chair (assimilée à de la luxure). L’église catholique romaine, si servile à l’égard de tout pouvoir temporel, n’en critique pas moins certains excès, comme ceux de ce nobliau faisant piétiner un gueux sous les sabots de son cheval, une bourgeoise flanquant un coup de pied (nu) à un valet (à moins qu’il ne s’agisse d’une stigmatisation du fétichisme, allez savoir…). Marie et son époux Joseph font couche commune mais en pyjama et chemise de nuit (d’époque), les diables aux pieds palmés et fourchus sont velus à souhait, l’un des deux larrons de la crucifixion rend au diable une âme figurée sous la forme d’une sorte de chauve-souris, &c. Extrait : « Le corbeau sur sa charogne, ici un cadavre de ce qui semblerait être un bouc (…), c’est le mauvais moine sur la charogne de ce monde où il mange de mauvais morceaux après avoir fait fi de la parole de Dieu. ». Ce genre de texte serait de Marianne Beyssière (BNF) ou d’Yves Christe (u. de Genève) ou de je ne sais quel Catalan et j’ignore quel traducteur ayant pompé leurs textes.
Moleiro a dû troquer les droits de reproduction contre quelque 70 exemplaires destinés à la BNF. Le public peut se partager les 987 autres. Ceci, et le fait que les pages sont plaquées d’or fin comme des cadres de miroirs (de l’âme, si vous voulez), explique en partie cela, soit un prix variable en fonction de la date de commande mais qui n’est pas à la portée du moindre impécunieux (il en est de même de toute reproduction d’incunable, hélas).
Je ne sais si les sémiologues se sont suffisamment intéressé à ces livres, mais il existe un revue Sémiotique et Bible et j’y lis, sous la plume de Jean Delorme, « les textes forts se reconnaissent à la résistance qu’ils opposent aux interprétations dans lesquelles on voudrait les enfermer. Ils entretiennent une quête qui demeure insatisfaite quand on ferme le livre. Le lecteur est poussé dans la direction ouverte par le texte et provoqué à parler ou écrire à son tour. La Bible en est la preuve avec ses lectures, ses traductions et ses commentaires toujours recommencés. » On ne saurait mieux dire. La Bible, enfin, une bible parmi d’autres, a été adaptée en BD (notamment pour les éds Delcourt). C’est un peu dommage qu’il n’ait pas été adopté un type d’organisation semblable en partie à celle de Naples : on verrait en haut de page une sorte de Mubarak s’en prenant aux coptes, et en bas de page, des diables asservissant des catholiques surpris à regarder des émissions de téléréalité coquines. Ou une arche de Noé en médaillon supérieur, et des curés ou des frères enseignants (ensaignants conviendrait mieux) pédophiles en pied de page. Bon, j’arrête là : on va encore me taxer d’antichrétien primaire (une redondance, ce que j’ai fait remarquer à Charles Duchêne, de BTF Concept, à propos de son antisarkozisme, mais je n’en revendique pas moins l’appellation), et je m’en dispense fort volontiers. Utilisez plutôt : bouffeur de curés non-anthropophage (sauf en cas d’absolue nécessité, andine ou moins exotique).
Pourquoi ce texte sous la rubrique « Poésie et littérature » ? Ben, déjà, les facteurs et factrices à pied ou à Mobylette (un ou une facteure cheval motorisé·e) sont souvent des auditrices et auditeurs de [i]France Cul[/i] et [i]France Mu[/i]… Quelque part, un peu fat et cuistre, je me targue de donner dans la littérature populaire de xième sous-sol (prononcez : d’ixième).
La diffusion de la Bible a commencé après le bucher (PAS catholique !)
de Jean Hus à Constance en 1415 et avant la relecture de Luther,
qui a mené à ce que l’on sait.
Réalisée à Mayence entre 1452 et 1455 sous la responsabilité
de Johannes Gutenberg , la bible de Gutenberg se compose de
deux volumes Elle reproduit le texte de la Vulgate,
la bible latine traduite par Jérôme :
l’Ancien Testament occupe tout le premier volume et une partie
du second, qui contient aussi l’ensemble du Nouveau Testament.
(Jan Hus ou Jean Huss est un théologien, un universitaire et
un réformateur religieux tchèque qui a été supplicié par la
« prostituée romaine »).
(Jérôme traduit l’Ancien Testament à partir d’un original hébreu
proche du texte massorétique, à Bethléem entre 392 et 405).
Oui, Veritas, tout dépend ce qu’on nomme au juste « bible ». Dans ce cas (diffusion du texte entier), les bibles historiées ne seraient pas des bibles pour la plupart.
Je connais assez bien celle de Gutenberg (pour en avoir examiné l’empagement et divers trucs, sur PDF).
et puis Jef , quant à [b]MORAAALIZER[/b] le kapitalisme ,
c’est aussi une fab’l pour les simplets !!!!
Une FAB’L du PRESTIGITATOR QUI EMARGE AU MEDIATOR !!!!
[b] »VOUS N’AVEZ QU’A D’MANDER A LA JUSTIC’ QUI Z’ENQUET’ !!!!! »[/b]
sur gallica: http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7200010r
@Jef,
article passionnant merci de partager votre érudition.
[quote]les pauvres n’avaient que les vitraux pour s’instruire de la religion catholique [/quote]
ils avaient aussi à leurs portées les fresques peintes sur les murs des églises,et la statuaire, voici un lien d’une vidéo qui explique très bien les procédés:[url]http://www.kewego.fr/video/iLyROoafIX5M.html[/url]
Merci, Gui et Raisinfraise, pour vos appréciations et vos liens…