L’ennemi intime

Courageux mais terriblement décevant. J’aurais voulu aimer ce film.

D’une part parce que c’est un film de Florent Emilio Siri, le réalisateur qui a prouvé avec le miracle « Nid de guêpes » que le cinéma français, lorsqu’il va chercher les meilleurs références d’un genre (Assaut de Carpenter et le John Mac Tiernan des grandes années) et qu’il a l’intelligence de ne pas les plagier bêtement en espérant faire illusion mais qu’il choisit au contraire des les adapter et de les moderniser, en un mot quand le cinéma d’action français perd son complexe d’infériorité et joue à fond la carte de la passion et bien, il est capable de faire aussi bien voire même mieux que le cinéma américain.

Pour moi « Nid de guêpes » est un des films les plus importants de ces dix dernières années et j’espère qu’à l’avenir, il sera considéré comme un classique du film de genre comme ceux de Melville pour la France et de Carpenter pour les Etats Unis.

 

D’autre part, parce que Siri aborde plutôt frontalement la question toujours problématique des « événements » en Algérie -ah pardon depuis 1999 on a le droit d’écrire « la guerre »- avec l’ambition d’en faire un putain de film de guerre qui n’aurait pas à rougir face, une fois de plus, aux références américaines du genre.

Juste pou clarifier un point, il est vrai que « L’ennemi intime » n’est pas le premier film tourné sur la guerre d’Algérie, loin de là. Récemment, il y a même eu « La trahison ». La différence et c’est là qu’il rejoint « Indigènes » mais si le sujet n’a rien à voir, c’est que ces films ont pour vocation de toucher le grand public d’organiser une prise de conscience générale sous des airs de divertissement.

Programme ambitieux auquel j’aurais adoré souscrire et que j’aurais encore davantage aimé vous recommander.

Je n’ai aucun scrupule à vomir sur un film quand celui-ci prend ouvertement le spectateur pour un con ou un abruti au choix et qu’il affiche avec un grand sourire cynique sa seule fonction de machine à piquer le blé des blaireaux qui ont trop peur ou pas envie de découvrir quelque chose qu’ils ne connaissent pas.

Par contre, le cas de conscience se pose quand le film est clairement le fruit d’une démarche intègre, voire courageuse et qu’il contient malgré tout son lot de scènes qui valent le détour. Ceci dit si un maçon, d’aussi bonne volonté et sympathique soit il, me fait un mur bancal, je lui dirais de revoir sa copie. Etre artiste, c’est avant tout être artisan (beau sujet de bac de philo ça)

Qui aime bien châtie bien

Etc…

Voilà ma conscience apaisée (comme quoi ce n’est pas trop difficile).

Le principal problème de « L’ennemi intime » c’est qu’il ne trouve pas un point d’équilibre entre le schématique et le complexe. Les personnages principaux par exemple ont tous une psychologie à la complexité caricaturale. Le pétage de plomb du jeune lieutenant idéaliste confronté à l’horreur de la guerre, on le voit venir dès le début (Grosse Symbolik du costume blanc souillé par la poussière à l’arrivée), de même qu’il est évident que la froide impassibilité du sergent masque de véritables fêlures. Conclusion : la question n’est pas vont ils basculer mais quand ?

Premier problème car justement la force des grands films de guerre à portée morale, c’est de faire en sorte que le spectateur n’ait jamais un temps d’avance sur le héros auquel il s’identifie. Plongés tous les deux en enfer, ils se prennent la réalité en pleine face au même moment.

Dans « l’ennemi intime », le spectateur pas trop con a toujours un temps d’avance sur les dilemmes moraux des personnages.

Pourtant ce n’est pas la subtilité qui fait défaut. Plusieurs scènes restituent à merveille et très finement la complexité de cette guerre qui était tout sauf « drôle » : la discussion entre le capitaine et le lieutenant (comment un ancien résistant torturé par les nazis peut il reproduire la même chose dix après dans le rôle du tortionnaire ?), le personnage du brave harki à la cicatrice qui se bat en soldat sans se poser de questions, la scène d’exécution du prisonnier à la médaille, la plus réussie du film d’ailleurs car il s’agit de la seule où, jusqu’au bout, plane le doute sur son issue.

Est-ce la faute aux acteurs (Magimel et Dupontel pourtant capables de beaucoup de subtilité en font des tonnes) ou à l’écriture (ah la scène avec les mulets et les femmes, c’était gros comme une maison) mais le résultat est là : l’enjeu moral est mis à distance

L’autre problème ce que le film s’autorise à montrer.

Il montre et c’est salutaire toute l’horreur de cette sale guerre et les techniques qui y furent employées et sur lesquelles la France entière a préféré fermer les yeux pendant de longues années : l’usage du napalm (pardon des « bidons spéciaux ») pour une scène tétanisante, la torture à la gégène émotionnellement violente mais dont la répétition atténue l’horreur. Etait ce pour faire comprendre au spectateur que comme ces soldats, il finit par s’habituer à tout même au pire ? Je ne sais pas.

Mais pour moi la scène qui porte en elle la plus grande dénonciation et la plus grande force dramatique est celle où le lieutenant se retrouve dans un cinéma et assiste à la projection des actualités Gaumont. Ici se retrouvent symboliquement face à face : le mensonge propagandiste d’Etat et l’horreur de la réalité que le visage fermé de Magimel traduit avec une force incroyable.

Ce que je ne comprends pas en revanche, c’est pourquoi le film s’obstine à faire des ellipses sur les exécutions sommaires et principalement sur les massacres de civils.

J’ai eu l’impression- et j’espère qu’elle est fausse- que le film ne s’autorisait à montrer dans le détail uniquement que ce qui était officiellement admis et sur lequel il y a déjà eu un large débat : la torture à la gégène et les bombardements au napalm.

L’inconscient de la France, cette bonne vieille patrie des Droits de l’Homme et du ministère de l’Identité Nationale, n’est il pas prêt pour certaines images ?

Je me pose la question.

 

Heureusement, il y a une question qui ne se pose pas, c’est celle de la virtuosité technique et de la maestria dans la mise en scène de Florent Emilio Siri. Je dirais même qu’elle a gagnée en amplitude et en profondeur. Une chose est sûre : les combats de « l’ennemi intime » sont filmés de manière absolument brillante, viscérale et leur âpreté devraient faire honte à toutes les reconstitutions françaises molles qui envahissent nos écrans à intervalles réguliers dans lesquels trois fantassins s’échangent des champ/contrechamp par fusils interposés.

Si c’est le seul argument susceptible de vous motiver pour aller voir le film, allez y sans crainte, vous ne serez pas déçus. Mais si comme moi, vous êtes des délicats et que vous voulez de la finesse psychologique en plus, passez votre chemin.

 

L’ennemi intime : un si beau titre. Un titre si juste.

Vraiment dommage.

 

 

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