L’enfarineur enfariné…

L’enfarinage que nous avons tous subi la soirée ou la nuit dernière, c’est celui de Port-Saïd : plus de 70 morts, des centaines de blessés, et cela pourrait arriver un peu partout dans le monde, le nôtre, de notre fait aussi. Mais le geste de Claire Seguin, qui a déversé du froment sur la tête et le costume de François Hollande n’est pas non plus anodin. J’aurais pu être cette enfarineuse, j’aurais pu être cet enfariné…

N’y voyez nulle forfanterie : j’aurais pu être ainsi « empoudré » moi aussi, sans doute pas lors d’un mitinge de candidat à la présidence de la République, mais éventuellement dans une réunion publique quelconque. Une carrière politique m’était entrouverte, j’ai choisi une autre voie. Laquelle m’a conduit à éprouver maintes fois la tentation de rejoindre l’entartreur, Noël Godin (que je salue amicalement au passage), ou d’agir comme Claire Seguin qui a poudré la chevelure de François Hollande. J’ai préféré fonder le PrOuT (Parti de rien, revenu de tout), dont je reste l’éternel non-candidat perpétuel et le sempiternel præsident maréchal propagandiste (pourquoi se contenter d’une « généralité » ?) ainsi que, concéderai-je, l’unique membre… à vie. Népotisme, je t’incarne, au moins en ma faveur.

À la nation !

C’est en cette éminente qualité que, Chères Compatriotes, Chers concitoyens, je m’adresse à vous ce matin, partageant vos souffrances : il fait plus que frisquet. J’ai haussé le chauffage, non point au confortable, mais à ce compromis qui rend la facture de gaz encore supportable. Je jouis donc d’un toit. Moins dû à mes plus durs labeurs rétribués une misère qu’à d’autres, certes ardus, mais considérablement mieux rémunérés, au nom de je ne sais trop quoi. Je suis comme la plupart d’entre vous, à la différence que peu, comme moi, ont dû au moins deux-trois furtives fois, mendier, soit de quoi se nourrir, soit l’hospitalité. Je réagis envers mes ex-compagnes ou compagnons de misère tout comme vous : je donne ou non quelques sous, au gré de l’impulsion du moment. En revanche, nul que je fréquentais un peu, ayant frappé à ma porte, n’est reparti sans avoir été restauré ou de quoi mieux survivre au moins jusqu’au lendemain.

Oh, certes, il m’est arrivé de signer des pétitions, de participer à des manifestations. En anonyme ou non. Mais je ne me souciais guère particulièrement de Claire Seguin : les causes soutenues avaient certes quelques rares visages, de plus ou moins proches… Mais, « bizarrement », plus mes revenus étaient confortables, moins ils m’étaient proches, et inversement. Je ne m’en sens pas moins qualifié pour m’adresser à la nation, à chacun de vous, personnellement.

Ni Hollande, ni Le Pen (ou d’autres)

Nous sommes (presque) toutes et tous des Claire Seguin en puissance. Voire, nous l’avons été quelques temps ou trop durablement. Faute à pas de chance, aux circonstances. Parfois à nos insuffisances. Si, si, nul n’est exempt. Dévissage inclus. Dérapage dont les raisons complexes ne découlent pas que de la relative indifférence dont maintes candidates et de variés candidats à des fonctions électives font preuve à notre égard ou à l’endroit de divers d’entre nos prochains.
Ni François Hollande, ni Marine Le Pen, ou tant d’autres, n’y peuvent vraiment mais…

Car ils ne peuvent régler tous les problèmes individuels, même si, parfois, leurs assistants le tentent. En leurs noms. Il est donc « normal » que la farine ou la tarte à la crème vise les têtes d’affiche…
C’est salutaire ; car valant nécessaire rappel au réel.

Réservons-nous nos invectives

Dans cet exutoire public qu’est le journal intime de Claire Seguin, son blogue, je relève cette lettre ouverte qui ne s’adresse pas qu’à l’actuel président de la République :
« Je crois que vous ne comprenez même pas ce que signifient des fins de mois difficiles : plus d’argent liquide pendant les derniers jours, des menus spaghetti/riz au lait à répétition, l’angoisse de perdre son logement si la situation ne s’arrange pas, le mépris de la société bourgeoise installée dans ses privilèges qui ne veut rien savoir et qui diabolise le chômeur, le spectacle de la misère dans les quartiers pauvres face à laquelle on est impuissant, la solitude, l’attente qui n’en finit pas… attente du chèque d’allocations, d’une réponse d’un employeur, du relevé de banque (et toujours avec angoisse…). Vos commentaires sur des vacances “modestes” en France sont une insulte pour des quantités de Français qui hésitent à prendre un café en ville de peur des frais : 1,50 euro ! ».

Plus loin : « gérer la misère prend du temps ». C’est allusion à sa propre misère valant appel général à consacrer davantage au dénuement.
« Insulte » aux Français, Européens, non-Européens, qui vivent la même chose en France.

Entre dirigeants politiques, nous nous écharpons. Gardons-nous cependant d’insulter celles et ceux dont, finalement, nos devenirs dépendent.

Circenses & panem…

Prenons un peu de hauteur. C’est en tant que Pmp du RRoUt qu’à présent, solennellement, je m’adresse à mes homologues des diverses formations et factions politiques briguant les suffrages de l’électorat. Faut-il vraiment que nous recevions un sac de farine sur la tronche pour que nous entendions enfin ce langage ?

Je sais, nous n’y pouvons grand’ chose. Comme le disait l’un du sérail, on ne peut pallier toute la misère du monde. Mais peut-être pourrions-nous tenter de nous y efforcer un tant soit peu davantage ? Il n’en va plus que de l’intégrité de nos tailleurs ou costumes et de nos chevelures. Au point où nous en sommes, un Jaurès dort en chacun de nous : nos cordons de sécurité n’y pourront bientôt plus rien, sauf à renoncer à tout contact direct avec celles et ceux dont nous briguons les suffrages.

Nous avons donné à nos peuples des jeux, où ils s’entredéchirent et se massacrent. Certes, cela fait autant de bouches en moins à nourrir, comme en Égypte. Mais peut-être conviendrait-il de leur proposer les moyens de se procurer un peu plus de pain, de feu et de lieu. Assurément aussi en allégeant les charges de notre entretien, que nous leur imposons. Cela ne suffira sans doute pas, mais l’insulte sera moins forte… et leur Chandeleur un peu plus copieuse.

P.-S. – Au moins, divers médias ont tenté, soit de donner la parole à C. Seguin (BFM, LCP), ou de s’intéresser à elle (Le Figaro et d’autres). F. Hollande, qui a plutôt bien réagi, ajoutait par après : « Il y a d’autres moyens de montrer sa contestation, je reste toujours ouvert au dialogue ». Comme Martine Aubry avec la même ? Mais bon, le cas semble un peu particulier. La presse hispanophone a repris très vite, l’anglophone un peu moins rapidement. À mon sens, les meilleures images sont celles de Ian Langsdon de l’agence EPA – European Pressphoto Agency (faire une recherche sur leur site ou les voir sur celui du Daily Mail qui évoque le “flour power”).

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !