Les nomenclatures professionnelles qui s'élaborent dans les années 1940 et 1950 définissent une hiérarchie à l'intérieur du salariat, hiérarchie fondée sur le niveau de qualification et de compétence requis pour occuper ces postes. La notion de "qualification" opère un glissement par rapport à la notion de "métier", qui renvoyait à un long apprentissage auprès d'un maître. Il existe désormais une articulation entre l'école qui dispense des formations certifiées par des diplômes et les positions occupées dans les structures de production. Cette articulation vise à être à la fois techniquement efficace et socialement juste. L'école opère une fonction de légitimation. La hiérarchie des diplômes justifie ensuite la hiérarchie des salaires. La correspondance entre position sociale et niveau scoalaire peut être utilisée contre ce système pour dénoncer l'injustice. Dans les années 1960, les enquêtes statistiques mettant en oeuvre les nomenclatures socioprofessionnelles sont massivement tilisées pour montrer que la réussite scolaire des enfants dépend largement du milieu social d'origine. Le thème de la démocratisation de l'enseignement et du poids des héritages socioculturels prend une importance très grande dans le débat social. L'école devient le lieu où se confrontent différentes manières de penser l'articulation entre efficacité et démocratie. Ce n'est pas un hasard si les débats sur l'école et l'égalité des chances sont aussi brûlants en France, depuis les années 1960.

L'égalité est un des principes de notre société démocratique. Ce principe d'égalité peut s'entendre de différentes manières. D'un point de vue méritocratique, il faut favoriser l'égalité des chances (chacun doit pouvoir accéder, suivant ses capacités et quelle que soit la position de ses parents, à l'ensemble des positions sociales). La position sociale doit être déterminée par le seul mérite des individus. L'idéal méritocratique est donc celui d'une forte mobilité sociale que l'école a pour fonction de réaliser : l'école est en effet à la fois le lieu d'une émancipation (elle organise la rupture avec la famille et le milieu d'origine) et le lieu d'une compétition équitable entre les élèves, où la réussite scolaire ne doit dépendre que des efforts de chacun. Dans les faits, l'école ne parvient pas à assurer une égalité des chances : la probabilité pour un enfant de cadre de réussir son bac est bien supérieure à celle d'un enfant d'ouvrier. Les inégalités sociales face à l'école se retrouvent à plusieurs niveaux, qu'il s'agisse de la longueur de la scolarisation, de l'orientation ou encore de la composition des classes préparatoires aux grandes écoles. La démocratisation scolaire, qui a permis une élévation indéniable du niveau scolaire des nouvelles générations, n'a donc pas supprimé les inégalités, mais les a déplacées. Selon une première approche, la proximité entre la culture scolaire et la culture des classes dominantes explique que l'école ne parvient guère à libérer les individus des déterminants sociaux de leur naissance. C'est l'articulation entre la socialisation familiale et la socialisation scolaire qui est en jeu ici. La compétition scolaire n'est pas équitable car certains individus sont socialement beaucoup mieux préparés que les autres à la façon dont on va les évaluer. Les inégalités scolaires sont le résultat de mécanismes culturels : les enfants de la bourgeoisie sont des "héritiers", au sens où leur famille leur transmet non seulement un capital économique mais aussi et surtout un capital culturel qui leur permet de convertir leurs dispositions sociales en avantages scolaires. Selon une autre approche, l'inégalité des chances est interprétée comme le résultat de stratégies individuelles des acteurs, stratégies d'investissements ou d'orientation scolaires élaborées rationnellement à partir d'un calcul coût-avantage (le coût de la poursuite des études contre l'avantage escompté du diplôme). L'origine sociale influence ces choix stratégiques.