L’archipel des Canaries, outre celui des Îles Hawaï, est le groupe d’îles océaniques le plus largement étudié dans le monde. Cependant, l’origine et l’évolution de l’archipel canarien sont loin d’être aussi bien expliquées et modélisées comme le sont les îles hawaïennes. Plusieurs pierres d’achoppement doivent être prises en compte pour en expliquer la difficulté à définir un modèle connexe à leur genèse et à leur évolution. Les complexités de la géologie des îles Canaries, dans l’Est du dit archipel, – Fuerteventura, Los Lobos, Lanzarotte, Graciosa, Montaña Clara, Roque del Oeste, Roque del Este et Alegranzia -, en particulier, sont telles qu’il est impensable, présentement, d’émettre, sur la base des données limitées disponibles les concernant, une théorie définitive assise sur l’une ou l’autre des différentes alternatives possibles.

 

Pour preuve intrinsèque, il est illusoire, par méconnaissance d’une supposée échelle séismologique et, toues les tentatives de sondages et de carottages ayant échoués au cœur des strates jurassiques, de la structure profonde de la croute océanique et de la lithosphère sous basale, d’une part, par ignorance des contraintes afférentes à la ceinture orogénique alpine, des compressions résultant des poussées antagonistes générées par les rifts, le Mid-Atlantic Ridge à l’Ouest et l’East African Rift à l’Est, poussées contrariés par la succession des failles transformantes entrecoupées de limites convergentes délimitant, en son Nord, au niveau de l’Atlantique, les frontières des plaques tectoniques Eurasie et Afrique, et des caractéristiques géochimiques et isotopiques des magmas impliqués, d’autre part, et, enfin, par insuffisance des connaissances connexes au rôle de la tectonique régionale et, par supputations, à un éventuel panache mantellique, – communément admis bien que tout autant hypothétique, ce qui est un paradoxe -, d’en pouvoir déterminer et expliciter la genèse.

 

 

Néanmoins, il est intéressant d’analyser l’information géologique existant sur toute la chaîne volcanique, – environ 1.450 kilomètres de long -, qui démarre au niveau du plateau d’Essaouira et du canyon d’Agadir, – Essaouira ou Lars seamount, le plus septentrional localisé à 800 kilomètres au Nord de la plus jeune des îles du domaine canarien, l’île El Hierro -, et qui s’achève avec les seamounts les plus méridionaux foisonnant autour du Tropic seamount, un complexe volcanique sous-marin localisé à 500 kilomètres à l’Ouest de Dajla, – aussi connu sous le nom de Villa Cisnerosarchipel Salvagens(1) et archipel des Canaries(2) -, composant le domaine canarien et, ainsi, établir certaines contraintes claires afin de réduire l’éventail des modèles acceptables pour la genèse et le développement des dîtes îles. -, une ville du Sahara Occidental, et à 650 kilomètres au Sud de l’île El Hierro, pour tenter de comprendre l’activité éruptive et les caractéristiques morphologiques et structurelles des îles, –

Chapitre I : L’Agadir Canyon et l’Agadir Basin.

 

Le Canyon et le Bassin d’Agadir sont localisés au large de la ville d’Agadir où le canyon prend naissance, et, quant au bassin, plus de 4.000 mètres de profondeur, il s’étend, entre l’archipel de Madeire et celui des Canaries, jusqu’à 500 kilomètres au-delà de la côte Nord-Ouest de l’Afrique. En ces lieux n’existant aucune limite de plaque tectonique, cette zone est classée au titre de marge passive. De fait, la croûte terrestre, dans cette région, est très stable et, bien que la micro-sismicité vulcanienne soit très active, les tremblements de terre de type tectonique, de moyenne à forte magnitude, y sont rares, d’une part, et, d’autre part, le système turbiditique montrant une rétrogradation globale d’empilement, – migration d’environ 60 kilomètres -, les sédiments, sur des épaisseurs importantes, s’accumulent sur le plateau continental et occasionnent, drainés par l’Agadir Canyon, des débordements et des dépôts lobes qui sont régis par la topographie locale, – palaeorelief drapé, monts sous-marins et une crête contourite -, et les alluvions. se soldant par le remplissage progressif du bassin et de la plaine abyssale d’Agadir, – sables, coulées de débris et dépôts turbitides -, du réseau de chenaux sous-marins et de la Plaine Abyssale de Madère, – dépôts turbitides et glissements de terrains suite à effondrements d’édifices volcaniques canariens -.

 

Ainsi, les sédiments, arrachés à l’Atlas, coulent dans le canyon d’Agadir, se déversent soit dans le bassin et la plaine abyssale de Seine où ils s’y déposent, soit dans le bassin et la plaine abyssale d’Agadir et, pour une partie d’entre eux, mêlés aux sédiments d’érosion issus des domaines de Madeire et des Canaries, drainés par un écheveau de canaux s’étendant sur 500 kilomètres de long sur environ 300 kilomètres de large, à faible pente sur une distance de 320 kilomètres, moins de 0,01%, finissent leur course dans le Bassin et la Plaine Abyssale de Madère, – 5.500 mètres de profondeur -, se situant à 1.800 kilomètres au large de la côte Ouest de l’Afrique.

 

 

Mais la présence d’alluvions émanant de l’Atlas, dans les dépôts sédimentaires de la Plaine Abyssale de Madère est une énigme géologique et la première pierre d’achoppement pour comprendre, déterminer et expliciter la genèse de la chaîne volcanique domaniale canarienne et, par extension, celle des îles Salvagens et des îles Canaries. En effet, comment pouvoir argumenter l’hypothèse que des courants de turbidité ont pu transporter des sédiments terrestres arrachés aux Montagnes de l’Atlas depuis le canyon, en passant par le bassin et la plaine abyssale d’Agadir et par l’écheveau de canaux, jusqu’à la Plaine Abyssale de Madère quand la pente de ces canaux est inférieure ou égale à 0,01%, soit une déclivité de 30 à 35 mètres sur environ 300 à 320 kilomètre de distance ? Et l’expliquer par la platitude de la pente serait une aberration totale, les sédiments, sans courant généré par une obliquité importante, se déposant à l’entrée même des dits canaux et, par voie de conséquence, les obstruant.
 
Est-il crédible de penser qu’un glissement de terrain puisse se produire sur une telle pente plane au pourcentage inférieur ou égal à 0,01% et, s’il en pouvait en advenir quand même ainsi, poursuivre sa course sur une distance supérieure à 300 kilomètres ? Admettre le bien fondé d’une telle théorie est un illogisme scientifique d’autant qu’elle serait produite, obligatoirement, en bordure océanique dans les piémonts de l’Atlas, distants de plus de 800 kilomètres, pour se déposer, en strates, sur le socle de la Plaine Abyssale de Madère :
– Certes, un effondrement colossal aurait pu déclencher un tsunami cataclysmique mais aucune coulée de cet ordre n’a été repérée, ni sur le plateau continental, ni dans les entours immédiats de Concepcion Bank et des îles de Lanzarotte et de Fuerteventura, ni dans le Canary basin. Donc, indéniablement, une hypothèse à exclure, tout comme est à exclure toute incidence résultant d’un effondrement volcanique aux îles Canaries, les couches sédimentaires d’origine atlasienne seraient pollués par des débris basaltiques, ce qui n’est point. En outre, sur la dizaine d’effondrements d’édifices volcaniques canariens, un seul d’entre eux, la formation de la baie El Julan, il y a environ 130.000 ans, se localise dans l’axe de la Plaine Abyssale de Madère et la datation des dépôts sédimentaires continentaux(3), – argiles pélagiques jusqu’à l’Oligocène, 33,9 à 23,03 Millions d’années, puis au cours des intervalles 14,6 à 10,5 Millions d’années, 7,4 à 5,6 Millions d’années, 4,2 à 3,8 Millions d’années et 1,4 à 1,2 Millions d’années -, est largement antérieure au-dit événement vulcanien.

 

 

– Certes, certains auteurs(4), pour expliquer la présence de dépôt des turbidites et de débris atlasiens dans les strates sédimentaires entreposées sur le socle de la Plaine Abyssale de Madère asseyent leur théorie sur des glissements de terrains sous-marins géants, générant des écoulements rapides entraînant des mélanges de sédiments et d’eau, provoqués par des tremblements de terre dévastateurs de magnitude supérieure ou égale à 9.0. Et pour asseoir leurs conclusions, ils charpentent leur hypothèse sur la base du séisme des Grands Bancs, un tremblement de terre de magnitude 7,2 du 18 Novembre 1929 dans l’Atlantique Nord, à environ 400 kilomètres au Sud de l’île de Terre-Neuve, d’une durée de 30 secondes. Celui-ci provoqua, sur 100 kilomètres de talus continental, un glissement de terrain sous-marin et généra, d’une part, un puissant tsunami composé de 3 vagues hautes de plus de 15 mètres chacune qui frappèrent, environ 3 heures après l’aléa séismique, la côte à une vitesse de 105 kilomètres/heures, et, d’autre part, un flux de courants de turbidité dévalant, sur une pente de seulement 0,25 %, soit 250 mètres de dénivelé sur 100 kilomètres de distance, à la vitesse frontale de 19 mètres par seconde, un flux auquel ils font intercéder le processus des grains de collisions qui réduisent la densité des particules en excès et restreignent l’élasticité de la mixture eau-sédiments. Mais les côtes du Maroc ne subissent que des séismes modérés, de magnitude maximum égale à 6.4/6.5, et le plus destructeur, au cours de la période historique, est celui du 29 Février 1960, le séisme d’Agadir, de magnitude 5.7, d’une durée de 15 secondes et, même au plan local, sans déclenchement de tsunami. En outre aucun marqueur géologique n’accrédite une quelconque possibilité de séisme de très forte magnitude, tant terrestre que sous-marin, depuis les temps immémoriaux, ni au Maroc, ni au Sahara Occidental, ni en autres lieux de la côte Ouest de l’Afrique équatoriale.

 

Les grands glissements de terrain, ne répondant à aucun modèle plausible de stratification, – certaines strates de plus de 400 mètres d’épaisseur pour les plus conséquentes -, avec des sédiments atlasiens, de la Plaine Abyssale de Madère, étant ainsi exclus, l’hypothèse d’inondations massives, de type « Déluge » biblique, se doit d’être proposée. Elles auraient lavés les terres africaines occidentales et la marge passive, le plateau et ses bassins, le talus et le glacis continental de leurs sédiments et les auraient emportés à des dizaines de kilomètres au large, des sédiments non piégés dans les bassins et plaines abyssales du Canary Basin, de l’Agadir Basin et de l’Agadir Abyssal Plain, que les courants océaniques auraient, éventuellement, transportés et déposés dans la Plaine Abyssale de Madère. Mais combien d’inondations massives auraient dû se produire depuis l’ouverture de l’Océan Atlantique, il y a 180 Millions d’années pour former les strates d’argiles pélagiques jusqu’à l’Oligocène, 33,9 à 23,03 Millions d’années, puis au cours des intervalles 14,6 à 10,5 Millions d’années, 7,4 à 5,6 Millions d’années, 4,2 à 3,8 Millions d’années et 1,4 à 1,2 Millions d’années ? D’autant qu’il ne faut pas omettre que la Dorsale Médio-Atlantique constitue un système divergent entre la plaque Nord-Amérique et la plaque Eurasie, dans l’Atlantique nord, et la plaque Sud-Amérique et la plaque Afrique dans l’Atlantique sud, que ces plaques tectoniques s’écartent continuellement et que l’océan Atlantique s’agrandit, au niveau de la dorsale, d’environ 2 à 3 centimètres par an, selon la latitude, dans un axe Est-Ouest. En outre, à la fin du Jurassique et au début du Crétacé, la largeur du-dit Océan Atlantique était de l’ordre de 800 kilomètres et la Dorsale Médio-Atlantique se localisait aux environs de la position actuelle des îles canariennes de Gran Canaria et de Tenerife, la structure géologique basaltique de la Plaine Abyssale de Madère n’étant datée que de l’Éocène Inférieur, – 54,8 à 41,3 Millions d’années -.

 

Notes.

 
(1) Les îles Selvagens, en portugais Ilhas Selvagens, « îles Sauvages », sont un archipel du Portugal situé dans l’océan Atlantique, entre les îles Canaries à 165 kilomètres au sud et Madère dont elles dépendent à 280 kilomètres au nord. L’archipel compte trois îles principales, douze îlots et huit rochers au total : au Nord, Selvagem Grande entourée par quelques îlots et rochers et, au Sud, de nombreux autres îlots et rochers dont Selvagem Pequena et l’îlot de Fora.
La plus grande île de l’archipel, Selvagem Grande, a une forme grossièrement circulaire d’un kilomètre et demi de diamètre.
(2) Les îles Canaries, en espagnol Islas Canarias, sont un archipel de l’Espagne situé dans un l’Océan Atlantique, à quelque 150 kilomètres, au Nord-Ouest du Sahara Occidental et se composent de sept îles principales : à l’est,  Lanzarote, capitale Arrecife et Fuerteventura, capitale Puerto del Rosario ; au centre, Ténérife, l’île la plus vaste et la plus peuplée, capitale Santa Cruz de Tenerife, Grande Canarie (Gran Canaria), capitale Las Palmas de Gran Canaria  et La Gomera, capitale San Sebastián de La Gomera ; et à l’Ouest, La Palma, capitale Santa Cruz de La Palma  et El Hierro, capitale Valverde ; d’îles secondaires moyennes : Alegranza, Roque del Oeste, Montaña  Clara, Roque del Este, Graciosa, formant l’archipel de Chinijo, et Los Lobos ; et d’îlets et rochers, Anaga, Garachico, Salmor…
(3) Sédimentation de la Plaine Abyssale de Madère, 8 Mars 1997, S.M. Lebreiro, P.P.E. Weaver et R.W. Howe ; et Processus sédimentaires et évolution sédimentaire du système turbiditique, Centre-Est Atlantique, 09 Avril 1997, G. Ercilla, B. Alonso,  F. Perez-Belzuz et al
(4) Coulées de débris sous-marins générés par des glissements de terrain géants, Nature du 22 Novembre 2007, P. J. Talling, R. B. Wynn, D. G. Masson et al ; et Reconstructions paléocéanographiques au cours des 40.000 dernières années : influence des facteurs locaux et régionaux sur l’accumulation de sédiments, Géologie marine du 13 Février 2003, H Kuhlmann, T Freudenthal, P Helmke et H Meggers.

 

Décembre 2011 © Raymond Matabosch

 

Deuxième chapitre de l’article : Le volcanisme énigmatique des Îles Canaries : Informations géologiques existant dans le domaine II