Par : Taoufik Ben Brik

76ff968425975bf6d7b9b461065cb060.jpgBouchez-vous le nez et dites : « Vous nous barbez ! » Car il se passe apparemment un drôle de manège entre Ben Ali et Sarkozy. Les stratèges politiques s’adressent aux stratèges politiques, les éditorialistes aux éditorialistes, un mécanisme qui tourne à fond pour vendre la révélation du printemps 2008 : la démocratie « made in Tunisia« .

Petits extraits présidentiels : « Aujourd’hui, l’espace des libertés progresse. Ce sont des signaux encourageants que je veux saluer« , a déclaré en substance le chef de l’Etat français lors du dîner offert le 29 avril par son homologue tunisien. « Ces signaux, ces réformes s’inscrivent sur un chemin étroit et difficile, celui du respect des individus. Ce chemin, aucun pays ne peut prétendre l’avoir entièrement et personne ne peut se poser en censeur (…). Je ne vois pas au nom de quoi je me permettrais, dans ce pays où je suis venu en ami, de m’ériger en donneur de leçons. J’ai pleinement confiance, Monsieur le président, en votre volonté de continuer à élargir l’espace des libertés. »

Qui dit mieux. Du Beaumarchais. « C’est le mariage du Figaro ! » s’esclaffe Ouled Ahmed, le poète tunisien du vin et de l’amour. Aucune comparaison n’est trop stupide, aucun geste trop démagogique lorsqu’il s’agit de faire croire qu’on tient enfin le « Karzai maghrébin » et qu’il n’a pas son pareil. Telle la forêt de Birnam dans Macbeth, nous inflige-t-on, la démocratie à la tunisienne s’est mise en marche. Les grincheux n’y changeront rien.

Et il importe peu que Ben Ali soit président à vie, corrompu et tortionnaire. Hélène Flautre, présidente de la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen fait remarquer que « dans la Tunisie de Ben Ali, pas un jour ne se passe sans qu’un défenseur des droits de l’homme ne soit opprimé ou harcelé…  » La récente grève du bassin minier de Radeyef et d’Oum Laarayess dans le centre-ouest du pays témoigne sans peine du désarroi tunisien.

« Il a du culot Sarkozy. Ou plutôt un bon décimètre pour mesurer ‘l’élargissement’ de l’espace des libertés« , dit Oum Ziad, la plus célèbre chroniqueuse du pays. « C’est vrai, cet espace a été élargi, mais au profit de Ben Ali et aux dépens des Tunisiens. Il s’en met plein la poche, il brigue un cinquième mandat sans souci ni tracas, et il a le don d’avoir toujours le un millième des Tunisiens sous les verrous ! » ajoute-t-elle. « La Tunisie n’étant pas le Tibet, Paris s’efforcera de ne pas irriter le chef tunisien« , réplique-t-on du côté français.

D’ailleurs, Rama Yade, la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme française, si prompte à s’enflammer sur la Libye de Kadhafi, s’est montrée peu loquace sur la réalité des droits de l’homme au pays du jasmin. « Ce n’est pas à l’ordre du jour« , a-t-elle déclaré. En tout cas, le rendez-vous initialement prévu avec l’avocate et militante des droits de l’homme Radhia Nassraoui, a bel et bien été annulé.

Pis, des journalistes connus pour être le bouclier médiatique de la Tunisie résistante ont été parqués dans un hôtel cinq étoiles (le Golden Tulip) à 25 kilomètres du centre de Tunis, comme de vulgaires attachés de presse. Christophe Ayad de Libération, Florence Beaugé du Monde, Mouna El Bana de RFI, « Régis » de France 3 n’ont pas eu même le loisir de téléphoner aux « têtes brûlées » et aux « enfoirés » du pays.

Une telle attitude choque ? Pas du tout. On s’attendait à pire. D’autant que nous avons été déjà leurrés par les prédécesseurs de Sarkozy. Mitterrand est le père de la formule « Tunisie amie » et Chirac enfante « le miracle tunisien« . « On s’attendait de Sarkozy propagandiste de première et ancien ministre de l’intérieur, une formule qui claque au vent : la Tunisie, paradis fiscal, ou Tunisie prison sans barreaux ! C’est décevant« , dit Hamma Hammami, opposant tunisien. De qui se moque-t-on. Les Tunisiens ont cru pendant un long moment que la France, terre de La Boétie, pourrait aider à la liberté. Aujourd’hui, on assiste plutôt à L’Avare de Molière.

Taoufik Ben Brik – Courrier International 9 mai 2008

Par : Taoufik Ben Brik

76ff968425975bf6d7b9b461065cb060.jpgBouchez-vous le nez et dites : « Vous nous barbez ! » Car il se passe apparemment un drôle de manège entre Ben Ali et Sarkozy. Les stratèges politiques s’adressent aux stratèges politiques, les éditorialistes aux éditorialistes, un mécanisme qui tourne à fond pour vendre la révélation du printemps 2008 : la démocratie « made in Tunisia« .

Petits extraits présidentiels : « Aujourd’hui, l’espace des libertés progresse. Ce sont des signaux encourageants que je veux saluer« , a déclaré en substance le chef de l’Etat français lors du dîner offert le 29 avril par son homologue tunisien. « Ces signaux, ces réformes s’inscrivent sur un chemin étroit et difficile, celui du respect des individus. Ce chemin, aucun pays ne peut prétendre l’avoir entièrement et personne ne peut se poser en censeur (…). Je ne vois pas au nom de quoi je me permettrais, dans ce pays où je suis venu en ami, de m’ériger en donneur de leçons. J’ai pleinement confiance, Monsieur le président, en votre volonté de continuer à élargir l’espace des libertés. »

Qui dit mieux. Du Beaumarchais. « C’est le mariage du Figaro ! » s’esclaffe Ouled Ahmed, le poète tunisien du vin et de l’amour. Aucune comparaison n’est trop stupide, aucun geste trop démagogique lorsqu’il s’agit de faire croire qu’on tient enfin le « Karzai maghrébin » et qu’il n’a pas son pareil. Telle la forêt de Birnam dans Macbeth, nous inflige-t-on, la démocratie à la tunisienne s’est mise en marche. Les grincheux n’y changeront rien.

Et il importe peu que Ben Ali soit président à vie, corrompu et tortionnaire. Hélène Flautre, présidente de la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen fait remarquer que « dans la Tunisie de Ben Ali, pas un jour ne se passe sans qu’un défenseur des droits de l’homme ne soit opprimé ou harcelé…  » La récente grève du bassin minier de Radeyef et d’Oum Laarayess dans le centre-ouest du pays témoigne sans peine du désarroi tunisien.

« Il a du culot Sarkozy. Ou plutôt un bon décimètre pour mesurer ‘l’élargissement’ de l’espace des libertés« , dit Oum Ziad, la plus célèbre chroniqueuse du pays. « C’est vrai, cet espace a été élargi, mais au profit de Ben Ali et aux dépens des Tunisiens. Il s’en met plein la poche, il brigue un cinquième mandat sans souci ni tracas, et il a le don d’avoir toujours le un millième des Tunisiens sous les verrous ! » ajoute-t-elle. « La Tunisie n’étant pas le Tibet, Paris s’efforcera de ne pas irriter le chef tunisien« , réplique-t-on du côté français.

D’ailleurs, Rama Yade, la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme française, si prompte à s’enflammer sur la Libye de Kadhafi, s’est montrée peu loquace sur la réalité des droits de l’homme au pays du jasmin. « Ce n’est pas à l’ordre du jour« , a-t-elle déclaré. En tout cas, le rendez-vous initialement prévu avec l’avocate et militante des droits de l’homme Radhia Nassraoui, a bel et bien été annulé.

Pis, des journalistes connus pour être le bouclier médiatique de la Tunisie résistante ont été parqués dans un hôtel cinq étoiles (le Golden Tulip) à 25 kilomètres du centre de Tunis, comme de vulgaires attachés de presse. Christophe Ayad de Libération, Florence Beaugé du Monde, Mouna El Bana de RFI, « Régis » de France 3 n’ont pas eu même le loisir de téléphoner aux « têtes brûlées » et aux « enfoirés » du pays.

Une telle attitude choque ? Pas du tout. On s’attendait à pire. D’autant que nous avons été déjà leurrés par les prédécesseurs de Sarkozy. Mitterrand est le père de la formule « Tunisie amie » et Chirac enfante « le miracle tunisien« . « On s’attendait de Sarkozy propagandiste de première et ancien ministre de l’intérieur, une formule qui claque au vent : la Tunisie, paradis fiscal, ou Tunisie prison sans barreaux ! C’est décevant« , dit Hamma Hammami, opposant tunisien. De qui se moque-t-on. Les Tunisiens ont cru pendant un long moment que la France, terre de La Boétie, pourrait aider à la liberté. Aujourd’hui, on assiste plutôt à L’Avare de Molière.

Taoufik Ben Brik – Courrier International 9 mai 2008

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