Au début du XIXe siècle, l'état de pauvreté dans lequel vivent les ouvriers des manufactures puis des usines suscite l'étonnement, la stupeur et bientôt la peur de leurs contemporains. Pour le décrire, le français emprunte à l'anglais le terme de paupérisme. On découvre une indigence qui n'est pas due à l'absence de travail mais à la nouvelle organisation du travail née de la révolution industrielle. Le travail ouvrier se caractérise par son insécurité permanente : "Ces populations de travailleurs, de plus en plus pressés, n'ont même pas la sécurité d'être toujours employés ; l'industrie qui les a convoquées ne les fait venir que lorsqu'elle a besoin d'elles et sitôt qu'elle peut s'en passer, elle les abandonne sans le moindre souci."(Eugène Buret). Cette indigence moderne, étroitement liée aux nouvelles exigences de productivité, marque un contraste absolu avec l'optimisme libéral du XVIIIe siècle, fort de la croyance en un "capitalisme utopique".

A la misère matérielle, s'ajoute, dans les récits, la dégradation morale. Les centres urbains sont malsains, les modes de vie des familles ouvrières y sont dégradés, les moeurs dépravées ; la promiscuité des sexes et des âges règne ; les hommes sont livrés au vice, à la violence et à l'alcool, les femmes à l'inconduite et à la prostitution, les enfants à la perversité. Aux yeux de la bourgeoisie, ces "classes laborieuses" se transforment bien vite en "classes dangeureuses" (selon le titre de l'ouvrage de Louis Chevalier). L'ordre politique et social est menacé. On peut lire dans le Journal des débats au lendemain de la révolte des canuts lyonnais en 1831 : "Les barbares qui menacent la société ne sont point en Caucase, ni dans les steppes de la Tartarie. Ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières". Dans les années 1970, après plusieurs décennies de croissance et de généralisation de la protection sociale, la pauvreté réapparaît dans le débat public à travers les figures des "nouvaux pauvres", des "précaires" et des "exclus". Les mots ont changé, la perspective aussi : c'est la question de la réintégration  des exclus dans la société qui est désormais posée et non plus celle de la menace qu'ils représentent pour l'ordre établi.

La pauvreté absolue renvoie à la définition d'un minimum vital identiques en tous lieux (la Banque mondiale fixe le seuil à 400 dollars pr an). Mais cette mesure de la pauvreté n'est pas satisfaisante. La pauvreté est en effet un phénomère relatif, variable selon l'époque et avec la société. L'INSEE considère comme pauvre tout ménage dont le revenu est inférieur à la moitié du revenu médian (le revenu médian est le revenu tel que la moitié de la population gagne davantage et l'autre moitié moins). Cependant, à la pauvreté "monétaire" peut s'ajouter une pauvreté "d'existence" (absence de biens d'usage courant) et une pauvreté "subjective" (perceptions des écarts). Depuis une quinzaine d'années, la montée de l'exclusion constitue un fait social majeur théâtralisé par les médias qui alimente une représentation binaire du monde social entre dedans et dehors. L'instauration du RMI en 1988 a conduit à banaliser l'usage de la notion d'exclusion.

Elle ne résulte pas d'une discrimination officielle (l'exclusion au sens de l'apartheid), mais d'un processus de déstabilisation. Elle est la somme d'une série de déficits d'intégration qui dépendent de conditions d'accès au travail, au logement, au savoir, … Il existe des situations d'exclusion sans pauvreté (les chômeurs âgés, les préretraités non volontaires, les personnes âgées). Dans "Faut-il croire au travail ?", Robert Castel restitue le processus d'exclusion dans le champ de la sociologie du travail : il envisage le travail "non pas en tant que rapport technique de production, mais comme support privilégié d'inscription dans la structure sociale". Il définit ainsi trois zones : "l'association travail stable/insertion relationnelle solide caractérise une zone d'inrégration. A l'inverse, l'absence de participation de toute activité productive et l'isolement relationnel conjuguent leurs effets négatifs pour produire de l'exclusion ou plutôt de la désaffiliation. La vulnérabilité sociale est une zone intermédiaire, instable, qui conjugue précarité du travail et fragilité des supports de proximité".