Non, il ne s’agit pas de vous inculquer les règles de l’étiquette d’un « Sperminator » (Dominique Strauss-Kahn vu par la presse anglophone) afin de décliner ou agréer ses avances supposées frustres. Certes, les éditions La Musardine donnant dans le leste, ce manuel de comportement aborde parfois sur un ton grivois les bonnes manières à l’horizontale. Mais son propos est plus vaste (avec les sections sur la bonne éducation des enfants, les rapports avec les indigents, la modulation des flatulences…). Étienne Liebig traite aussi de l’épistolier intime par courriel et de la correspondance professionnelle actuelle…

Ce n’est pas le meilleur Liebig, car il s’agit d’un divertissement à la fois (souvent) potache et une reprise (allégée) de certains de ses thèmes de prédilection (voir sa déjà copieuse bibliographie, accessible de partout ou presque). C’est aussi inégal, avec un long développement issu de la nomenclature des rues de Paris sur les endroits propices à s’instruire (demeures historiques), récupérer (de ses excès), et expectorer (donc vomir) puis folâtrer à proximité d’une source d’eau fraîche (fontaine Wallace, point d’eau). Comment prendre un râteau en clubs échangistes ou partie carrée puissance x ? Ou se faire maître ou amphitryonne des ébats ? Comment se policer en banlieue dans ses rapports avec la maréchaussée ? Pourquoi aborder scientifiquement le gamahuchage ? Pourquoi préserver nos enfants des malsaines influences religieuses (et de leurs ministres du culte) ?
Si la tentation de ne plus vous raser ou épiler les aisselles vous assaille, ce petit traité est pour vous, Chère Petite Mademoiselle, Chère Madame, Douce Comtesse, Divine Marquise, Veuve joyeuse ! Le fier Sicambre qui sommeille en vous aura, Jeune Homme, Monsieur, ainsi, de quoi revendiquer la maîtrise des bons usages et même du port de la rosette. L’immoralisme n’est pourtant point de mise ici mais l’amoralité des porcs et des petites cochonnes est joyeusement mise en exergue. « Chantre d’un humour vachard », Liebig aborde la grivoiserie porcine et l’aversion des convenances inculquées avec l’érudition et l’élégance que le monde entier (et en particulier ses auditrices et auditeurs des Grandes Gueules de RMC) lui reconnaît.

Je l’ai rencontré lors d’une séance de dédicaces à La Musardine entre audiences du procès Clearstream II et sidération du DSKgate. Non, ni Bordeau-Chesnel ni Monique Ranou (« la tradition du goût »), ni les fabricants de rillettes mancelles ou les producteurs de cochonnailles bretonnes (« l’an prochain à Guéméné-Penfao, notre ville sainte ! »), ne subventionnent indirectement cette somme. Quoique l’orchestre du Groland ne dédaigne pas de se joindre au grand bagad des naisseurs et engraisseurs porcins, le saxo-alto de Liebig ne se commet pas en ces équipages (ou alors, masqué).

J’imaginais qu’il s’agissait d’un livre de commande. Que nenni, c’est une idée qu’il revendique total. « Je suis assez cochon dans ma façon de penser la vie, mon imagination est peuplée de cochoncetés de jour comme de nuit. La cochonnerie sexuelle au moment où on ne contrôle plus le désir a ses limites, la cochonceté scolaire et universitaire, celle de l’art d’élever ses enfants ne s’en connaît plus guère : j’ai deux enfants reconnus – jusqu’à nouvel ordre – et sans remettre en cause tous les profs, loin de là, je fais parfois de tristes constats. ».

L’ouvrage s’adresse aussi aux jouvenceaux et jouvencelles en âge de se livrer à la bagatelle ainsi qu’aux adultes désireux de se départir d’une certaine lassitude ou d’un laisser-aller (éducatif et autre). Un auteur qui a pour projet de se livrer à un très long (s’)exercice de style, à reprendre, après Guy Breton, et Cavanna, l’histoire mondiale et locale en puisant à une centaine d’auteures et écrivains connus depuis Villon, « sous la forme d’un pastiche à la Annie Ernaux (celle d’Yvetot) », ne saurait être entièrement mauvais. Ernaux est sociologue, Liebig anthropologue (devenu mondain). Nouveau con aussi (son précédent ouvrage, Les Nouveaux Cons, fut chroniqué ici, sur Come4News, et c’est à n’en point douter la clef de son nouveau tirage par Michalon : songez à moi pour le prochain buffet dînatoire).

Les journalistes ennuient Liebig qui se lasse de lire leurs convenus poncifs : Liebig est formidable, génial, innovant, magistral, nobélisable, &c. Mais il reste indulgent : « en radio, j’en aligne aussi, parce qu’on improvise une sorte de performance… en presse écrite, il faut au moins soigner son papier et lui accorder plus de temps ». Risquant d’en ciseler un de trop, d’aligner le lieu commun superfétatoire, le topique à la trame effilochée incongru, je m’en tiendrai bien là.

Une dernière phrase bien sentie, ô maître Liebig, sur le savoir-vivre et l’hypocrisie ? « Porc, j’aime bien le son, la brièveté des quatre lettres formant une seule syllabe ; cochon a une connotation libidineuse rigolote. L’hypocrisie, c’est la règle fondamentale des sociétés humaines qui vaut garde-fou pour écarter la tentation du suicide… ». Oh, mais, ne serait-point là une récurrence devenue banalité depuis Cioran ? Comme quoi, on n’y échappe guère.

Les terribles apparentements du conventional wisdom émaillent aussi parfois la prose de Liebig : c’est la rançon de la démarche pédagogique qui ne saurait se dispenser de la répétition et de la reformulation. Les manuélistes trouveront chez Liebig une approche rafraichissante pour traiter des convenances, des bonnes (et mauvaises) manières. Son évocation lapidaire de l’histoire des civilités (depuis Xenophon et quelques prédécesseurs en passant par le médiéval et anonyme Chastoiement des dames et les tentatives post-nadiennes – de Rotschild – à nos jours) démontre la difficulté de l’exercice.

Toutefois, on trouvera « quelques règles de malséance qui réjouiront les plus malpolis et les plus libertaires ». Les mal-embouchées y trouveront aussi leur compte, les moins aseptisées des lectrices leur content. À offrir aux débutantes abordant les raouts des relais tout comme aux habitués des guides hôteliers des châteaux (bonne buvette : celle du Château d’eau, dans le dixième arrondissement parisien), mais aussi aux SDF, miséreux, démunis. Cela étant, Liebig a omis pour ces derniers et les propriétaires d’animaux de compagnie l’apprentissage du trottoir (on ne saurait lui reprocher d’avoir refusé d’outrager les péripatéticiennes en leur rabâchant ce qui leur est inculqué depuis le plus tendre apprentissage). J’aurais apprécié aussi que soient rappelées quelques commodes antiennes de l’art de la conversation (genre : « gourdin du matin, pipi sans les mains »). La question des lieux d’aisance (hormis de trop rapides allusions et bons principes) n’est que parfois trop légèrement esquissée (fallait-il l’évacuer de la table des matières… fécales et autres ?). Est-ce bien sciemment ? Ne serait-point en vue d’une seconde édition revue et augmentée ?

À déposer à portée de mains dans toutes les bonnes latrines civiles et feuillées régimentaires. Recommandé aux pensionnats de finissage helvète. Par commande de mille, une échelle mobile autotractée est gracieusement remise pour le dépôt sur les plus hauts rayons des bibliothèques.

Liebig, Étienne, Savoir-Vivre des cochons (Le), Michalon, Paris, 2011, Firmin-Didot imp., 200 p., 16 euros, couverture de Siné, illustrations de Lindingre en hors-texte pleines pages. Pas de mention des polices ni du papier employés, car absence de colophon. Not at the British Library (yet).