Ce  texte écrit par l’historien Khalifa Chater à l’occasion du Cinquantenaire de l’indépendance et publié par la revue « Afkar on line » malgré toutes ses omissions, m’a semblé le mieux qu’on puisse trouver jusqu’à présent pour rendre compte de la dynamique interne qui à conduit à la proclamation de l’indépendance de la Tunisie le 20 mars 1956.

L’examen de l’épopée tunisienne

Par Khalifa Chater – Historien/Universitaire-Tunis

– la résistance héroïque qui devait consacrer l’indépendance – se définit par un judicieux dosage de combat politique et de résistance armée. Ultime recours, la lutte armée devait renforcer le combat politique, comme argument de dissuasion, in fine. Et pourtant, face à la dure répression et la naissance de la Main rouge – organisation française terroriste bénéficiant de certaines connivences avec des éléments du pouvoir colonial – la lutte armée devint rapidement à l’ordre du jour, conjuguant des réactions spontanées et des opérations programmées. La doctrine de la résistance, s’élaborera, sur un fond traditionnel propice, sans cependant avoir l’ambition de créer une véritable armée de libération stricto sensu.

I – Le référentiel historique :
Le référentiel tunisien est, dans une large mesure, constitué par les exploits des héros de la résistance à l’absolutisme beylical puis à la colonisation française. Ghouma el-Mahmoudi qui avait incarné la révolte contre le pouvoir beylical, dans le Sud (1855-1858) et les chefs de l’insurrection de 1864 Ali Ben Ghédahim, Ahmed el-Machta et Dahmani el-Bougi, étaient devenus et sont restés des «héros de légende». Les exploits des résistants à la colonisation : Ali Ben Khalifa, Mohamed Daghbagi etc. marquaient l’imaginaire populaire. La culture politique des nationalistes tunisiens intégrait cet héritage historique, ce patrimoine non matériel qui érigeait la lutte armée en paradigme sociétal dominant. Pour les élites, formées à l’école française, ce référentiel était renforcé par les leçons d’école, relatives à la guerre d’indépendance américaine et surtout aux péripéties de la Révolutions française. Les textes d’autorité (Coran et Sounna) étaient volontiers utilisés pour fonder la légitimité du combat pour la défense de la patrie occupée et l’affirmation de la souveraineté nationale. Mais l’école de pensée tunisienne n’a jamais posé la question en termes de guerres de religions ou d’animosités ethniques.

Les « combattants » étaient des militants mobilisés pour servir la cause nationale. «Hors-la-loi» du système colonial, ces volontaires, quelque soit leur origine, sont des moukayimoun, des résistants. Pour les discréditer, le pouvoir colonial les a qualifié de Fellaghas, reprenant ainsi, de manière péjorative, le terme traditionnel signifiant « ceux qui sortent des rangs et qui prennent le maquis« .

II – La genèse de la lutte armée (1938-1952) : Créé à la suite de la scission du Destour, en 1934, le Néo-Destour privilégie officiellement l’action politique, la mobilisation de ses adhérents et leur conscientisation. D’autre part, le Néo-Destour considérait comme « atout d’importance, l’opinion française », qu’il fallait convaincre pour faire valoir ses vues. A cette fin, il n’excluait pas, cependant, d’adapter sa stratégie aux nécessités de l’action et peut-être de traverser le Rubicond  : « Même si le Parti venait à succomber dans cette lutte inégale, affirmait le leader Habib Bourguiba, dans son éditorial de L’Action tunisienne , intitulé « la rupture », le 9 avril 1938, la France ne sera pas en sécurité dans ce pays, tant qu’elle n’aura pas révisé toute sa politique tunisienne 1.« 

Le passage à la clandestinité du Néo-Destour, après la dure répression du mouvement protestataire du 9 avril1938, incitait les nouveaux dirigeants, qui avaient pris la relève, après l’arrestation du leader Habib Bourguiba et des principaux dirigeants du Bureau Politique, à ne pas exclure cette éventualité. Formé aussitôt à la suite de l’interdiction du Néo-Destour et de l’arrestation de ses principaux dirigeants, les Bureaux Politiques de relève, passaient à l’offensive. Formant un « groupe de lutte», des militants procédèrent à des coupures de lignes téléphoniques et télégraphiques et à l’affichage et la distribution des tracts néo-destouriens, appelant à la lutte. Le 6 e Bureau Politique, formé fin 1939 et animé par Habib Thamer, demanda aux cellules destouriennes d’entretenir l’agitation et reconstitua le groupe de résistance. Il fut démantelé le 13 janvier 1941 et ses principaux membres arrêtés. Les nouveaux groupes de résistance, al-Hilal (le Croissant) ou al-Hilal al-Assoued (Le Croissant noir) se formèrent après la seconde guerre mondiale). Mais leur action se limita à la diffusion d’un journal clandestin 2.

Après la seconde guerre mondiale, les dirigeants du Néo-Destour, sous la direction de Habib Bourguiba, inscrivirent la résistance armée dans la stratégie de la libération nationale. L’action politique est prioritaire. Mais la lutte armée peut constituer un argument convaincant, pour faire valoir le point de vue des Tunisiens, convaincre la communauté internationale et, bien entendu, le pouvoir français. Les exploits des Fellaghas de Zéramdine, des déserteurs d’un bourg du Sahel, qui ont réussi à défier l’armée française (1945-1948), bénéficiant du soutien de la population tunisienne, ont mis à nu la vulnérabilité du pouvoir colonial. Nous retiendrons que le peuple tunisien et ses dirigeants, Bourguiba, en tête, les considérèrent et les firent connaître comme des héros de la lutte nationale.

Notons, d’autre part, que de nombreux volontaires tunisiens, avaient rejoint l’Orient pour participer à la guerre de Palestine. Certains d’entre eux furent intégrés dans des unités de combat, en Egypte et au Liban où ils s’initièrent au maniement des armes. La Syrie créa un bataillon nord-africain. Azédine Azzouz, scout exilé, formé à l’école militaire de Syrie, devint l’un de ses instructeurs du bataillon. Dispersé après le coup d’État de Hosni Zaïm, en 1949, ces volontaires étaient disponibles, lors de l’engagement de la lutte armée, dans leurs pays respectifs.

De retour à Tunis, en 1949, Bourguiba se concerta avec Ahmed Tlili, militant destourien et syndicaliste, sur l’éventualité de l’organisation de la lutte armée 3. Un Comité National de la Résistance, fut constitué. Dirigé par Ahmed Tlili, ce comité clandestin désigna dix responsables de régions, ayant chacun la charge d’organiser des groupes armés strictement cloisonnés.

III -La résistance armée tunisienne (1952-1954) : La note du 15 décembre 1951 du gouvernement français rejetait les revendications tunisiennes et arrêta, de fait, le processus de négociations entre le Gouvernement français et le ministère Chenik. Le mouvement national en prend acte. « La réponse de M. Schuman, déclare Habib Bourguiba, ouvre une ère de répression, de résistance, avec son cortège inévitable de larmes, de deuils et de rancunes. L’amitié tuniso-française est soumise à rude épreuve 4″. Consacrant cette nouvelle politique, un nouveau Résident Général, Jean de Hauteclocque arrive, le 13 janvier 1952, sur un bateau de guerre. L’arrestation, le 18 janvier 1952, de 150 destouriens, dont le leader Habib Bourguiba, inaugure l’ère de la répression et de la résistance. La réaction tunisienne privilégie, au cours du déclenchement de l’épreuve, les grèves, les manifestations de rue, l’envoi des motions de protestation et les différentes formes de mobilisation populaire. Mais le cycle réaction/répression provoque l’escalade et met à l’ordre du jour le sabotage, l’exécution des collaborateurs, l’attaque des fermes coloniales, puis les opérations militaires, contre les troupes coloniales.

Le Néo-Destour s’est engagé dans la lutte, en adoptant une stratégie progressive, que ses équipes dirigeantes adaptaient, corrigeaient et infléchissaient, en rapport avec la tournure des événements. Le mouvement nationaliste n’a jamais pu être décapité. Les responsables clandestins qui ont régulièrement pris la relève des dirigeants arrêtés, définissaient, selon les circonstances, les actions à réaliser, selon l’objectif de la lutte. Les opérations individuelles, les dépassements et sans doute les bavures étaient rares. Mais la complexité des situations et les subtilités de réactions, laissaient une grande marge de man?uvres aux chefs locaux, dans le cadre des directives générales des organes de décision, qui constituaient des structures parallèles, au sein du mouvement national.

Lorsque la police et l’armée française commencèrent la répression des premières manifestations, les militants passèrent à l’offensive. Le 22 janvier 1952, le colonel Durand, fut abattu, au cours d’une manifestation de protestation organisée par le Néo-Destour, à Sousse, que l’armée, appelée à la rescousse, essayait de maîtriser. L’affrontement entre les manifestants et les forces de l’ordre, le 23 janvier, à Moknine, se termina par une fusillade. Trois gendarmes furent tués. De nombreux faits similaires se produisirent, provoquant des heurts entre les troupes et la police et des manifestants armés. Le ratissage du Cap Bon, par l’armée française du 26 janvier au 1er février 1952 et l’assassinat du leader syndicaliste Ferhat Hached, par la Main rouge, le 5 décembre 1952, ne pouvaient qu’inciter les dirigeants de la résistance à radicaliser leurs moyens de lutte.

Manifestations, émeutes, grèves, tentatives de sabotages, jets de bombes artisanales, la population est mobilisée pour exprimer son mécontentement et attirer l’attention de l’opinion française et internationale, en entretenant une agitation permanente. Mais le développement de la répression qui s’accompagna de l’apparition d’un contre-terrorisme toléré allaient, par contrecoup, inciter le mouvement national à réadapter sa stratégie, prenant comme cibles à attaquer: les colons, les fermes, les entreprises françaises et les structures gouvernementales. L’apparition d’un commandos de 15 membres, dans le Sud tunisien, le 12 décembre 1952 et son affrontement avec les troupes d’occupation : Makhzen du Sud, différentes unités militaires et gendarmerie illustra le passage de l’agitation sporadique à la lutte armée.

«Année terrible 5», 1953 fut marquée par une radicalisation de la résistance, par la multiplication des attaques contre le système colonial et ses alliés – dénoncés comme «collaborateurs 6» – et la coordination de l’action avec les militants engagés dans la résistance armée. Les sévères condamnations des nationalistes, dont une douzaine à la peine capitale, n’étaient pas de nature à apaiser le climat 7. Pendant les années 1953 et 1954, les bandes de résistants s’organisaient en « véritables forces militaires, sous l’autorité des chefs désignés ou reconnus par le parti ». Elles devenaient de « véritables unités de combats« . Nous souscrivons à cette évaluation de la situation, par le capitaine André Souyris 8. Avare en informations, la Résidence Générale évoque, dans son bilan de « deux mois d’activités des Fellaghas« , du 19 mars au 9 mai 1952, l’apparition d’un commandos de 35 fellaghas, près de Sbeitla, le 19 mars 1952, d’un commandos de 20 fellaghas, entre Redeyef et Metlaoui, le 9 mai 1952 et d’un commandos d’une centaine de fellaghas, près de Thala, le même jour. Outre ces commandos importants, des unités légères ont multiplié les attaques contre les symboles du système colonial 9.

IV : Une armée de libération tunisienne ? :
Peut-on, pour autant parler d’une armée de libération nationale, dans le sens d’une structure centralisée, sous un commandement militaire unique. Certains chefs de groupes l’ont prétendu. Mourad Boukhris, qui devait créer avec Ali Zlitni le camp d’entraînement de Tripolitaine, parle de «l’armée de libération» tunisienne 10. Sassi Lassoued se désigne chef de «l’armée de libération» tunisienne, dans son appel au dépôt des armes, le 1er novembre 1954 11. Hassen Ben Abdel Aziz se définit, comme le chef des insurgés 12, l’un des chefs de «l’armée de libération», tout en déclarant son allégeance au leader Habib Bourguiba. En réalité, le mouvement national a encouragé la création d’unités de combats, dans les différentes régions tunisiennes. Des militants aguerris se sont érigés en chefs de régions, dirigeant les bandes armées, qu’ils organisaient, selon les opportunités. Citons, parmi eux Lazhar Chraïti (région de Gafsa), Tahar Lassoued (région de Sbeitla), Sassi Lassoued (région du Kef), el-Kaïd lajimi (Jelass), Hassen Ben Abdel-Aziz (Sahel). Les cadres les plus aguerris, formés lors de leur service militaire, leur participation à la guerre de Palestine ou au bataillon nord-africain de Syrie, ou tout simplement sur le tas, assurent la formation et l’intégration de ces volontaires. Ils ont la charge de définir les stratégies des combats, en s’adaptant aux terrains et en tenant compte des enjeux définis 13.

La mobilisation populaire devait permettre d’assurer leur armement, par le don d’armes abandonnées par les forces de l’Axe et surtout des fusils de chasse 14. Ils n’avaient d’ailleurs ni uniformes, ni tenues de combats, ni même de budgets pour leur ravitaillement. Dans la mesure du possible, leurs modestes ressources permettaient difficilement à les entretenir. Mais cette pénurie était, dans une large mesure, compensée par le soutien des habitants. S’agit-il d’un mouvement spontané ? Disons plutôt, que le mouvement de résistance vit le jour et se développa, avec les moyens du bord, une concertation de bouche à oreille et une coordination minimum, dans le cadre d’une mobilisation des forces disponibles, promues par leur engagement.

Situation d’exception, l’organisation de la résistance de Tripoli : Installé dans le camp de Mezra, dans un bordj mis à la disposition du Néo-Destour, par un riche propriétaire jerbien, le camp assurait l’instruction des volontaires, dont des réfugiés de la guerre de Palestine. Créé en juillet 1951, le camp qui comptait 20 individus en juin 1952, atteignit 48 membres, le 1er décembre 1952. L’instruction était assurée par Azédine Azouz, Youssef Labidi et Hédi Ben Amor, trois anciens dirigeants scouts 15. Initiative de cette «armée de libération» de l’extérieur, en Tripolitaine, l’engagement du commando Ferhat Hached, en décembre 1952, dans les combats dans le Sud tunisien allait se traduire par un désastre. Avant de gagner le massif des Matmata, ce commando de 18 hommes, à son arrivée en Tunisie, devait être décimée. En fait, les services français, fort bien renseignés attendaient les maquisards, à la frontière.

L’organisation de la résistance à l’intérieur, fut plus probante. Mieux protégés par leur insertion dans leur milieu social et quasi insaisissables, connaissant leur théâtre des opérations, les maquisards réussirent à organiser une guérilla de harcèlement, prenant l’initiative des offensives, mobilisant de petits groupes de commandos, organisant des embuscades, effectuant des sabotages sur les voies de communication, attaquant les postes isolés et évitant systématiquement les batailles rangées qui exigent un équipement et une technique perfectionnés. Dans ce jeu de cache-cache, les maquisards pouvaient remporter des «victoires», c’est-à-dire, en fait, surprendre, inquiéter, déstabiliser.

Conclusion : L’indépendance tunisienne ne fut pas la consécration d’une victoire, sur le terrain militaire. Aucune comparaison n’est possible, en effet, entre l’armée d’occupation française et les groupes de résistants, armés tant bien que mal, formés hâtivement et qui sont davantage portés par leur engagement patriotique que par leur maîtrise de l’art militaire. Ces militants avaient rempli leurs contrats, en entretenant l’agitation, en déstabilisant le pouvoir colonial et en créant un climat d’insécurité générale, pour les bénéficiaires du régime du protectorat. Pragmatique et réaliste, la direction du mouvement national, savait que la guérilla était au service de l’action politique. Il fallait poser problème, matérialiser les revendications, attirer l’attention de la communauté internationale et convaincre l’opinion métropolitaine. Cette action devait, bien entendu, tirer profit des grandes mutations de la conjoncture internationale : rivalités de la guerre froide, nouvelle politique américaine, développement de l’action des Nations Unies et effets d’entraînement des soulèvements nationalistes, dans les colonies, tels le Vietnam.

L’enracinement du Néo-destour, l’autorité de ses dirigeants, expliquent la discipline des chefs de groupes armés, leur concertation régulière avec leurs chefs politiques. Les formations armées de la résistance étaient, à quelques exceptions près, promptes à exécuter les directives du parti. Cette obéissance aux ordres – acte de discipline politique – fut illustrée par leur remise des armes, dès l’engagement de négociations, sur ordre de Habib Bourguiba. Les soldats de la lutte nationale, Moukaouimoun (résistants) furent reclassés dans la société civile, après avoir joué leur rôle et servi leur patrie. L’itinéraire de la résistance devait être couronné par la reconnaissance de l’autonomie interne (1955). Les différentes appréciations de la situation devaient cependant provoquer une rupture entre ceux qui considéraient l’offre de Mendes France comme une dynamique de libération (choix de Habib Bourguiba, Le Président du Néo-Destour) ou « un pas en arrière » (position du Secrétaire Général du Néo-Destour Salah Ben Youssef). Dure épreuve, menace de guerre civile, la crise devait cependant être mise à profit pour appuyer la revendication de la libération totale et ainsi abréger les étapes imposées par le gouvernement français. Dépassant les accords de l’autonomie interne (3 juin 1955), la proclamation de l’indépendance (20 mars 1956) s’inscrit comme effet d’entraînement conséquent et résultat inéluctable de la lutte de notre « peuple qui a affirmé sa volonté de vivre, contraignant le destin à répondre à ses v?ux », selon l’expression de notre poète national, Aboul Kacem Chabbi.

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1 – Habib Bourguiba, éditorial de L’Action tunisienne , intitulé « la rupture », écrit le 9 avril 1938. Mais cet article ne fut pas publié, car le journal fut suspendu le jour même. Voir le texte intégral in La Tunisie et la France , op. cit ., pp., 168-172.
2 – Voir Khaled Abid, les mouvements clandestins de 1945 à 1947, in Actes du VIIe colloque international sur la Résistance armée en Tunisie au XIX et XXe siècles, pp. 67 – 80.
3 – Dans sa correspondance avec Abed Bouhafa, Bourguiba évoque les préparatifs de la lutte armée (lettre du 23 mai 1950) et lui annonce que « l’ossature d’une organisation clandestine à côté et en dehors du Parti est déjà sur place ». Mais qu’il est à la recherche de fonds, pour assurer l’acquisition des armes (lettre du 5 juillet 1950). Voir ces lettres in Habib Bourguiba, Ma vie, mon ?uvre 1944-1951, Paris, Plon, 1986, pp. 345-350.
4 – Déclaration du 16 décembre 1951.
5 -Selon l’expression de Charles-André Julien, Et la Tunisie devint indépendante (1951-1957), Les Editions Jeune-Afrique, Paris, 1985, pp. 91 et suivantes.
6 – A cet effet, les cellules ont, sur la demande de la direction nationaliste, constitué des dossiers de collaborateurs et des indicateurs, qu’ils ont transmis à leurs chefs (témoignage de T. B. l’un des résistants du Cap Bon, entretien du 21 octobre 2002).
7 – Charles-André Julien a re-actualisé la question, in Et la Tunisie… op. cit. , pp. 91-107.
8 – Etude effectuée en 1955, dans le cadre du CHEAM. Nous avons consulté le condensé de cette étude in Rawafid, n°2, pp. 153-171.
9 – Voir La Presse du 12 mai 1954.
10 – Voir sa Lettre à Rachid Driss, 19 octobre 1954, in Rachid Driss, La marche…, op. cit. , pp. 319-322.
11 – Voir es-Sabah du 5 novembre 1954.
12 – Ibid ., 6 novembre 1954.
13 – Voir Gadhomi Slim, « Introduction à l’étude de la résistance nationaliste paysanne armée (1952-1954), in Rawafid, n°2, pp. 61 – 84 et particulièrement p. 70. Voir aussi Mohamed Lotfi Chaïbi, « Préliminaires à l’étude de la résistance armée nationaliste, dans la région de l’Aradh (1952-1954). Ibid ., pp. 85-150. Voir Aroussia Turki, « La lutte armée en Tunisie (1952-1954), in Rawafid, n°6, pp. 91 – 104
14 – Témoignage de nombreux hommes du terrain. T. B. , l’un des résistants du Cap Bon, confirme l’armement de certaines bandes, par des militants et/ou responsables locaux du Néo-Destour (Entretien du 21 octobre 2002).
15 – Voir Azédine Azouz, op. cit ., pp. 173-176. Voir le rapport sur ce camp, par le service de renseignement français. Rapport publié par Rawafid, n°3 pp. 29- 55.

Ce  texte écrit par l’historien Khalifa Chater à l’occasion du Cinquantenaire de l’indépendance et publié par la revue « Afkar on line » malgré toutes ses omissions, m’a semblé le mieux qu’on puisse trouver jusqu’à présent pour rendre compte de la dynamique interne qui à conduit à la proclamation de l’indépendance de la Tunisie le 20 mars 1956.

L’examen de l’épopée tunisienne

Par Khalifa Chater – Historien/Universitaire-Tunis

– la résistance héroïque qui devait consacrer l’indépendance – se définit par un judicieux dosage de combat politique et de résistance armée. Ultime recours, la lutte armée devait renforcer le combat politique, comme argument de dissuasion, in fine. Et pourtant, face à la dure répression et la naissance de la Main rouge – organisation française terroriste bénéficiant de certaines connivences avec des éléments du pouvoir colonial – la lutte armée devint rapidement à l’ordre du jour, conjuguant des réactions spontanées et des opérations programmées. La doctrine de la résistance, s’élaborera, sur un fond traditionnel propice, sans cependant avoir l’ambition de créer une véritable armée de libération stricto sensu.

I – Le référentiel historique :
Le référentiel tunisien est, dans une large mesure, constitué par les exploits des héros de la résistance à l’absolutisme beylical puis à la colonisation française. Ghouma el-Mahmoudi qui avait incarné la révolte contre le pouvoir beylical, dans le Sud (1855-1858) et les chefs de l’insurrection de 1864 Ali Ben Ghédahim, Ahmed el-Machta et Dahmani el-Bougi, étaient devenus et sont restés des «héros de légende». Les exploits des résistants à la colonisation : Ali Ben Khalifa, Mohamed Daghbagi etc. marquaient l’imaginaire populaire. La culture politique des nationalistes tunisiens intégrait cet héritage historique, ce patrimoine non matériel qui érigeait la lutte armée en paradigme sociétal dominant. Pour les élites, formées à l’école française, ce référentiel était renforcé par les leçons d’école, relatives à la guerre d’indépendance américaine et surtout aux péripéties de la Révolutions française. Les textes d’autorité (Coran et Sounna) étaient volontiers utilisés pour fonder la légitimité du combat pour la défense de la patrie occupée et l’affirmation de la souveraineté nationale. Mais l’école de pensée tunisienne n’a jamais posé la question en termes de guerres de religions ou d’animosités ethniques.

Les « combattants » étaient des militants mobilisés pour servir la cause nationale. «Hors-la-loi» du système colonial, ces volontaires, quelque soit leur origine, sont des moukayimoun, des résistants. Pour les discréditer, le pouvoir colonial les a qualifié de Fellaghas, reprenant ainsi, de manière péjorative, le terme traditionnel signifiant « ceux qui sortent des rangs et qui prennent le maquis« .

II – La genèse de la lutte armée (1938-1952) : Créé à la suite de la scission du Destour, en 1934, le Néo-Destour privilégie officiellement l’action politique, la mobilisation de ses adhérents et leur conscientisation. D’autre part, le Néo-Destour considérait comme « atout d’importance, l’opinion française », qu’il fallait convaincre pour faire valoir ses vues. A cette fin, il n’excluait pas, cependant, d’adapter sa stratégie aux nécessités de l’action et peut-être de traverser le Rubicond  : « Même si le Parti venait à succomber dans cette lutte inégale, affirmait le leader Habib Bourguiba, dans son éditorial de L’Action tunisienne , intitulé « la rupture », le 9 avril 1938, la France ne sera pas en sécurité dans ce pays, tant qu’elle n’aura pas révisé toute sa politique tunisienne 1.« 

Le passage à la clandestinité du Néo-Destour, après la dure répression du mouvement protestataire du 9 avril1938, incitait les nouveaux dirigeants, qui avaient pris la relève, après l’arrestation du leader Habib Bourguiba et des principaux dirigeants du Bureau Politique, à ne pas exclure cette éventualité. Formé aussitôt à la suite de l’interdiction du Néo-Destour et de l’arrestation de ses principaux dirigeants, les Bureaux Politiques de relève, passaient à l’offensive. Formant un « groupe de lutte», des militants procédèrent à des coupures de lignes téléphoniques et télégraphiques et à l’affichage et la distribution des tracts néo-destouriens, appelant à la lutte. Le 6 e Bureau Politique, formé fin 1939 et animé par Habib Thamer, demanda aux cellules destouriennes d’entretenir l’agitation et reconstitua le groupe de résistance. Il fut démantelé le 13 janvier 1941 et ses principaux membres arrêtés. Les nouveaux groupes de résistance, al-Hilal (le Croissant) ou al-Hilal al-Assoued (Le Croissant noir) se formèrent après la seconde guerre mondiale). Mais leur action se limita à la diffusion d’un journal clandestin 2.

Après la seconde guerre mondiale, les dirigeants du Néo-Destour, sous la direction de Habib Bourguiba, inscrivirent la résistance armée dans la stratégie de la libération nationale. L’action politique est prioritaire. Mais la lutte armée peut constituer un argument convaincant, pour faire valoir le point de vue des Tunisiens, convaincre la communauté internationale et, bien entendu, le pouvoir français. Les exploits des Fellaghas de Zéramdine, des déserteurs d’un bourg du Sahel, qui ont réussi à défier l’armée française (1945-1948), bénéficiant du soutien de la population tunisienne, ont mis à nu la vulnérabilité du pouvoir colonial. Nous retiendrons que le peuple tunisien et ses dirigeants, Bourguiba, en tête, les considérèrent et les firent connaître comme des héros de la lutte nationale.

Notons, d’autre part, que de nombreux volontaires tunisiens, avaient rejoint l’Orient pour participer à la guerre de Palestine. Certains d’entre eux furent intégrés dans des unités de combat, en Egypte et au Liban où ils s’initièrent au maniement des armes. La Syrie créa un bataillon nord-africain. Azédine Azzouz, scout exilé, formé à l’école militaire de Syrie, devint l’un de ses instructeurs du bataillon. Dispersé après le coup d’État de Hosni Zaïm, en 1949, ces volontaires étaient disponibles, lors de l’engagement de la lutte armée, dans leurs pays respectifs.

De retour à Tunis, en 1949, Bourguiba se concerta avec Ahmed Tlili, militant destourien et syndicaliste, sur l’éventualité de l’organisation de la lutte armée 3. Un Comité National de la Résistance, fut constitué. Dirigé par Ahmed Tlili, ce comité clandestin désigna dix responsables de régions, ayant chacun la charge d’organiser des groupes armés strictement cloisonnés.

III -La résistance armée tunisienne (1952-1954) : La note du 15 décembre 1951 du gouvernement français rejetait les revendications tunisiennes et arrêta, de fait, le processus de négociations entre le Gouvernement français et le ministère Chenik. Le mouvement national en prend acte. « La réponse de M. Schuman, déclare Habib Bourguiba, ouvre une ère de répression, de résistance, avec son cortège inévitable de larmes, de deuils et de rancunes. L’amitié tuniso-française est soumise à rude épreuve 4″. Consacrant cette nouvelle politique, un nouveau Résident Général, Jean de Hauteclocque arrive, le 13 janvier 1952, sur un bateau de guerre. L’arrestation, le 18 janvier 1952, de 150 destouriens, dont le leader Habib Bourguiba, inaugure l’ère de la répression et de la résistance. La réaction tunisienne privilégie, au cours du déclenchement de l’épreuve, les grèves, les manifestations de rue, l’envoi des motions de protestation et les différentes formes de mobilisation populaire. Mais le cycle réaction/répression provoque l’escalade et met à l’ordre du jour le sabotage, l’exécution des collaborateurs, l’attaque des fermes coloniales, puis les opérations militaires, contre les troupes coloniales.

Le Néo-Destour s’est engagé dans la lutte, en adoptant une stratégie progressive, que ses équipes dirigeantes adaptaient, corrigeaient et infléchissaient, en rapport avec la tournure des événements. Le mouvement nationaliste n’a jamais pu être décapité. Les responsables clandestins qui ont régulièrement pris la relève des dirigeants arrêtés, définissaient, selon les circonstances, les actions à réaliser, selon l’objectif de la lutte. Les opérations individuelles, les dépassements et sans doute les bavures étaient rares. Mais la complexité des situations et les subtilités de réactions, laissaient une grande marge de man?uvres aux chefs locaux, dans le cadre des directives générales des organes de décision, qui constituaient des structures parallèles, au sein du mouvement national.

Lorsque la police et l’armée française commencèrent la répression des premières manifestations, les militants passèrent à l’offensive. Le 22 janvier 1952, le colonel Durand, fut abattu, au cours d’une manifestation de protestation organisée par le Néo-Destour, à Sousse, que l’armée, appelée à la rescousse, essayait de maîtriser. L’affrontement entre les manifestants et les forces de l’ordre, le 23 janvier, à Moknine, se termina par une fusillade. Trois gendarmes furent tués. De nombreux faits similaires se produisirent, provoquant des heurts entre les troupes et la police et des manifestants armés. Le ratissage du Cap Bon, par l’armée française du 26 janvier au 1er février 1952 et l’assassinat du leader syndicaliste Ferhat Hached, par la Main rouge, le 5 décembre 1952, ne pouvaient qu’inciter les dirigeants de la résistance à radicaliser leurs moyens de lutte.

Manifestations, émeutes, grèves, tentatives de sabotages, jets de bombes artisanales, la population est mobilisée pour exprimer son mécontentement et attirer l’attention de l’opinion française et internationale, en entretenant une agitation permanente. Mais le développement de la répression qui s’accompagna de l’apparition d’un contre-terrorisme toléré allaient, par contrecoup, inciter le mouvement national à réadapter sa stratégie, prenant comme cibles à attaquer: les colons, les fermes, les entreprises françaises et les structures gouvernementales. L’apparition d’un commandos de 15 membres, dans le Sud tunisien, le 12 décembre 1952 et son affrontement avec les troupes d’occupation : Makhzen du Sud, différentes unités militaires et gendarmerie illustra le passage de l’agitation sporadique à la lutte armée.

«Année terrible 5», 1953 fut marquée par une radicalisation de la résistance, par la multiplication des attaques contre le système colonial et ses alliés – dénoncés comme «collaborateurs 6» – et la coordination de l’action avec les militants engagés dans la résistance armée. Les sévères condamnations des nationalistes, dont une douzaine à la peine capitale, n’étaient pas de nature à apaiser le climat 7. Pendant les années 1953 et 1954, les bandes de résistants s’organisaient en « véritables forces militaires, sous l’autorité des chefs désignés ou reconnus par le parti ». Elles devenaient de « véritables unités de combats« . Nous souscrivons à cette évaluation de la situation, par le capitaine André Souyris 8. Avare en informations, la Résidence Générale évoque, dans son bilan de « deux mois d’activités des Fellaghas« , du 19 mars au 9 mai 1952, l’apparition d’un commandos de 35 fellaghas, près de Sbeitla, le 19 mars 1952, d’un commandos de 20 fellaghas, entre Redeyef et Metlaoui, le 9 mai 1952 et d’un commandos d’une centaine de fellaghas, près de Thala, le même jour. Outre ces commandos importants, des unités légères ont multiplié les attaques contre les symboles du système colonial 9.

IV : Une armée de libération tunisienne ? :
Peut-on, pour autant parler d’une armée de libération nationale, dans le sens d’une structure centralisée, sous un commandement militaire unique. Certains chefs de groupes l’ont prétendu. Mourad Boukhris, qui devait créer avec Ali Zlitni le camp d’entraînement de Tripolitaine, parle de «l’armée de libération» tunisienne 10. Sassi Lassoued se désigne chef de «l’armée de libération» tunisienne, dans son appel au dépôt des armes, le 1er novembre 1954 11. Hassen Ben Abdel Aziz se définit, comme le chef des insurgés 12, l’un des chefs de «l’armée de libération», tout en déclarant son allégeance au leader Habib Bourguiba. En réalité, le mouvement national a encouragé la création d’unités de combats, dans les différentes régions tunisiennes. Des militants aguerris se sont érigés en chefs de régions, dirigeant les bandes armées, qu’ils organisaient, selon les opportunités. Citons, parmi eux Lazhar Chraïti (région de Gafsa), Tahar Lassoued (région de Sbeitla), Sassi Lassoued (région du Kef), el-Kaïd lajimi (Jelass), Hassen Ben Abdel-Aziz (Sahel). Les cadres les plus aguerris, formés lors de leur service militaire, leur participation à la guerre de Palestine ou au bataillon nord-africain de Syrie, ou tout simplement sur le tas, assurent la formation et l’intégration de ces volontaires. Ils ont la charge de définir les stratégies des combats, en s’adaptant aux terrains et en tenant compte des enjeux définis 13.

La mobilisation populaire devait permettre d’assurer leur armement, par le don d’armes abandonnées par les forces de l’Axe et surtout des fusils de chasse 14. Ils n’avaient d’ailleurs ni uniformes, ni tenues de combats, ni même de budgets pour leur ravitaillement. Dans la mesure du possible, leurs modestes ressources permettaient difficilement à les entretenir. Mais cette pénurie était, dans une large mesure, compensée par le soutien des habitants. S’agit-il d’un mouvement spontané ? Disons plutôt, que le mouvement de résistance vit le jour et se développa, avec les moyens du bord, une concertation de bouche à oreille et une coordination minimum, dans le cadre d’une mobilisation des forces disponibles, promues par leur engagement.

Situation d’exception, l’organisation de la résistance de Tripoli : Installé dans le camp de Mezra, dans un bordj mis à la disposition du Néo-Destour, par un riche propriétaire jerbien, le camp assurait l’instruction des volontaires, dont des réfugiés de la guerre de Palestine. Créé en juillet 1951, le camp qui comptait 20 individus en juin 1952, atteignit 48 membres, le 1er décembre 1952. L’instruction était assurée par Azédine Azouz, Youssef Labidi et Hédi Ben Amor, trois anciens dirigeants scouts 15. Initiative de cette «armée de libération» de l’extérieur, en Tripolitaine, l’engagement du commando Ferhat Hached, en décembre 1952, dans les combats dans le Sud tunisien allait se traduire par un désastre. Avant de gagner le massif des Matmata, ce commando de 18 hommes, à son arrivée en Tunisie, devait être décimée. En fait, les services français, fort bien renseignés attendaient les maquisards, à la frontière.

L’organisation de la résistance à l’intérieur, fut plus probante. Mieux protégés par leur insertion dans leur milieu social et quasi insaisissables, connaissant leur théâtre des opérations, les maquisards réussirent à organiser une guérilla de harcèlement, prenant l’initiative des offensives, mobilisant de petits groupes de commandos, organisant des embuscades, effectuant des sabotages sur les voies de communication, attaquant les postes isolés et évitant systématiquement les batailles rangées qui exigent un équipement et une technique perfectionnés. Dans ce jeu de cache-cache, les maquisards pouvaient remporter des «victoires», c’est-à-dire, en fait, surprendre, inquiéter, déstabiliser.

Conclusion : L’indépendance tunisienne ne fut pas la consécration d’une victoire, sur le terrain militaire. Aucune comparaison n’est possible, en effet, entre l’armée d’occupation française et les groupes de résistants, armés tant bien que mal, formés hâtivement et qui sont davantage portés par leur engagement patriotique que par leur maîtrise de l’art militaire. Ces militants avaient rempli leurs contrats, en entretenant l’agitation, en déstabilisant le pouvoir colonial et en créant un climat d’insécurité générale, pour les bénéficiaires du régime du protectorat. Pragmatique et réaliste, la direction du mouvement national, savait que la guérilla était au service de l’action politique. Il fallait poser problème, matérialiser les revendications, attirer l’attention de la communauté internationale et convaincre l’opinion métropolitaine. Cette action devait, bien entendu, tirer profit des grandes mutations de la conjoncture internationale : rivalités de la guerre froide, nouvelle politique américaine, développement de l’action des Nations Unies et effets d’entraînement des soulèvements nationalistes, dans les colonies, tels le Vietnam.

L’enracinement du Néo-destour, l’autorité de ses dirigeants, expliquent la discipline des chefs de groupes armés, leur concertation régulière avec leurs chefs politiques. Les formations armées de la résistance étaient, à quelques exceptions près, promptes à exécuter les directives du parti. Cette obéissance aux ordres – acte de discipline politique – fut illustrée par leur remise des armes, dès l’engagement de négociations, sur ordre de Habib Bourguiba. Les soldats de la lutte nationale, Moukaouimoun (résistants) furent reclassés dans la société civile, après avoir joué leur rôle et servi leur patrie. L’itinéraire de la résistance devait être couronné par la reconnaissance de l’autonomie interne (1955). Les différentes appréciations de la situation devaient cependant provoquer une rupture entre ceux qui considéraient l’offre de Mendes France comme une dynamique de libération (choix de Habib Bourguiba, Le Président du Néo-Destour) ou « un pas en arrière » (position du Secrétaire Général du Néo-Destour Salah Ben Youssef). Dure épreuve, menace de guerre civile, la crise devait cependant être mise à profit pour appuyer la revendication de la libération totale et ainsi abréger les étapes imposées par le gouvernement français. Dépassant les accords de l’autonomie interne (3 juin 1955), la proclamation de l’indépendance (20 mars 1956) s’inscrit comme effet d’entraînement conséquent et résultat inéluctable de la lutte de notre « peuple qui a affirmé sa volonté de vivre, contraignant le destin à répondre à ses v?ux », selon l’expression de notre poète national, Aboul Kacem Chabbi.

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1 – Habib Bourguiba, éditorial de L’Action tunisienne , intitulé « la rupture », écrit le 9 avril 1938. Mais cet article ne fut pas publié, car le journal fut suspendu le jour même. Voir le texte intégral in La Tunisie et la France , op. cit ., pp., 168-172.
2 – Voir Khaled Abid, les mouvements clandestins de 1945 à 1947, in Actes du VIIe colloque international sur la Résistance armée en Tunisie au XIX et XXe siècles, pp. 67 – 80.
3 – Dans sa correspondance avec Abed Bouhafa, Bourguiba évoque les préparatifs de la lutte armée (lettre du 23 mai 1950) et lui annonce que « l’ossature d’une organisation clandestine à côté et en dehors du Parti est déjà sur place ». Mais qu’il est à la recherche de fonds, pour assurer l’acquisition des armes (lettre du 5 juillet 1950). Voir ces lettres in Habib Bourguiba, Ma vie, mon ?uvre 1944-1951, Paris, Plon, 1986, pp. 345-350.
4 – Déclaration du 16 décembre 1951.
5 -Selon l’expression de Charles-André Julien, Et la Tunisie devint indépendante (1951-1957), Les Editions Jeune-Afrique, Paris, 1985, pp. 91 et suivantes.
6 – A cet effet, les cellules ont, sur la demande de la direction nationaliste, constitué des dossiers de collaborateurs et des indicateurs, qu’ils ont transmis à leurs chefs (témoignage de T. B. l’un des résistants du Cap Bon, entretien du 21 octobre 2002).
7 – Charles-André Julien a re-actualisé la question, in Et la Tunisie… op. cit. , pp. 91-107.
8 – Etude effectuée en 1955, dans le cadre du CHEAM. Nous avons consulté le condensé de cette étude in Rawafid, n°2, pp. 153-171.
9 – Voir La Presse du 12 mai 1954.
10 – Voir sa Lettre à Rachid Driss, 19 octobre 1954, in Rachid Driss, La marche…, op. cit. , pp. 319-322.
11 – Voir es-Sabah du 5 novembre 1954.
12 – Ibid ., 6 novembre 1954.
13 – Voir Gadhomi Slim, « Introduction à l’étude de la résistance nationaliste paysanne armée (1952-1954), in Rawafid, n°2, pp. 61 – 84 et particulièrement p. 70. Voir aussi Mohamed Lotfi Chaïbi, « Préliminaires à l’étude de la résistance armée nationaliste, dans la région de l’Aradh (1952-1954). Ibid ., pp. 85-150. Voir Aroussia Turki, « La lutte armée en Tunisie (1952-1954), in Rawafid, n°6, pp. 91 – 104
14 – Témoignage de nombreux hommes du terrain. T. B. , l’un des résistants du Cap Bon, confirme l’armement de certaines bandes, par des militants et/ou responsables locaux du Néo-Destour (Entretien du 21 octobre 2002).
15 – Voir Azédine Azouz, op. cit ., pp. 173-176. Voir le rapport sur ce camp, par le service de renseignement français. Rapport publié par Rawafid, n°3 pp. 29- 55.

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