Nous avons tous plus ou moins entendu parlé de l’histoire de cet américain au Pakistan, mais avec les « surenchères catastrophiques » actuelles, on a pu oublier l’histoire de Raymond Davis.
C’est une histoire d’espionnage, de meurtre, de prison et de paiements secrets mettant en scène un ancien officier des Forces Spéciales américaines égaré dans un monde glauque de réseaux d’agences de renseignements et de sous-traitants militaires privés, s’opposant à des diplomates.
L’histoire de cet homme expose au grand jour l’engagement des USA dans une guerre secrète au Pakistan, alors qu’aucune guerre n’a été déclarée à ce pays.
Raymond Davis, 36 ans, a travaillé pour Blackwater, le sous-traitant militaire très controversé responsable de crimes sur les civils en Iraq. Cette agence a été renommée depuis : Xe Service LLC. Davis a pris part aux campagnes de frappe par drones avec le Haut Commandement des Opérations Spéciales et la CIA contre des individus recherchés au Pakistan.
Il est propriétaire de Hyperion Protective Consultants d’après une chaîne de télévision américaine. Cette compagnie vend des équipements de surveillance et fournis à ses clients un service de gestion des risques et pertes des professionnels.
Le monde du renseignement secret a bien changé depuis quelques décennies. On est loin de l’image des espions mythiques de la guerre froide, ou des barbouzes de notre DGSE ! Dans ce nouveau monde, il est possible de porter plusieurs casquettes et souvent en même temps.
« En théorie, il serait moins cher d’avoir des agents gouvernementaux plutôt que des agences sous-traitantes. Ils sont moins payés et il n’y a pas de bénéfices à considérer » explique Eamon Javers, auteur de « Le monde secret des firmes de l’espionnage ». Il ajoute qu’il y a une énorme question juridique légale avec ces agences qui opèrent dans des régions en conflit et qui ne dépendent pas de la justice militaire américaine comme les commandos spéciaux par exemple . Ces agences sont très coûteuses, agissent en toute impunité et hors la loi. C’est comme cela que « nous, américains, faisons du business, faisons la guerre, fournissons de l’assistance et des secours et dirigeons nos ambassades » ajoute-t-il.
Les évènements de cette affaire ont commencé à être connu le 27 Janvier dernier. Davis conduisait sa voiture dans un faubourg pauvre de Lahore. Il s’arrêta à un croisement où il y avait foule. Deux hommes pakistanais sautèrent de leur moto et vinrent vers lui, armes à la main, d’après les dires de Davis. Il fit feu avec son pistolet Glock et les tua. Il dit avoir tiré pour se défendre pensant qu’il voulait le voler. Les autorités pakistanaises refusent ses explications car, disent-elles, les deux hommes ont été touchés dans le dos et ensuite, Davis est sortie de sa voiture pour prendre des photos des corps !.
Après avoir poursuivi Davis, les policiers pakistanais l’arrêtèrent non loin de l’attaque. Juste avant cela, il avait téléphoné au consulat américain pour le sortir de cette délicate situation. Les américains envoyèrent un 4×4 banalisé à toute allure dans les rues de Lahore. Ce véhicule pris une rue en sens interdit et tua un motocycliste qui se trouvait là.
Raymond Davis et les Etats Unis ont invoqué son statut de diplomate et donc son immunité. Ce qu’apparemment, le gouvernement pakistanais lui a tout d’abord accordé.
Ces trois tueries déclenchèrent des émeutes violentes anti-américaines qui prirent rapidement de l’ampleur dans la ville, et au-delà. De nombreux pakistanais, y compris l’opposition politique, sont déjà furieux des frappes par drones et autres crimes dans le pays. Et le gouvernement de ce pays craignant les émeutes a tout d’abord dû nier avoir accorder l’impunité à l’agent, qui s’est présenté comme un diplomate.
Tout l’intrigue tourne autour de l’identité des deux hommes tués par Davis et de la nature de sa mission. Certains disent que Davis essayait de découvrir des connections entre l’ agence de renseignements inter-services pakistanaise (ISI) -financée en grande partie par les Américains – et une organisation internationale terroriste : Lashkar-e-Taiba (l’armée des Pures).
L’existence de ces liens prouverait que l’ISI est impliquée dans les attaques de Mumbai de 2008. ( Une plainte a été déposée à la cour fédérale américaine de New York en 2010 contre l’ISI qui aurait soutenue les attaques de Mumbai).
D’autres pensent qu’il s’agit d’autre chose, car disent-ils, l’exposition de l’implication de l’ISI aurait des conséquences plus désastreuses que celle de la crédibilité de cet organisme. Elle aurait mis à jour l’inutilité des financements américains pour aider les Forces de Sécurité pakistanaises à soit-disant combattre le terrorisme.
Deux haut responsables pakistanais auraient dit que les deux hommes tués étaient des agents ISI chargés de surveiller Davis.
La CIA et l’ISI collaborent sur certains points mais se combattent sur d’autres et ont des intérêts qui peuvent être très divergents dans la lutte contre le terrorisme. Ainsi, ce groupe terroriste en question est également bien vu de l’ISI et d’une partie du gouvernement pakistanais car il est une arme contre l’Inde dans la région du Kashmir.
Quoiqu’il en soit (car rien n’est sûr) la population en émeute exigeait un procès et la pendaison de Davis, et les manifestations se sont multipliées sans arrêt à cet égard. Il est resté environ un mois en prison. Finalement après bien des palabres entre les gouvernements états-uniens et pakistanais, le 17 mars, il a été annoncé que Davis était relâché et que les familles sont dédommagées pour la perte des leurs.
C’est le prix du sang, une tradition accepté au Pakistan, et c’était bien sûr la solution la plus facile.
La somme de 2,3 millions est bien au dessus de ce que les USA paient habituellement aux familles des victimes civiles tués par les forces américaines. Les pourparlers et le montant versé souligne bien l’importance du cas. (Le paiement pour les victimes des tueries du Blackwater en Iraq était d’environ 5,000 dollars).
La secrétaire d’Etat Hillary Clinton a nié que cette somme était payée par les USA. Officiellement, elle est versée par l’ISI, bien que nombreux soient ceux qui pensent que l’argent vient bien des Etats-Unis.
Les responsables du consulat américain ont exfiltré Raymond Davis hors du pays.
La nature de sa mission et les renseignements qu’il a pu obtenir resteront peut-être à jamais secrets. Qui est réellement ce personnage pour que les Etats-Unis n’hésitent pas à fragiliser leurs relations avec le Pakistan pour le récupérer ?
Toujours est-il que cette histoire n’est pas près d’être oubliée par le peuple pakistanais et l’opposition. Les manifestations anti-américaines s’étendent dans tout le pays. Il est maintenant demandé des comptes aux forces étrangères opérant au Pakistan. Raymond Davis n’est que le sommet de l’iceberg. Il n’est pas la cause, mais le révélateur des intérêts opposés entre le Pakistan et les Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme.