Le Post, pas une affaire mais pas qu’un plan d’affaires…

Sur le site de L’Observatoire des médias, Gilles Bruno, qui fut pigiste au Post, donne la parole, en vidéo, au vice-président de la SRM (Société des rédacteurs du Monde), Adrien de Tricornot. Puisqu’il n’y a pas de verbatim publié, voici, d’après des notes rapides, un résumé écrit. Le groupe Le Monde ne se porte pas trop fort. Pour les précaires du Post, s’il n’y a pas d’autres solutions, A. de Tricornot estime qu’ils devraient, à la faveur des départs suscités par la clause de cession, être reclassés dans d’autres titres du groupe.

La vidéo de Gilles Bruno étant consultable en ligne, vous me pardonnerez les approximations dues à trop rapide prise de notes. Par ailleurs, j’ai sucré ce que ne me semblait pas essentiel. Pour situer les choses, rappelons que le groupe Lagardère détient 33 % du Monde interactif. Lagardère s’est désengagé de la plupart de ses titres internationaux (au profit du groupe Hearst, principalement), hésite quant à sa participation à EADS, s’intéresse de plus en plus aux sports et aux jeux. Pure hypothèse : un Post sportif ? Nous sommes loin d’en être là.

Passons d’abord apparemment, du coq à l’âne, en relevant au moins une question que Gilles Bruno aurait pu poser :quid des bénévoles, de ce qu’ils représentent pour Le Post ? Et pourquoi n’est-il pas question, dans les propos de Gilles Bruno, des « invités permanents » ?

Une posteuse de longue date, Jachri, une « historique » qui a peut-être autant d’ancienneté sur Le Post que nombre d’actuel·le·s pigistes ou permant·e·s de la rédaction du Post, s’interroge : Le Post aurait-il perdu son âme ? Jachri s’inquiète et ce questionnement vaut pour tous les sites d’information participative et citoyenne : « j’ai de plus en plus de mal à en saisir l’âme, de cette communauté postienne. Les problèmes financiers, je comprends qu’on s’en préoccupe, mais l’âme… (…) ne faut-il plus s’en préoccuper ? ».

Je comprends les rédactions. Si on leur demande de faire tel ou tel type de produit, les journalistes s’exécutent ou demandent l’ouverture d’une clause de cession (ouverte soit en cas de changement d’actionnaires majoritaires, soit si les orientations les plus fondamentales indiquées lors de leur embauche évoluent notoirement). On a entendu tant et tant de rédactions soutenir que la presse n’est pas un produit comme un autre qu’on s’étonne (enfin, à peine…) qu’ils ne manifestent pas leur attachement à ces nouveaux types de presse participative. Ces titres en ligne possèdent une forte valeur ajoutée du fait des interventions extérieures. Pour Le Post, sans elles, c’est une rédaction d’une vingtaine de personnes qui serait nécessaire pour tenter d’affronter la concurrence. La direction du MIA serait-elle autiste ?

Adrien de Tricornot s’était naguère prononcé (dans Témoignage chrétien) pour « décloisonner l’activité numérique de l’activité papier ». L’activité numérique n’est-elle pas aussi le fait des contributrices et des intervenants externes lamba, et non pas seulement celui d’invités ? Pour Le Post, qui ne pourra, en l’état actuel de ses contenus, miser sur l’abonnement, c’est un fait crucial.

 Tout comme, peut-être, en son temps à la SRM, Olivier Biffaud, A. de Tricornot considère les aspects financiers en pointant certaines dépenses somptuaires. Ce n’est pas tout à fait accessoire : comment s’intéresser intelligemment (en « bonne intelligence ») au Post quand le hiatus entre ceux qui le font vivre et ceux qui n’en vivent pas assez (Le Post est lourdement déficitaire) à leurs yeux est si considérable ? Jachri s’occupait naguère de SDF, mais pas vraiment depuis une voiture de fonction de présidente d’association fortement subventionnée par les « Pièces jaunes ». Elle n’a sans doute jamais participé à un gala de charité huppé. Donc, elle ne « compte pas » ? De ce point de vue, les posteuses et posteurs sont comme les précaires de la rédaction, des silhouettes, des figurants interchangeables. L’essentiel est peut-être, pour la survie de la formule actuelle ou d’une nième nouvelle formule quelque peu similaire, de prendre en compte ce qui fait la subtile persona collective d’un site d’information participatif.

Que nous apprend Adrien de Tricornot ? Pas grand’ chose qui n’ait été écrit ou dit. « On est tous dans le même bateau, » estime-t-il en considérant l’ensemble du groupe. Lequel, depuis six ans, contrairement à ce qu’il dit un peu vite, n’aurait « pas connu de nouvelles embauches. ». Tiens donc, des chefs de service, des redchefs-adjoints n’auraient pas été remplacés ? Si ce n’est que par des anciens de la maison précédemment employés à des postes subalternes ? Je ne vais pas aller planquer au Havane Café, boulevard Blanqui, un rade proche du siège du Monde pour recouper cette info.

Mais je veux bien en convenir, sur le terrain ou au secrétariat de rédaction, « ceux qui font tourner la maison, tant le web que le papier », sont en partie des précaires : 48 recensés entre Le Monde et Le Post. L’âme d’un précaire, elle est souvent partagée entre un for intérieur qui ne pense pas moins et un fort (ou passe-murailles) extérieur qui donne des garanties de conformité à la ligne éditoriale dominante.

« Si l’on veut conforter la collectivité du Monde, il faut conforter les plus jeunes (…) la précarité, c’est un désastre social. ». C’est aussi un désastre intime. Qui pousse soit à brûler ses vaisseaux, soit à s’étioler en se forgeant une personnalité de mercenaire : le patron a toujours raison ; on changera de raison, contrainte ou chanceuse, pour le mieux si possible.

« Il n’y a pas de modèle économique évident pour Le Post, » constate A. de Triconot. Or, un Lagardère, qui « pourrait recapitaliser Le Post » ne voudra pas qu’un concept ; il lui faudra un plan d’affaires (dans lequel rédaction et intervenants figureront dans des cellules MS Excel, sous forme de chiffres).

Ce qui est inquiétant, c’est que la SRM semble accepter par avance l’arrêt du Post pourvu qu’à l’occasion des départs consécutifs à la clause de cession, les permanents et précaires soient recasés dans d’autres services rédactionnels. J’extrapole : cela n’a pas été énoncé ainsi.

Si les journalistes du Post n’ont pour souci à présent que de démonter qu’ils sont parfaitement réaffectables, reclassables, ce que je peux absolument comprendre, c’en est sans doute fait, Jachri, de l’âme du Post. Et dans ce cas, autant donner l’assurance d’un reclassement et alléger les fameux tests que veut mener la direction. Lagardère pourrait, si Le Post l’intéressait, embaucher un nouveau redchef et des pigistes sans la moindre ancienneté, et ce serait pour lui tout bénéfice… Pour leurs propres comptes, fidèles ou migrants, les posteurs et les posteuses s’en remettront vite.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Le Post, pas une affaire mais pas qu’un plan d’affaires… »

  1. bonsoir,
    pendant ces 5 mois, j’ai été pigiste, au siège du Monde Interactif, et pas stagiaire.
    merci de corriger !
    merci pour le lien
    cordialement,
    GB

  2. Pour Gilles Bruno, c’est corrigé, ici et ailleurs. Tant qu’à faire, signalez ici votre prochain article en rapport avec le sujet.
    Commentaire, sur Marianne 2, à la suite d’un article d’Élie Arié (ex-posteur) :
    « [i]68.Posté par Kane Rosebud le 24/02/2011 12:37

    @64.Posté par Elie Arié le 24/02/2011 11:14

    Je viens de cesser d’écrire sur LePost,

    Eh ben, il y en a qui mettent du temps à comprendre !
    Pour ma part, j’ai passé un seulcommentaire, fort modéré mais en contradiction avec leur point de vue.
    J’ai été  » modéré  » avec un avis dans ma boîte aux lettres, quelquechose comme quoi je n’étais pas dans le ton, puis ensuite il m’invitait à intervenir à nouveau.
    C’est vraiment un comportement d’une arrogan…
    Lire la suite
    @64.Posté par Elie Arié le 24/02/2011 11:14
    Je viens de cesser d’écrire sur LePost,
    Eh ben, il y en a qui mettent du temps à comprendre !
    Pour ma part, j’ai passé un seul commentaire, fort modéré mais en contradiction avec leur point de vue.
    J’ai été[/i]  » modéré « [i] avec un avis dans ma boîte aux lettres, quelque chose comme quoi je n’étais pas dans le ton, puis ensuite il m’invitait à intervenir à nouveau.
    C’est vraiment un comportement d’une arrogance rare.
    Je les ai passé en[/i] spam, la liste rouge leur convient bien. »
    Effectivement, comme le dit La Marianne du [i]Post[/i] (sur… [i]Le Post[/i], évidemment), il ne faut pas tout ramener à Nétino et la modération intempestive.
    Mais bon, avoir laissé filer un prolixe tel Élie Arié vers Marianne2, ce n’était pas malin (je suis rarement d’accord totalement avec lui, partiellement, très souvent, mais peu importe).
    Son commentaire :
    « 64.Posté par Elie Arié le 24/02/2011 11:14
    ElieArie
    @ 63 Jef Tombeur
    Je viens de cesser d’écrire sur LePost, qui supprime non seulement les commentaires, mais carrément aussi les articles qui ne lui plaisent pas, quelques heures ou jours après leur publication (et sur la base de leur contenu politique, et non pas du non-respect de sa charte).
    Par ailleurs, la surabondance de faits divers et le niveau général des articles et des sujets traités lui confèrent un niveau franchement déplorable; il do…
    Lire la suite

    Voui, se réformer.

  3. Actualisation : grève des rédactions du MIA votée ce jeudi.
    [url]http://www.observatoiredesmedias.com/2011/02/24/lepost-fr-et-lemonde-fr-vus-par-raphaelle-bacque/[/url]
    Assez bien votée, la grève, par les rédactions.

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