Le pape catholique et apostolique romain, Joseph Ratzinger, dit Benedetto (Benoît) XVI, se mettra en retraite anticipée, selon la presse italienne. Ce en vertu du code du droit canon le lui permettant. Un conclave devrait réunir les cardinaux appelés à désigner l’un des leurs début mars.

 

Même si les cardinaux italiens sont le contingent le plus nombreux (30) et les africains seulement 11, le cardinal Peter Turkson, archevêque de Cabo Corso au Ghana est considéré une option sérieuse pour succéder à Benoît XVI.

 

 

 

 

 

Voici des semaines et des mois que les journalistes accrédités au Vatican demandaient systématiquement des nouvelles sur la santé de Joseph Ratzinger. Réponse indirecte invariable (l’intéressé ne se prononçant pas), tout va bien, même si, parfois, telle ou telle manifestation ou apparition était annulée, en raison de la fatigue, passagère, du Très Saint-Père.
Sa Sainteté Benedetto XVI n’en aurait pas moins annoncé qu’il se retirera de son Saint-Siège le 28 février prochain, selon les agences et la presse italiennes.

Il l’aurait déclaré en latin lors d’un consistoire en vue de la canonisation des bienheureux martyrs d’Otrante (les habitants de la ville des Pouilles dont la défaite face aux Turcs, en 1480, et leur refus de se convertir à l’islam résultat dans le massacre de 800 des leurs).

Le pape démissionnerait pour le bien de son église catholique apostolique romaine et le doyen du collège cardinalice, le Sacré Collège, Angelo Sodano, a confirmé la nouvelle. 135 de ses pairs (sur 194 princes de l’église dont certains n’ont pas cette qualité d’électeur) sont donc amenés à se réunir prochainement. Sua Eminentissimus ac Reverendissimus Dominus Angelo Sanctæ Romanæ Ecclesiæ cardinalis Sodano, 88 ans, qui était aussi le secrétaire d’État de la Curie romaine jusqu’à l’été 2006, a rappelé qu’en vertu du droit canon un pape pouvait démissionner s’il avançait une raison valable pour ce faire. Pour mémoire, le seul ayant renoncé de lui-même jusqu’à cette année fut Celestino (Célestin) V, qui, au bout de quatre mois, en 1294, se démit. Mais auparavant et par la suite, d’autres seront convaincus de renoncer : Benoît IX (1045), Grégoire VI (1046), qui avait monnayé la démission de son prédécesseur, et Benoît IX fut réélu en 1047. Grégoire XII (1406-1415) ouvrira une période d’incertitude pour l’unité de l’église romaine, confrontée à la concurrence de celle d’Avignon et de Pise.
Le quotidien français La Croix a relevé que, en 2009, lors de sa visite de l’église détruite d’Aquila, le pape avait déposé son pallium (manteau réservé au pape, aux primats et archevêques) sur la chasse de Célestin V, lequel avait volontairement démissionné, ne se sentant pas prêt, à la suite d’une vie en ermite, à diriger l’église romaine.

Benoît XVI ne présidera donc pas à la canonisation d’Antiono Primado et d’autres martyres d’Otrante qui doit intervenir le 12 mai prochain.

L’agence AGI a donné un extrait des paroles du pape qui renonce au trône de saint Pierre pour des raisons de santé et capacité à assumer sa charge. Reuters a repris en précisant que la démission sera effective à partir de 20 heures le 28 prochain. Un nouveau Sommo Pontefice devra donc être élu. Le pape a déclaré se vouer par la suite exclusivement à la prière et renoncer à toute autre charge.

Il avait laissé entendre courant 2010 qu’il pourrait renoncer en se confiant à Peter Seewald qui publia un livre La Lumière du monde, en novembre de cette année-là. Antonio Socci, du quotidien italien Libero, avait aussi évoqué la possibilité que le souverain pontife se démette à l’approche de sa 86e année (il aura 85 ans en avril). Il avait été élu le 19 avril 2005, âgé de 78 ans, ce qui en faisait le pape le plus âgé depuis Clément XII, élu en 1730. C’était aussi le troisième pape issu du nord du Saint Empire germanique.

Quel successeur ?

Les cardinaux africains sont très nombreux et ils pourraient désigner l’un des leurs. L’Agipronews avance le nom du Nigérien Francis Arinze, du Guanéen Peter Turkson. Mais le cardinal canadien Marc Ouellet aurait aussi ses chances, de même que les Italiens Angelo Scola (archevêque de Milan) ou Tarcisio Bertone, actuel cardinal secrétaire d’État ayant succédé à Angelo Sodano en septembre 2006 et camerlingue.

Le collège des cardinaux électeurs est passé de 120 à 125 actuellement…

Benoît XVI avait nommé nombre de ses proches à des postes au Vatican, mais aussi une religieuse, Nicoletta Vittoria Spezzati. Son successeur pourrait se livrer à des bouleversements et remettre en cause le rapprochement avec les évêques lefebvristes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, dont les fonds et biens sont considérés importants. Les négociations avaient achoppé en octobre 2012. C’est Ratzinger qui avait, en mai 1988, entamé des pourparlers de réconciliation. Puis, par esprit de conciliation, en juillet 2007, il remettait en vigueur optionnelle le rite tridentin ; s’ensuivit, en janvier 2009, la levée de l’excommunication des évêques dissidents.
Les deux églises catholiques d’origine romaine s’opposent sur la collégialité, la liberté religieuse et l’œcuménisme… La fraternité a aussi émis divers points de vue négationnistes (de l’Holocauste, la Shoah) mais cette question, qui a provoqué des réactions au sein de l’église vaticane, n’est pas considérée fondamentale par rapport à la doctrine de la foi catholique.

L’annonce de la démission du pape actuel a été transmise par l’agence Ansa à 11 heures 46 ce matin. Le pape s’était auparavant exprimé à 03:12 sur le compte Twitter Pontifex.it, mais sans se prononcer sur sa démission, invoquant simplement la miséricorde divine et la rémission des péchés. L’avant-dernier message, daté du 6 février, évoquait que « toute chose est un don de Dieu ». L’annonce a donc pris de court les fidèles, même si la presse envisageait parfois, à mots couverts, une démission ou une santé de plus en plus défaillante.

Le père Lombardi, responsable de la salle de presse vaticane, a fait état d’une décision personnelle murement réfléchie faisant suite à un constat de carence découlant d’un état de santé défaillant.

Des ironistes ont relevé que le retour sur la scène politique italienne de Silvio Berlusconi aurait pu accélérer la réflexion de Benoît XVI. D’autres évoquent un futur « pape technicien ». Les CDI (contrats à durée indéterminée) seraient remis en question au Vatican, ont consigné d’autres. Pour Elsa Fornero, ce serait la lourdeur de la tâche de « community manager » (sur Twitter) qui aurait entraîné la démission. 

Officiellement, pour le Vatican, c’est un « jour faste », mais divers milieux catholiques romains font part d’une grande douleur.

Selon le père Lombardi, le pape n’interviendra d’aucune façon dans l’élection de son successeur, il n’y aura « aucun risque d’interférence », a-t-il déclaré. La constitution apostolique ne prévoit d’ailleurs pas qu’un pape démissionnaire siège en conclave. Il Papa lascia (le pape abandonne) et en quelque sorte « vivi e lascia vivere » (vit et laisse vivre) a titré une grande partie de la presse italienne. 

Le texte intégral de la démission, dans lequel le pape reconnait son incapacité à assumer ses charges, prononcé en latin devant les cardinaux, a été intégralement traduit en italien et divulgué par la presse italienne. « Je vais servir avec mon tout mon cœur, par une vie dédiée à la prière, la Sainte Église de Dieu », a conclu le pape (selon l’une des traductions officielles vers le français, diffusée voici quelques minutes : « Quant à moi, puissé-je servir de tout coeur, aussi dans l’avenir, la Sainte Eglise de Dieu par une vie consacrée à la prière ». Voir le texte sur le site de la CEF). Le pape devrait dans un premier temps se retirer dans la résidence estivale de Castel Gandolfo, puis intégrer un monastère dans l’enceinte du Vatican.

Un pontificat vacillant

Le pontificat a été marqué par les tentatives de réconciliation avec divers milieux traditionalistes, un certain retour en cour de congrégations rigoristes (dont l’Opus Dei), une réaffirmation du rôle de l’église romaine quant à la morale sexuelle (avortement, homosexualité…) des fidèles. Mais il fut aussi marqué par quelques scandales financiers plus ou moins escamotés et surtout la révélation de l’ampleur des pratiques pédophiles dans le clergé.
Estimé, mais non adulé comme son prédécesseur Jean-Paul II, qui avait fédéré nombre d’évêques et prélats ébranlés par les suites du concile Vatican II (1962) de Jean XXIII, le pape s’était, notamment en France, vu critiqué par la société civile en raison de son rappel des « racines chrétiennes » européennes et de sa volonté de « révangéliser ».

Le catholicisme romain est surtout présent en Afrique et Amérique du Sud. Les cardinaux électeurs français, André Vingt-Trois, Jean-Louis Tauran, Jean-Pierre Ricard et Philippe Barbarian ont peu de chances d’influer profondément sur l’élection du successeur. Mais les cardinaux européens sont encore 62, dont 30 Italiens, contre 57 issus du reste du monde (20 d’Amérique latine, 11 pour l’Asie et l’Afrique à parité, 14 pour l’Amérique du Nord, un pour l’Océanie). Les 125 électeurs ont moins de 80 ans au moment du conclave…

Le successeur devrait remettre de l’ordre dans la curie, ébranlée par l’affaire des « fuites » (les VatiLeaks, divers documents divulgués et parvenus aux mains de journalistes). Le pouvoir reste très centralisé au Vatican mais il peine à faire respecter partout ses décisions.

Mgr Vingt-Trois a tenu une conférence de presse ce jour à 15 heures au siège de la Conférence des évêques de France, avenue de Breteuil à Paris.
Il a salué un acte « particulièrement courageux » et la « lucidité » du pape. Mais TF1 avait réussi à obtenir une déclaration pour son journal de 13 heures.

Charité chrétienne

Guilio Sapelli, professeur d’histoire économique à l’université de Milan, a souligné, pour le titre financier italien First Online; que Joseph Ratzinger s’était inscrit dans la lignée de l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII, mais qu’il était allé plus loin dans la critique du capitalisme motivé par la recherche du seul profit matériel.

Il aurait souligné que d’autres formes d’organisations économiques étaient possibles et même souhaitables. « Il a dénoncé la finance, la spéculation, l’accumulation capitaliste », a relevé le professeur, fin connaisseur de l’église romaine et de convictions catholiques.

Guilio Sapelli a aussi relevé que le pape avait fait béatifier (par décret) le père Antonio Rosmini (prêtre et philosophe, mort en 1855), auteur de Delle Cinque Piaghe della Santa Chiesa (Les Cinq Blessures) et de La Constitution de la justice sociale (Dalla Costituzione secondo la giustizia sociale) ou encore de Il comunismo e il socialismo. Cela étant, le « procès » en béatification remontait à… 1994. Mais le fondateur de l’Institut de la Charité et des Sœurs de la Providence avait été fortement critiqué par les jésuites et deux de ses ouvrages seront placés à l’index (interdits de lecture par les fidèles).
C’est en tant que cardinal chargé de la Congrégation pour la doctrine de la foi que Ratzinger avait entamé de réhabiliter Antonio Rosmini.

Léon XIII condamnera quarante thèses de Rosmini en 1887, par décret Post obitum. Les papes sont infaillibles mais leur appréciation est versatile. Interdiction levée en juillet 2001 par le préfet de la congrégation, Ratzinger.

Rosmini était, sur la liturgie, partisan de la préservation du latin. Mais il était très conscient des problèmes que cela posait. Cependant, il admettait la liberté de conscience et s’opposait à ce qu’une religion soit décrétée « d’État ». Il considérait que « la propriété privée est un instrument de défense de la personne contre l’envahissement par l’État » et condamnait les utopistes réformateurs sociaux ainsi que la charité publique se substituant à la charité privée.

Cette vision de la charité, surtout intellectuelle, critique certes le « capitalisme sans frein » mais tout autant « le socialisme à outrance ». Il s’agit surtout de condamner le matérialisme. Ce qui n’implique pas grand’ chose concrètement. La finance mondiale devrait se réformer d’elle-même… La « conversion des cœurs » espérée n’implique aucune mesure collective de meilleure répartition des richesses ou des fruits de la production.

La doctrine vaticane subordonne toujours l’amour du prochain à l’obéissance à l’église.

Selon le professeur catholique Stafano Zamagni, de l’université de Bologne, l’encyclique Caritas in Veritate, certes inspirée par la pensée de Rosmini, réactive simplement l’idée que l’entrepreneuriat peut se consacrer à l’économie sociale mais elle justifie totalement l’économie de marché.
Zamagni offre pour postulat que « le principe de fraternité est ce principe d’organisation sociale qui consent aux inégaux d’être différents ». Différemment riches de pauvreté, en quelque sorte. Il a bien sûr conclu : « ce n’est pas une encyclopédie anticapitaliste ».
Bref, hormis la reformulation de l’adage selon lequel la richesse ne rend pas forcément heureux, Ratzinger n’aura pas vraiment dépassé le stade de réflexion d’un La Fontaine et de sa fable sur le financier et le savetier.

Mais à force de belles phrases et de subtiles formules, nul doute qu’on finira par donner l’image d’un pape un poil plus « social » que ses prédécesseurs immédiats. En son temps, saint Paul aurait déjà déclaré qu’entre foi, espérance et charité, la charité prime. Seule avancée, transcrite dans le Compendium de la doctrine sociale, il est à présent admis que, temporairement, et surtout point trop n’en faut, « l’intervention publique peut créer des conditions de plus grande égalité, de justice et de paix » mais sans que « cette suppléance institutionnelle » se prolonge ou s’étende au-delà du « strict nécessaire ». Un strict nécessaire qui n’est et ne sera pas chiffré, pas davantage que le revenu minimal ou que ne sera définie la nature des « choses indispensables » à la simple survie. 

Comme par le passé, la commission pontificale Justice et Paix, devenue conseil pontifical, se préoccupe surtout de paix sociale sans dire à qui elle profite le mieux…