Il ne l’est surtout pas autant (pas nouveau, mais c…) ! Mais comment peut-on l’être aussi… telle est la réponse de Liebig. Non, ce n’est pas celui de l’Irène d’Aragon  dont il est question. L’auteur, qui en a célébré tant d’autres, de catholiques ou de militantes, par exemple (aux éds La Musardine), l’emploie ici au sens qu’ignorait le Littré et au second du Robert, lequel a la politesse de donner la préséance à celui des dames. Balzac, auteur prolixe, n’avait pas osé s’attacher à une telle grande œuvre, se contentant d’une panoramique Monographie de la presse parisienne qui en recense pourtant beaucoup. Avec ces nouveaux c..s, aux éditions Michalon, Étienne Liebig arrose large. « Écrit par un spécialiste de la chose… », me remémore-t-il dans sa dédicace. À ce jeu, nous sommes deux, mais je confesse qu’après lecture d’une telle recension, j’ai perdu ! Je ne m’imaginais pas qu’il pouvait y en avoir autant. Cerné à ce point ? Il faut bien en …venir.

Un mot de trois lettres est absent la liste qui suit. Vous le débusquerez aisément. Le nouveau Liebig se présente tel un répertoire, réparti en grandes catégories et sous-entrées, d’individus caractéristiques sans lesquels, en cas d’application du « vaste programme » de la célèbre réplique du général De Gaulle à qui en réclamait l’éradication, nous nous ennuieront assurément. Sans liberté de se gausser, de persifler, il n’y a pas de rigolade gratifiante ou de mépris affiché satisfaisant. Or donc, chez les militants, nous avons le nouveau manifestant, le vieux gauchiste, le syndicaliste, l’écolo, la fille voilée, la néo-laïcarde, le bobo et le néocolonialiste.
Dans la classe des illuminés, se distinguent le passéiste naturophile, la nouvelle allaitante, le préventionniste (nutritionniste en particulier), le miraculé, le sage religieux (à ne pas confondre avec le religieux débonnaire et agnostique faisant la vie des moines). Puis viennent les jeunes arrogants, dont en premier chef (pas celui donnant l’ordre de cogner, mais le zélé exécutant), le flic et son pendant, le djeun du quartier, l’imitateur des banlieusards, le vigile.
L’ordre des inutiles et jargonneux comprend, outre le classique conseiller professionnel, des néos-choses comme le psychanalyste, le retraité, le rationaliste, le pédagogue, le travailleur social (l’ancienneté de l’auteur dans la profession ne le préserve pas des attraits des innovations, cependant), et le symboliste (non-ésotérique : il s’agit d’une sous-catégorie de discoureurs et manifestants).
Les nouveaux planqués (généralement jeunes tel le prof, le toubib, mais l’énarque et le politique l’ont rarement été de tous temps) précèdent les conservateurs, militants ou catholiques (les uns n’étant point exclusifs des autres), sachant que, l’âge avançant, les planqués peuvent cumuler, l’anthropologue nouveau le restant généralement (trop) longtemps.

Dans les médias, le bloggeur n’est pas seul en son genre : contrairement à Balzac, Étienne Liébig se contente des catégories qu’il fréquente davantage (il chronique, comme on dit, après avoir été billettiste à Siné Hebdo), soit deux malheureuses autres. Les minoritaires, noirs, féministes, arabes, juifs et homos, se distinguent-ils vraiment de leurs prédécesseurs en ces carrières ? Liébig s’en prend surtout aux féministes sûres d’elles, censées vous rendre sûrs de vous quand elles accèdent aux manettes, épargnant, peut-être par méconnaissance du milieu ou en prévision d’une suite, les jeunettes pétroleuses hédonistes. Les martyrs – toxicos, plaideurs, cancéreuses du sein, clientes en psy – et les employés des métiers de services sanitaires et sociaux (généralement trop peu rémunérés pour se droguer, plaider, consulter des psys, mais cancéreux à l’occasion aussi), forment une espèce qui aurait gagnée à être étendue. Les artistes, strip-teaseuse (les Chippendales ont été épargnés), rappeur et slammeuse, comédienne ou plasticien, cuisinier télévisuel, ont parfois des tentations humanitaires (rémunératrices) tout à l’instar de ceux de la dernière grande classe, les privilégiés, divisés en patrons, sportifs, élèves d’écoles de commerce, vieilles et vieux bellâtres, et ce nouveau Neuilléen qui peut être aussi d’Auteuil ou Passy.

Bien évidemment, cette anthropologie qui se veut corrosive et sans concession n’est pas l’œuvre d’un nouveau Buffon, plutôt celle d’un La Bruyère quelque peu bouffon ; Molière ne prétendait pas non plus à l’exhaustivité. Et puis, l’ethnologie précédente ayant déjà été explorée par Brassens (avec les « nés quelque part »), Audiard, Jean Yanne, bien d’autres, il s’est abstenu de recycler, réussissant même à tirer quelques figures du néant (ils ont beau être partout, ceux-là n’osent pas tout, donc ils se voient moins). Il se retient aussi de tirer sur les ambulances, telles ces nouvelles « jeunes mômans » à peine effleurées.

Liebig a parfois la verve d’un Deilfeil de Ton ou d’un Cavanna ayant trop écouté Zemmour. Son ironie caustique semble parfois lui peser, le détachement se teinte assez souvent d’indignation contenue. On le comprend : le rance peut rendre nauséeux, la tentation de flanquer des coups de pieds dans la termitière ne contamine pas que les lecteurs d’Hessel ou de Mélenchon. Contrairement à Zemmour, Liebig est plutôt du côté des perdants : ceux et celles qui n’ont pas tout à fait organisé leurs ratages, ne s’y complaisent pas, et tentent encore de réfléchir par eux-mêmes. Les niais congénitaux, les écervelées par inadvertance (même réitérative) sont donc épargnés. L’humour « sale, bête et méchant » de Liebig n’a certes rien de compassionnel, mais comme le docteur House, il parvient quand même à sauver quelques patients d’eux-mêmes.

D’ailleurs, c’est ces derniers qui se reconnaîtront le mieux : ils avaient été, sans trop le savoir, des précurseurs ; s’étant soignés depuis, la nostalgie peut les étreindre, car parfois être un ex-nouvel imbécile n’est pas plus facile que de rester éternellement une « femme libérée » (de Joëlle Kopff et Cookie Dingler). Se définissant « grand connaisseur de la question » et de l’une ou l’autre, voire plusieurs, des bandes qu’il décrit à l’emporte-pièce ou campe subtilement, Étienne Liébig conclut : « j’espère avoir été suffisamment intolérant, injuste et malhonnête intellectuellement pour me faire des milliers d’ennemis. ». L’ambition n’est pas démesurée. Mais les adversaires point trop malhonnêtes de Liebig ne sauraient lui en vouloir éternellement. Avec un peu de recul, beaucoup lui sera pardonné.

Chez Michalon, il a déjà commis un Les ados sont insupportables, mais ce sont nos enfants ! et ceLes jeunes préfèrent la banlieue dont certaines réminiscences transparaissent ici. À la Musardine, maison d’édition coquine, il fit davantage dans le leste. Son Je n’ai jamais rencontré Mitterrand, ni sa femme, ni sa fille, largement autobiographique, picaresque, est à la Recherche proustienne ce que… ah, non, je n’ai pas envie de lui fournir de quoi faire une suite, en catégorie nouveau cuistre ! N’empêche, malgré toute l’estime que je lui porte, j’espère que je ne contribuerai pas à ce qu’il écrive un jour de lui-même ce qu’Emil Cioran résumait : « j’ai connu toutes les formes de déchéance, y compris le succès. ». Toulouse la Rose (auteur de divers essais, dont le récent Nos ancêtres les Sans-Culottes, aux éds Les point sur les i ne m’est pas encore parvenu, il faudra donc que je le chaparde en grande surface), Jean Teulé (dont le Longues peines, ressorti en éd. Pocket, est plus facile à dissimuler que son récent Charly 9 chez Julliard) auraient, avec Liébig, fourni un bon plateau pour Michel Polac (dont l’émission Droit de réponse disparut à la suite de plaintes d’associations familiales patriotiques et de membres du gouvernement Chirac). On a vu Besancenot chez Drucker, on ne risque pas d’y voir de sitôt Liébig. Morandini, peu rancunier alors qu’il s’est très certainement reconnu à maintes reprises, a osé l’inviter. Il n’a pas risqué de commander deux bottes de foin en répliquant la célèbre saillie attribuée à un étudiant du doyen Vedel : « Monsieur dîne avec moi… ». Nonobstant, Liebig est l’une des Grandes gueules de RMC. Ce qui lui a valu de faire son entrée sur Wikipedia (avoir précédé Sophia Aram dans son appréciation des électeurs et membres du Front national ne lui a donc pas nui).

Bien évidemment, ces 250 pages regorgent d’aphorismes, de citations à reprendre en brèves de comptoir. Je me garde les meilleures, et même les autres, pour les replacer à l’occasion. Il en abonde pour de multiples circonstances. Je m’en tiens à l’une de celles du dernier chapitre, après un tri impitoyable. Imaginative : « des dentiers plus blancs que les slips du pape », alors que Liébig n’a peut-être même oncques fouillé la culotte d’un zouave pontifical.

Bien évidemment, ce n’est pas qu’un ana avec des cougars et des donzelles bobos dedans. L’auteur ayant été quelque chose comme ethno-sociologue, d’une tribu qu’il m’arrive encore de fréquenter, je me suis attaché d’encore plus près  à son chapitre sur le nouvel anthropologue. Ce n’est pas gagné au sens de l’actuelle réussite médiatique. Ayant le mauvais goût de rappeler quelques évidences frappées du coin du bon sens, il ne risque guère de finir au Collège de France. « Ces nouveaux anthropologues de foire du Trône analysent alors (…) en fonction de vieilles représentations colonialistes ou ethnocentristes. Les jeunes des quartiers ne se regroupent pas parce qu’ils s’emmerdent (…) mais bien parce qu’en Afrique de l’Ouest, on retrouve cette grande tradition du palabre. Les mômes de banlieue n’ont pas de difficultés par désintérêt de la chose scolaire ou manque de pédagogie des enseignants, mais parce qu’ils sont originaires d’une culture orale en délicatesse avec l’écriture. ». Le nouveau travailleur social « obnubilé par un seul objectif, ressembler comme deux gouttes d’eau à une boîte privée qui gère des voyages, des ordures ménagères ou des services clients » est d’ailleurs parfois un ex-néo-anthropolâtre de soi-même et de ses œuvres (dont son pavillon avec jardin et garage quatre emplacements) qui optera pour l’embauche de nouveaux employés de service, lesquels ne lui tiendront pas la dragée haute et pèseront moins sur le plan comptable lourdement subventionné grâce à des présentations Power Point. Ses stagiaires d’université retourneront donc bosser au MacDo.

Bref, il y matière à penser, mais aussi à panser quelques plaies – pieux rêve – chez Liebig. La clientèle de droite ricanera en assumant, à très juste titre, qu’il ne trouvera jamais fonds ou prébende chez un Luc Ferry revenu aux affaires. La clientèle de gôche l’aura saumâtre. « Sarkozy, je te vois… » y compris chez les pseudos-militants, les bonnes âmes humanitaires de profession, les écolos peaufinant un programme social, tant d’autres. Bien évidemment, comme Berlusconi qui sait reconnaître sa part homosexuelle saphique, forcément – en lui, les chapitres gendrés (c’est néo, c’est frais, c’est gai au cube) autorisent de se retrouver au masculin dans la nouvelle laïcarde (Christine Tasin, on t’a reconnue !), au féminin dans le journaliste ou le blogueur, hélas, aussi, ailleurs.

Liébig s’est préservé de réserver des vacheries nominatives ; pas de mention, par exemple, d’Éric Zemmour, Ivan Rioufol, Élisabeth Levy, Eric Brunet ou Robert Ménard (sauf inattention de ma part). Dommage pour les ventes, en particulier pour l’éventuelle version électronique qui sera moins repérée par Google. Tenter de ne pas sombrer dans les travers qu’on dénonce est malaisé. Liébig a su éviter les ornières, la plupart du temps. La jouissance d’avoir percuté le « mur du çon » des autres en est parfois légèrement contrariée. Mais les Alice qui resteront du côté Liébig de ce miroir ne seront pas déçues si elles goûtent d’endosser les tenues fétiches de plusieurs hivers qu’il leur réserve. Il en est même pour toute saison. Liebig livre là un précis de savoir se survivre et se réfléchir à l’usage des nouvelles générations qui se renouvellent, mutantes, « comme le virus de la grippe et les nuages de sauterelles. ». Decitre, La Procure, et d’autres sites ont conservé le sous-titre envisagé qui n’apparaît plus sur la couverture : « Cuvée prestige ». Et comme Dupont ou Dupond, je dirais même mieux : cuvée prodige !

Actualisation :
Lu ailleurs sur Come4News : « Bon, on ne peut être partout à la fois et ma chronique des Nouveaux Cons d’Étienne Liebig chez Michalon devrait être actualisée (un jour) par des liens vers les « bonnes feuilles » publiées par Atlantico (« Ces vieux qu’on adore détester » et « L’élève en école de commerce, cette tête à claques »). ». Allez, zouh ! Si vous vouliez chercher l’ « ailleurs », ben, utilisez Google.

 

Liebig, Étienne, Les Nouveaux Cons, Michalon, Paris, 254 p., 17 euros.

www.michalon.fr ou http://liebig.blog.lemonde.fr ;

Premières lignes sur http://www.passiondulivre.com/livre-102979-les-nouveaux-cons.htm

À paraître à la Musardine, du même : Le Savoir-vivre des cochons… (recueil de mauvaise éducation et de plaisirs gratuits).